A quoi cela sert-il d’y aller par quatre chemins ? Annonçons-le, nous prenons celui d’être dépossédés de nos données, de perdre le droit à toute vie privée dont nous avons déjà un avant-goût ! Au sein du monde des objets connectés qui nous est annoncé, notre destin est d’être scrutés sous toutes les coutures.
Nos activités, nos gestes, nos choix et nos goûts, ainsi même que nos idées et convictions, rien ne va échapper à la détection plus ou moins bien intentionnée de ceux qui recueilleront nos données via la multitude d’objets connectés que nous allons utiliser, dont la liste s’allonge de jour en jour sous les prétextes les plus divers. Pour vivre heureux, nous n’allons plus pouvoir vivre cachés ! Avec le même effet que si nous étions tous munis d’un bracelet électronique !
Concepteur du Web, Tim Berners-Lee a observé que « le Web s’est à tel point rapproché du monde réel que les deux sont désormais liés ». Les moyens d’opérer via son intermédiaire une récolte massive de données nous concernant sont progressivement mis en place. Les objets vont être qualifiés d’intelligents au nom de leurs nouvelles performances et des services qu’ils vont rendre, avec en contrepartie l’abandon de tout anonymat. Dans un monde où la propriété est reine, celle de nos données nous est refusée.
Même s’il ne faut pas croire les discours des spécialistes marketing éblouis par ces nouveaux marchés – les données sont pour eux l’or noir de l’Internet – leurs estimations donnent le tournis : des milliards d’objets devraient être connectés dans les années à venir. Il nous sera promis une multitude de services allégeant notre asservissement aux choses, mais cela le renforcera dans la pratique. De nouveaux marchés de masse ne visant plus le simple renouvellement des parcs qu’équipements existants vont être ouverts, et c’est tout ce qui leur importe. Avec comme effet de faire de nous des humains connectés de plein exercice ! A moins que nous soyons court-circuités grâce aux « contrats intelligents » de blockchains, les objets connectés régulant d’eux-mêmes leurs échanges, entre eux ou avec le monde extérieur, en utilisant des protocoles de communication qui sont en cours de développement. Les spécialistes soulignent que plus ils seront connectés entre eux, plus les risques de piratage seront grands.
Qu’importe si l’on ne sait pas encore parfaitement utiliser les masses de données récupérées : les futurs outils logiciels permettant de les traiter sont à l’étude, utilisant la sémantique pour analyser les messages, ou des modèles stochastiques pour décrypter les comportements, en vue de les anticiper. Notre sort va être confié à des algorithmes, omniprésents et opaques, au verdict sans appel.
Les experts en marketing prétendent que les consommateurs seront satisfaits de céder leur données personnelles en échange d’offres personnalisées, tout comme les citoyens acceptent déjà de renoncer à leur vie privée pour garantir leur sécurité, pourrait-on ajouter. Mais ces discours sont fallacieux car ils sous-entendent un arbitrage librement consenti et mutuellement avantageux.
Est-il encore possible d’empêcher cette mutation ? Régulièrement, des enquêtes et sondages témoignent certes de substantielles réticences, auxquels répondent immédiatement des argumentaires faisant valoir les bienfaits de la collecte des données personnelles, la santé étant un domaine de prédilection.
Pourtant, la résignation ne finira-t-elle pas par l’emporter ? N’avons-nous pas déjà perdu le contrôle sur nos données ? Leur protection est loin de progresser à la vitesse avec laquelle se répand leur collecte, tout les prétextes étant bons, et parfois même en le dissimulant. Les portes du paradis des hackers vont s’ouvrir devant eux, accentuant notre vulnérabilité aux comportements délictueux. Au Japon, un hacker a mis en évidence que des données étaient recueillies par des poupées connectées munies de microphones…
Le monde qui se présente n’est pas porteur de ces seules menaces. Le déploiement d’un formidable outil de contrôle social est annoncé qui détectera les comportements hors normes porteurs de révolte. C’est en Chine que l’on en trouve un projet très élaboré. Et, d’une manière générale, la fragilité de nos sociétés va aller en grandissant, comme en témoigne la montée en puissance de la guerre électronique, dont le champ de bataille ignore les frontières et qui n’a pas besoin d’être déclarée pour être menée.
Le monde des objets connectés fait partie de ces catastrophes annoncées vers lesquelles nous nous précipitons.
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