---------- toute l’intelligence est dans la trompette ---------- l'information déployée par Jean-claude Barthelay ---------j'ai été enfant de choeur, militant socialiste, pilier de bar, artisan du batiment, conseiller municipal, sportif ( course à pied, alpinisme ) et touriste à Chamonix, c'est dire si j'en ai entendu des conneries...........................
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dimanche 30 août 2015
samedi 29 août 2015
L'ILLUSION DU PROGRES
L’homme a inventé un mot magique. Nous avons commencé par le prononcer, puis nous l’avons laissé nous mener par le bout du nez. Ce mot, c’est le « progrès ». A l’origine, ce terme était censé décrire le changement d’une chose mauvaise ou bonne en quelque chose de mieux, jamais en quelque chose de pire. Puis, avec un aplomb superbe, nous avons fait un pas de plus. Alors le progrès désigne toujours la génération présente ; les morts ne pourront jamais le faire tourner en leur faveur.
Nous aimons voir dans le progrès la lutte que mène l’homme moderne pour que davantage de gens soient mieux nourris, que les malades aient plus d’hôpitaux, qu’il y ait moins de guerres. Mais on parle aussi de progrès lorsqu’on améliore des armes pour tuer plus de gens et de plus loin. On parle de progrès quand on invente un médicament pour guérir le mal causé par un autre, quand les hôpitaux poussent comme des champignons parce que nous avons des cerveaux surmenés et des corps sous-développés, parce que nous avons le cœur vide et les intestins pleins de tout ce dont on nous a fait une habile publicité. C’est le progrès, quand un fermier abandonne sa houe et un pêcheur son filet pour aller travailler à la chaîne, parce que le champ de blé est loué à une industrie, qui a besoin de la rivière aux saumons comme tout-à-l’égout. C’est le progrès, lorsque l’homme de la rue peut cesser de réfléchir parce que tous ses problèmes sont résolus par d’autres, ou quand des gens deviennent tellement spécialisés qu’ils savent presque tout sur presque rien. C’est le progrès, quand la réalité devient si morne et étouffante que nous survivons en regardant des divertissements qui passent sur une boîte. C’est le progrès, quand les villes deviennent si grandes et les forêts si petites. C’est le progrès, quand les enfants obtiennent une contre-allée en échange d’une prairie, quand le parfum des fleurs et la vue sur les collines sont remplacés par de l’air conditionné et la vue sur la rue. Les gratte-ciel de Manhattan sont trop immenses et rendent l’homme trop petit.
L’homme moderne n’avait rien retiré de la première guerre mondiale. Jamais encore, autant d’argent et d’efforts humains n’ont été dépensés pour la fabrication de moyens de plus en plus ingénieux pour s’entretuer. Les architectes de la paix continuent à bâtir avec de la poudre à canon. C’était mal interpréter la théorie de Darwin que de croire le cerveau d’un homme assis derrière une machine à écrire plus évolué que celui d’un homme maniant une charrue de bois ou une canne à pêche. C’était aussi absurde que de nous duper, en prétendant qu’un homme porteur d’une mitrailleuse a une morale plus haute que celui qui porte un javelot. Qu’il soit espagnol, polynésien ou viking, l’homme a toujours été un étrange mélange de saint et de démon. A un moment, nous sommes si pieux que nous ne voulons pas couper une boucle de cheveux de notre voisin, et l’instant suivant, nous l’assassinons. Il est aisé de définir le progrès sur un champ de bataille : nous enfonçons une baïonnette dans un homme en vie, mais nous ne plongerions pas une fourchette dans un mort.
De tous les coins du monde, montent les voix désespérées de funestes prophètes, qui nous prouvent à l’aide de courbes, de calculateurs électroniques et de statistiques convaincantes que l’humanité marche à la catastrophe. Leurs adversaires – nous pourrions les appeler les marchands de sable – s’affairent à répéter aux foules de continuer à dormir en paix. La science peut résoudre tout et l’homme du commun rester devant sa télévision.
Thor Heyerdahl
L'HOMME EST LE CANCER DE LA TERRE
L’humanité disparaîtra, bon débarras (Yves Paccalet)
POSTED BY: LEPARTAGE 22 MARS 2015
Yves Paccalet est un écrivain, philosophe, journaliste et naturaliste français, né le 15 novembre 1945 dans le hameau de Tincave (commune de Bozel), en Savoie. Collaborateur du commandant Cousteau de 1972 à 1990, il a été élu conseiller régional de Savoie en 2010 pour Europe Écologie Les Verts, mais quitte le parti en 2013 à la suite de nombreux désaccords avec l’échelon national.Ici, des extraits de son livre « L’humanité disparaîtra, bon débarras ».
L’homo sapiens se croit tout : il n’est rien. Je l’apostrophe dans ces pages : « Tu disparaîtras, bon débarras ! » Mais son suicide me consterne, Quand je songe à mes enfants, je forme des vœux pour que le processus ne s’accélère pas trop. Je ne prédis aucun avenir radieux à l’humanité, mais je ne puis m’empêcher de lutter pour sa survie. Lorsque je dénonce le saccage des récifs et des mangroves, je ne défends pas uniquement la biodiversité des océans, mais la sécurité de mes congénères. J’écris ce livre afin que ce que j’écris dans ce livre n’arrive pas. Hélas ! cela adviendra. Je n’ai aucune influence, au reste la littérature, la philosophie, la poésie, l’art ou les idéologies n’ont jamais transformé l’homme, ni le monde.
1/5) Une planète dévastée
Je rencontre des pêcheurs. Ce sont des papous Kamoro. Naguère ces indigènes vivaient de la mer. Ils filaient dans la vague à la rame, sur leurs élégants « longs bateaux », et rapportaient au village thons, bonites, mérous et dorades. A présent, de riches marchands, surtout chinois, leur vendant (très cher) et leur achètent (trois fois rien) leur production. Les Papous ne pêchent plus pour eux, mais pour d’autres. Ils ne capturent plus en fonction de leurs besoins, mais pour un marché lointain et toujours plus avide. A peine sortis de l’âge de pierre, les voilà jetés dans le tourbillon de la mondialisation. Les précieuses protéines animales ne finissent plus dans le ventre de leurs enfants, qui souffrent de la faim, mais dans la panse des nantis, qui mangent du poisson pour maigrir tout en dissertant sur les vertus médicinales des oméga 3. Notre espèce ne survira pas aux désastres qu’elle provoque. Nous n’en avons plus pour très longtemps. Nous sommes tous des papous.
2/5) Le problème démographique
Nous produisons des enfants. Beaucoup trop d’enfants. Chaque seconde, trois Homo sapiens tombent sur notre planète, tandis qu’un seul la quitte pour recycler ses molécules dans les boyaux des asticots en attendant le Jugement dernier ou une éventuelle réincarnation (si ça se trouve, en asticot…). Nous remplissons la planète de notre engeance. Nous tartinons le globe d’une couche de bambins, marmots, gosses, gamins ou mouflets, désormais si nombreux qu’une armée d’ogres n’en viendrait pas à bout. J’ai moi-même expérimenté la force irrésistible de la pulsion reproductrice. J’ai déposé quatre enfants (cela va plus vite en faisant des jumeaux) sur une Terre qui ne m’avait rien demandé. Du point de vue de l’écologie, j’ai conscience d’avoir commis une lamentable erreur. Les engendrer fut un non-sens, la pire imbécillité de mon existence. J’ai rajouté mes rejetons à la vague humaine. Parce que nous, Homo sapiens, sommes de plus en plus nombreux sur un vaisseau spatial aux dimensions et aux ressources limitées, nous aurons de plus en plus souvent, et avec de moins en moins de scrupules, recours à la violence.
3/5) Nous somme tous des assassins
Je cherche l’humanité au fond de l’homme : je n’y vois que la moustache d’Hitler. Nous ne sommes ni le fleuron, ni l’orgueil, ni l’âme pensante de la planète: nous en incarnons la tumeur maligne. L’Homme est le cancer de la Terre. Cette formule choquera les âmes sensibles; mais peu me chaut d’offusquer les « humanistes » qui ont des yeux pour ne pas voir et un cerveau pour imaginer que Dieu les a conçus afin qu’ils passent leur éternité à chanter des cantiques au paradis ou à cuire en enfer. Parce qu’ils se veulent humanistes ou qu’ils croient au paradis, certains d’entre nous endossent le costume de saint Michel et tentent de combattre ce Lucifer de nos tréfonds. Courage ! Je crains que la victoire n’advienne ni à Pâques, ni à la Trinité, ni à l’aïd el-Kébir, ni au Têt. Être méchant va de soi : chacun en est capable. Se montrer généreux constitue une montagne à escalader. Le résultat est moins assuré que l’alpiniste: on a vu maintes belles âmes rouler dans le précipice et intégrer la cohorte des assassins. Nous sommes des salauds, je dirais même plus, nous aimons nos perfidies. Nous les justifions. Nous leur trouvons toutes les excuses possibles et impossibles, nous les rebaptisons « légitime défense », « acte de bravoure » ou choix tactique. Les capitalistes parlent de « concurrence loyale », ce qui fait rire tous ceux qui étudient les relations entre les entreprises. Voyez ces philosophes qui se haïssent en dissertant de la bonté universelle ! Regardez ces humanitaires qui se disputent l’aide aux victimes ! Examinez ces soldats de la vraie foi qui égorgent l’infidèle en psalmodiant : « Dieu est amour ! » Que cela plaise ou non, et quelles que soient les indignations du philosophe ou du moraliste, la vérité s’impose : nazis nous sommes.
4/5) La grande explication
L’éthologie nous enseigne que, comme tout être vivant, l’Homo sapiens obéit à trois pulsions principales : le sexe, le territoire et la hiérarchie. C’est au territoire et à la hiérarchie que je me réfère expressément lorsque j’évoque notre côté nazi. Du côté du territoire et de la hiérarchie, tout est permis et même encouragé. La possession et la domination sont élevées au rang des valeurs. On les récompense par des biens matériels, un salaire, une rente, des profits. Chaque fois que nous étendons notre domaine ou que nous prenons le dessus sur quelqu’un, nous en tirons une récompense chimique en dopamine et autres molécules gouleyantes. Nous n’avons qu’une hâte : recommencer. Devenir toujours plus riches et plus puissants. Voilà pourquoi nous ne lâcherons aucun de nos avantages personnels pour sauver notre mère la Terre… Nous préférons la voir crever que de renoncer à nos privilèges. Non seulement l’homme anéantit ses semblables en braillant Lily Marlene, It’s a long way ou l’Internationale, mais il devient le bourreau de la Nature. Nous ne céderons rien (en tout cas rien d’important : les autres n’ont qu’à commencer !) pour arrêter nos saccages et nos pollutions. Le silence des oiseaux devient assourdissant, qu’il soit causé par la guerre, la dévastation mécanique ou la chimie, il préfigure celui de la vie. Quelques beaux gestes ne remplaceront pas le grand partage. Nous ne nous en tirerons que par la vertu d’une décroissance raisonnable. Sauf que c’est impossible, parce que personne n’en veut. Le vingt et unième siècle sera belliqueux, ou je ne m’y connais pas.
5/5) La Biosphère comme valeur
On reproche aux écologistes leur catastrophisme. Ils ne sont qu’objectifs. L’humanité disparaîtra d’autant plus vite qu’elle accumule les conduites ineptes. Elle s’imagine au-dessus de la nature ; elle est dedans. Pour l’écologiste (en tant que scientifique), il n’existe aucun Dieu ou Être suprême qui fournisse une âme immatérielle et éternelle à une créature « élue ». Tous les êtres vivants appartiennent à un écosystème global (la Terre), divisé en écosystèmes locaux. Chaque individu s’inscrit dans un milieu qui lui permet de prospérer et de se reproduire. Quand je mourrai, un peu de mes nitrates imprégnera des alluvions où j’alimenterai les racines d’un nénuphar dont une abeille butinera la fleur. Je réaliserai, pour le restant de mon immortalité, le bonheur d’avoir vécu quelques années sur la Terre, dans le parfum des fleurs, en caressant les miens, sous l’œil énigmatique des étoiles.
Article initialement publié sur le site biosphere.ouvaton.org, à l’adresse suivante:
http://biosphere.ouvaton.org/de-2005-a-2008/519-2006-lhumanite-disparaitra-bon-debarras-dyves-paccalet
http://biosphere.ouvaton.org/de-2005-a-2008/519-2006-lhumanite-disparaitra-bon-debarras-dyves-paccalet
vendredi 28 août 2015
HOWARD ZINN
5 ans après : Longue vie à Howard Zinn!
POSTED BY: LEPARTAGE 10 DÉCEMBRE 2014
Howard Zinn (né le 24 août 1922 et mort le 27 janvier 2010 à Santa Monica, Californie) est un historien et politologue américain, professeur au département de science politique de l’université de Boston durant 24 ans.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’engage dans l’armée de l’air et est nommé lieutenant bombardier naviguant. Son expérience dans l’armée a été le déclencheur de son positionnement politique pacifiste qui élève au rang de devoir la désobéissance civile.
Il a été un acteur de premier plan du mouvement des droits civiques et du courant pacifiste aux États-Unis.
- Petit texte publié par le monde diplomatique, le jour de sa mort:
Militant politique puis universitaire militant, Howard Zinn n’a jamais redouté de s’engager au service des Américains, dont il a écrit l’histoire « par en bas », mémoire du peuple plutôt que mémoire des Etats. Radical, pacifiste, Zinn voyait « dans les plus infimes actes de protestation les racines invisibles du changement social ». Pour lui, les héros des Etats-Unis n’étaient ni les Pères fondateurs, ni les présidents, ni les juges à la Cour Suprême, ni les grands patrons, mais les paysans en révolte, les militants des droits civiques, les syndicalistes, tous ceux qui s’étaient battus, parfois victorieux, parfois non, pour l’égalité. Son Histoire populaire des Etats-Unis, publiée en 1980, a été lue par des millions d’Américains et traduite presque partout dans le monde, y compris tardivement en France (éditions Agone). Elle constitue une lecture irremplaçable.
- La réaction de Naomi Klein:
Et il était réellement un historien du peuple, il ne recherchait pas l’approbation de l’élite. Je suis si heureux que l’incroyable équipe de « The People Speak » lui ait offert cette chance incroyable à la fin de sa vie. J’étais au centre Lincoln pour l’avant-première et j’étais là lorsque la simple mention du nom d’Howard fit se lever des milliers de gens pour lui offrir l’ovation qu’il méritait. Donc je ne pense pas qu’il ait eu besoin du New York Times. Je ne pense pas qu’il ait eu besoin des historiens officiels. C’était le professeur préféré, le professeur qui avait changé votre vie, et ce pour des millions de gens. Donc, ce qui vient de se passer…Nous venons de perdre notre professeur préféré.
- Un mot de son ami Noam Chomsky à son sujet:
Howard Zinn a milité de façon réellement ininterrompue jusqu’à la toute fin de sa vie, même pendant les dernières années, marquées par l’infirmité et le deuil — ce qu’on aurait difficilement deviné en le rencontrant ou en le voyant discourir infatigablement, face à un public captivé, d’un bout à l’autre du pays. À chaque combat pour la paix et la justice, il était là, en première ligne, avec son enthousiasme indéfectible; son intégrité, sa sincérité, son éloquence et son intelligence édifiantes; sa légère touche d’humour face à l’adversité; son engagement pour la non-violence; et son absolue décence. On peut difficilement imaginer le nombre de jeunes gens dont les vies ont été marquées, en profondeur, par ce qu’il a accompli dans son œuvre et sa vie.
Nous vous proposons ici quelques extraits tirés du livre « Se Révolter si Nécessaire »:
Extrait 1:
Les problèmes des états-unis ne sont pas périphériques et n’ont pas été résolus par notre génie de la réforme. Ils ne n’expliquent pas par un excès, mais par la normalité. Notre problème de racisme, ce n’est pas le Ku Klux Klan ou le Sud, mais ce principe fondamental du libéralisme qui fait du paternalisme sa panacée. Notre problème économique, ce n’est pas la récession mais le cours normal de l’économie, dominée par les grands groupes et le profit. Notre problème avec la justice, ce n’est pas un juge corrompu ou un jury acheté, mais le fonctionnement ordinaire, quotidien, de la police, des lois, des tribunaux, qui font primer la propriété sur les droits de l’homme. Notre problème de politique étrangère ne tient pas à une entreprise particulièrement insensée comme la guerre hispano-américaine ou la guerre du Vietnam, mais à la permanence historique d’un ensemble de présupposés quant à notre rôle dans le monde, notamment l’impérialisme missionnaire et la croyance en la capacité des états-unis à résoudre des problèmes sociaux complexes.
En admettant tout ceci, alors l’activité normale de l’universitaire, de l’intellectuel, du chercheur, contribue à maintenir ces normes corrompus aux états-unis; de même qu’en se contentant de faire son petit travail, l’intellectuel a entretenu le fonctionnement normal de la société allemande, russe ou sud-africaine. Par conséquent, on peut attendre de notre part la même chose que ce que nous avons toujours attendu des intellectuels dans ces situations terribles: une rébellion contre la norme.
[…] Dans cette société, toute profession intellectuelle est politique. L’alternative ne se situe pas dans le fait d’être politisé ou non; elle réside entre le fait de suivre la politique de l’ordre établi, c’est-à-dire d’exercer sa profession selon les priorités et les orientations fixées par les puissances dominantes de la société, ou bien de promouvoir ces valeurs humaines de paix, d’équité, de justice, que n’applique pas la société actuelle.
Extrait 2:
Le professionnalisme est une forme puissante de contrôle social. Par professionnalisme j’entends le fait d’être presque totalement immergé dans son métier, le fait d’être tellement absorbé par l’usage quotidien de ces compétences que l’on a plus vraiment le temps, l’énergie ou le désir de réfléchir à la fonction que remplissent ces compétences dans le système social plus vaste. Je dis bien presque totalement immergé, car si l’immersion était totale, cela nous rendrait méfiants. C’est cet entre-deux qui nous permet de la supporter, ou du moins, il nous embrouille suffisamment pour que nous ne fassions rien, […].
Par contrôle social, j’entends le maintien des choses telles qu’elles sont, la préservation des arrangements traditionnels, le fait d’empêcher toute redistribution significative de la richesse et du pouvoir dans la société.
[…] Cette séparation étanche qui veut qu’on passe son temps à bûcher tout en ne s’occupant de politique qu’à ses moments perdus repose sur l’idée qu’exercer une profession ne serait pas intrinsèquement politique. Il s’agirait d’une activité neutre.
Extrait 3:
À partir de ma modeste expérience, je me considère en mesure d’énoncer les points suivants – et vous laisserai poursuivre le débat à partir de là:
- Dans notre société, l’existence, la conservation et la disponibilité d’archives, de documents et de témoignages sont largement déterminées par la distribution de la richesse et du pouvoir. En d’autres termes, les plus puissants et les plus riches sont les mieux placés pour trouver et conserver des documents, et décider ce qui sera ou non accessible au Oxford History public. Aussi l’état, les grands groupes et l’armée sont-ils en position dominante.
- L’une des façons pour l’état fédéral de contrôler l’information et de restreindre la démocratie consiste à dissimuler au public des documents importants, à tenir secrète leur existence même ou à les censurer (cf. les batailles menées pour obtenir des informations sur le golfe de Tonkin, la baie des cochons, le bombardement du Laos, les activités de la CIA au Guatemala). Et si le but avoué d’un tel niveau de confidentialité est toujours la sécurité de la nation, le but véritable est presque toujours la sécurité politique des dirigeants de la nation.
Extrait 4:
Que ce soit en tant qu’enseignant ou écrivain, je n’ai jamais été obsédé par « l’objectivité », qui ne m’a paru ni possible ni désirable. J’ai compris assez tôt que ce qu’on nous présente comme « l’histoire » ou « l’actualité » a nécessairement été sélectionné parmi une quantité infinie d’informations, et que cette sélection reflète les priorités de celui qui l’a réalisée.
[…] Chaque fait présenté dissimule un jugement, celui qu’il était important de mettre ce fait-là en avant – ce qui implique, par opposition, qu’on peut en laisser d’autres de côté. Et tout jugement de ce genre reflète les croyances, les valeurs de l’historien ou de l’historienne, quelles que soient ses prétentions à « l’objectivité ».
Ce fut pour moi un grand soulagement d’arriver à la conclusion qu’il est impossible d’exclure ses jugements du récit historique, car j’avais déjà décidé de ne jamais le faire. J’avais grandi dans la pauvreté, vécu une guerre, observé l’ignominie de la race humaine: je n’allais pas faire semblant d’être neutre. […] En d’autres termes, le monde avance déjà dans certaines directions — dont beaucoup sont atroces. Des enfants souffrent de la faim. On livre des guerres meurtrières. Rester neutre dans une telle situation c’est collaborer. Le mot « collaborateur » a eu une signification funeste pendant l’ère nazie, il devrait conserver ce sens. C’est pourquoi je doute que vous trouviez dans les pages qui suivent le moindre signe de « neutralité ».
Extrait 5:
Il est dit explicitement que célébrer Christophe Colomb, ce n’est pas seulement célébrer ses exploits maritimes, mais aussi le « progrès », car son débarquement aux Bahamas marque le début de ces cinq siècles de « civilisation occidentale » dont on a dit tant de bien. Mais ces concepts doivent être réexaminés. Quand on demanda à Gandhi ce qu’il pensait de la civilisation occidentale, il se contenta de répondre: « l’idée est bonne ».
Il ne s’agit pas de nier les avantages du « progrès » et de la « civilisation » – en matière de technologie, connaissances, sciences, santé, éducation, qualité de vie. Mais une question doit être posée: le progrès, oui, mais à quel prix humain?
Le « progrès » doit-il simplement être mesuré par les statistiques de développement industriel et technologique, indépendamment de ses conséquences pour les humains? Accepterions-nous que des russes justifient l’ère stalinienne, y comprit son immense tribut en souffrances humaines, au motif que Staline a fait de la Russie une grande puissance industrielle?
Je me souviens de mes cours d’histoire américaine au lycée: l’après-guerre de Sécession, c’est-à-dire en gros les années la séparant de la première Guerre Mondiale, était présentée comme l' »âge de la dorure », l’ère de la grande révolution industrielle, le moment où les états-unis étaient devenus un géant de l’économie. Je me souviens quel enthousiasme éveillait en nous le récit du développement spectaculaire des industries métallurgique et pétrolière, la constitution des grandes fortunes et le quadrillage du pays par les voies ferrées.
Personne ne nous a parlé du coût humain de ce grand progrès industriel: du fait que la gigantesque production de coton reposait sur le travail d’esclaves noirs; que l’industrie textile s’est développée grâce au travail de fillettes qui entraient à l’usine à 12 ans et mourraient à 25; que les voies ferrées furent construites par des immigrés irlandais et chinois que l’on tua littéralement au travail, dans la chaleur de l’été et le froid de l’hiver; que les travailleurs, immigrés et natifs, durent se mettre en grève, se faire tabasser par la police et enfermer par la garde nationale avant d’obtenir la journée de huit heures; que les enfants de la classe ouvrière, dans des quartiers misérables, devaient boire de l’eau polluée et mourraient en bas-âge de malnutrition et de maladies. Tout ceci au nom du « progrès ».
Et certes, l’industrialisation, la science, la technologie, la médecine ont apporté de grands bienfaits. Mais jusqu’ici, en cinq siècles de civilisation occidentale, de domination occidentale sur le reste du monde, la plupart de ces bienfaits n’ont profité qu’à une infime partie de l’espèce humaine. des milliards d’individus dans le Tiers Monde sont toujours confrontés à la famine, à la pénurie de logements, aux maladies, à la mortalité infantile.
L’expédition de Christophe Colomb a-t-elle marqué le passage de la sauvagerie à la civilisation? Qu’en est-il des civilisations indiennes qui s’étaient constituées sur des milliers d’années avant l’arrivée de Christophe Colomb? Las Casas et d’autres s’émerveillèrent de l’esprit de partage et de générosité qui caractérisait les sociétés indiennes, les constructions communales dans lesquelles ils vivaient, leur sensibilité esthétique, l’égalitarisme entre hommes et femmes.
En Amérique du Nord, les colons britanniques furent stupéfaits de la démocratie qui avait cours chez les Iroquois – qui occupaient l’essentiel des états de New York et de Pennsylvanie. Gary Nash, historien américain, décrit la culture de ces indiens: « Ni lois, ni décrets, shérifs ou policiers, juges ou jurés – avant l’arrivée des européens, dans les régions boisées du Nord-Est, on ne retrouvait aucun des instruments de l’autorité propres aux sociétés européennes. Pourtant, les limites du comportement acceptable étaient fermement établies. Tout en mettant fièrement en avant l’autonomie individuelle, les Iroquois maintenaient un ordre moral stricte… »
En s’étendant vers l’Ouest, la jeune nation américaine vola les terres des Indiens, les massacra quand ils opposèrent résistance, détruisit leur moyen de se loger et de se nourrir, les repoussa dans des portions de plus en plus exiguës du territoire et s’employa à une destruction systématique de la société indienne. Dans les années 1830 – l’une des centaines d’offensives lancées contre les indiens d’Amérique du Nord – Lewis Cass, gouverneur du territoire du Michigan , qualifie de « progrès de la civilisation » le fait de leur avoir soustrait des millions d’hectares. « Un peuple barbare, dit-il, ne peut cohabiter avec une communauté civilisée ».
On peut mesure l’étendue de la « barbarie » de ces Indiens à la législation préparée par le Congrès dans les années 1880: diviser en parcelles privées les terres communales sur lesquelles ils continuaient à vivre, opération que d’aucuns qualifieraient aujourd’hui avec admiration de « privatisation ». Le sénateur Henry Dawes, à l’origine de la loi, visita la nation Cherokee qu’il décrivit ainsi: « […] Il n’y avait pas une famille dans toute cette nation qui n’eut une maison à soi. Il n’y avait pas un miséreux, et la nation n’a pas un dollar de dette, […] car elle bâtit elle-même ses propres écoles et hôpitaux. Pourtant, le défaut du système est manifeste. Ils sont allés aussi loin qu’ils le pouvaient étant donné qu’ils possèdent leur terre en commun […] mais il n’existe aucune initiative pour rendre une maison plus belle que celle du voisin. L’égoïsme, qui est au fondement de la civilisation, n’existe pas. »
Ce fondement de la civilisation, qui n’est pas sans rappeler ce qui animait Christophe Colomb, est également à rapprocher d’une autre valeur très prisée aujourd’hui, « la motivation du profit » –dirigeants politiques et médias n’expliquent-ils pas que l’Occident rendra un grand service à l’union soviétique et à l’Europe de l’Est en s’introduisant chez eux?
On concède qu’il existe peut-être des situations dans lesquelles la motivation du profit peut contribuer au développement économique, mais dans l’histoire du « libre marché » occidental, elle a eu des conséquences catastrophiques, alimentant, pendant ces siècles de « civilisation occidentale », un impérialisme effréné.
[…] La quête effrénée du profit a conduit à d’immenses souffrances humaines; elle a causé l’exploitation, l’esclavage, la violence sur les travailleurs, les conditions de travail dangereuses, le travail des enfants, la destruction des terres et des forêts, l’empoisonnement de l’air que nous respirons, de l’eau que nous buvons, de la nourriture que nous mangeons.
Dans son autobiographie, rédigée en 1933, le chef indien Standing Bear écrivait: « Il est vrai que l’homme blanc a apporté de grands changements. Mais les divers fruits de sa civilisation, aussi colorés et attirants soient-ils, sont porteurs de maladie et de mort. Si mutiler, piller et entraver font partie de la civilisation, alors qu’est-ce que le progrès? Je gage que l’homme qui s’asseyait par terre dans son tipi pour méditer sur le sens de la vie, qui reconnaissait le lien de parenté unissant toute les créatures et son unité avec l’univers des choses, infusait dans son être la véritable essence de la civilisation ».
Quelques extraits de son livre « Désobéissance civile et démocratie : Sur la justice et la guerre« :
Extrait 1:
Combien de gens exercent-ils le travail de leur choix ? Certains scientifiques, artistes, quelques travailleurs très qualifiés ou certaines professions libérales ont peut-être cette satisfaction, mais la plupart des gens ne sont pas libres de choisir leur activité. C’est la nécessité économique qui les y oblige. C’est pourquoi on peut parler de « travail aliéné ». En outre, la plupart des travailleurs produisent des biens et des services destinés à devenir des marchandises qu’ils n’ont pas eux-mêmes choisi de produire et qui appartiennent à un autre : le capitaliste qui les emploie. Les travailleurs sont donc, en outre, parfaitement étrangers au produit de leur labeur. Le travail s’effectue dans des conditions industrielles modernes qui privilégient la concurrence plutôt que la collaboration et l’isolement plutôt que l’association. Les travailleurs sont donc également étrangers les uns aux autres. Concentrés dans les villes et les usines, ils sont pour finir étrangers à la nature.
Extrait 2:
Aucun changement fonctionnel ou structurel ne peut garantir une société parfaitement démocratique. Nous acceptons mal ce fait parce que nous avons été élevés dans une culture technologique où l’on pense généralement que, si on pouvait seulement trouver le bon instrument, tout irait enfin pour le mieux et qu’il serait alors possible de se relâcher un peu. Mais on ne peut jamais se relâcher. L’expérience des Noirs américains, comme celle des Indiens, des femmes, des Hispaniques et des pauvres, nous apprend cela. Nulle constitution, nulle déclaration des droits, nul système électoral, nulle loi ne peuvent garantir la paix, la justice et l’égalité. Tout cela exige un combat permanent, des débats incessants impliquant l’ensemble des citoyens et un nombre infini d’organisations et de mouvements qui imposent leur pression sur tous les systèmes établis.
Extrait 3:
Être optimiste en cette époque troublée ne relève pas uniquement d’un romantisme inconsidéré. Cela vient de ce que l’histoire des hommes n’est pas seulement celle de la cruauté mais aussi celle de la compassion, du sacrifice, du courage et de la gentillesse.
Ce que l’on décide de mettre en valeur dans cette histoire complexe déterminera nos vies. Si nous ne voyons que le pire, cela détruit notre capacité à agir. Si l’on se rappelle de ces époques et de ces lieux – et il y en a tant ! – où des gens se sont magnifiquement comportés, cela nous donne l’énergie d’agir, et au moins la possibilité de changer le sens de rotation de la toupie planétaire. Et si nous nous décidons à agir, même de la plus simple façon, nous n’aurons pas à attendre ce grand futur utopique. Le futur est une infinie succession de présents, et vivre aujourd’hui comme nous pensons que l’être humain doive vivre, faisant fi de tout le mal qui nous environne, est en soi une victoire merveilleuse.
(Excellent!) Discours d’Howard Zinn sur l’abolition de la guerre, Los Angeles, mai 2006:
Le dernier discours (à nouveau magistral!) enregistré d’Howard Zinn, en 2009 à l’université de Boston:
Réinterroger notre histoire, ce n’est pas seulement se pencher sur le passé, mais aussi s’intéresser au présent et tenter de l’envisager du point de vue de ceux qui ont été délaissés par les bienfaits de la soi-disant civilisation.[…] Nous devons y parvenir au moment d’entrer dans ce nouveau siècle si nous voulons qu’il soit différent, si nous voulons qu’il soit, non pas le siècle de l’Amérique, le siècle de l’occident, le siècle des blancs ou celui des hommes, ou celui de quelque nation, de quelque groupe que ce soit, mais le siècle de l’espèce humaine.
Le mot de la fin:
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