L’expression « le jour d’après » a été popularisée en 2004 par un film catastrophe, (la fiction d’une ère glaciale), et a trouvé une seconde vie pour désigner « l’après pétrole » ou « après l’effondrement ». Que les Econoclastes l’aient reprise pour titre d’une conférence (décevante) à l’École de Guerre est un signe qui ne trompe pas : les militaires savent depuis longtemps que l’énergie est le nerf de la guerre. Il n’en reste pas moins que le plus grand flou est de mise quant à l’allure que pourrait prendre un effondrement qui hante désormais les esprits. Mais de quel(s) effondrement(s) parle-t-on ? Essayons de clarifier.
L’on peut distinguer trois « jours d’après » bien différents selon que l’on considère :
- Seulement un effondrement industriel, comme celui pronostiqué en 1972 par Meadows.
- La fin absolue du pétrole, celle qui verra sa production mondiale réduite à zéro après une décroissance plus ou moins rapide.
- L’effondrement de notre environnement écologique et/ou un réchauffement climatique tels qu’ils ramèneraient l’humanité à « l’âge de pierre ».
L’effondrement industriel
Ce premier effondrement est à la fois le plus probable à court terme, (décennie 2020), et le moins grave en terme de « secousse sismique ». Il commencera probablement par une crise financière comme en 2008, sera suivi comme en 2008 par une crise économique, mais, contrairement à 2008, l’économie mondiale ne s’en remettra pas. Il ne signera pas la fin de l’industrie, seulement sa réduction en volume, et son principal effet sera de précipiter des millions de gens dans la misère, comme on peut le voir actuellement en Grèce, au Venezuela, dans les pays ravagés par la guerre, et même en Europe où le taux de pauvreté ne cesse d’augmenter, le tout sur fond de mouvements migratoires de grandes ampleurs à cause des changements climatiques.
D’après les Econoclastes cités en introduction, les deux tiers du PIB d’un pays sont imputables à la seule consommation des ménages : le système fera donc trinquer les ménages par réduction de leurs possibilités de consommation, par réduction des prestations de l’État, des assurances publiques ou privées, etc., toutes choses ayant pour effet de réduire la consommation de pétrole (et d’énergie de façon générale). Ainsi l’industrie continuera de tourner sur fond de chômage croissant et de problèmes sociaux douloureux, le système restant, pour une minorité de nantis, ce qu’il est aujourd’hui.
C’est clairement le chemin qui se dessine déjà à travers :
- La politique d’austérité de l’UE, comme l’a affirmé un Econoclaste.
- L’augmentation sans fin des inégalités qui destinent les classes moyennes à disparaître.
- La gigantesque bulle de la dette mondiale qui sert à prolonger artificiellement le système, et promet d’éclater tôt ou tard. (Cf. les Econoclastes)
- Les tribunaux d’arbitrage conçus pour donner l’avantage aux multinationales sur les États.
- Le compteur Linky qui permettra de rationner la consommation d’électricité des ménages.
La fin du pétrole
Il arrivera un moment où le système ne pourra plus extraire de pétrole, même s’il en reste « beaucoup » dans le sol, même si les moyens techniques sont disponibles. Car sa production ne se réduit pas à l’extraction : c’est un sous-système complexe fait de géopolitique, d’investissements, d’extraction, de transport, de raffinage, de négoce international et de commerce de détail, qui ne peut fonctionner que si l’ensemble du système fonctionne bien. Sur fond de décroissance, et compte tenu de son enjeu hautement stratégique, ce sous-système va se « déglinguer », c’est-à-dire sortir des clous du commerce international officiel, et se transformer en trafic de gré à gré, occulte et militarisé. S’il reste malgré tout coté sur les marchés, ce ne sera qu’un vernis pour rassurer les derniers nantis et permettre au système de survivre cahin-caha.
Sur le diagramme de Meadows, cela correspond à la période où la production industrielle plonge tandis que la pollution continue d’augmenter : en effet, la chute de la production industrielle entraîne celle des activités de maintenance, de recyclage, de dépollution et de prévention, tandis que les activités pollueuses survivent « à la va comme je te pousse », à grands renforts de rafistolages et de solutions improvisées, en provoquant de nombreuses pollutions par négligence et accidents. L’exemple type en sont ces colonnes de camions financés par Daesh pour transporter le pétrole syrien.
Quand viendra la fin radicale et définitive du pétrole, le monde sera déjà dans un état inimaginable : le système aura changé pour s’adapter, mais en abandonnant ses normes qui fondent aujourd’hui sa légalité.
L’effondrement écologique
Il est pronostiqué par des scientifiques et signifie que la nature pourrait cesser de fournir les « services » indispensables à la survie des espèces, celles-ci étant en conséquence vouées à disparaître en accentuant bien sûr l’effondrement. Beaucoup en parlent mais personne n’en a écrit le scénario. Il est certain que la production alimentaire finira par chuter de façon importante, mais cela ne signifie pas que l’ensemble de notre environnement mourra. Résistance, adaptation et diversification sont le propre des espèces vivantes. Les interactions étant complexes, et le réchauffement climatique imprévisible avec certitude, (il dépendra de la future consommation de charbon, et de phénomènes actuellement envisagés mais non quantifiés), l’effondrement écologique n’est pas à exclure à long terme mais reste le plus incertain.
Ce qui est certain, en revanche, est un futur effondrement relativement à nos besoins de production agricole, car « tout » concourt à réduire les terres fertiles : l’urbanisation des surfaces, le réchauffement climatique et les changements dans le régime des pluies, la pollution, la stérilisation des terres par surexploitation, la perte de biodiversité, l’épuisement des réserves aquifères et les mouvement migratoires : ils soulagent la pression humaine dans les zones devenues invivables, mais l’accentuent dans celles qui restent.
Conclusion
Il nous manque, pour dessiner avec précision le triste avenir qui nous attend, une analyse plus fine de ce qui fait le système actuel. Le modèle Meadows ne couvre que sa dimension quantitative, il ignore les multiples liens tissés entre les humains, en particulier ceux d’ordre juridique tel qu’ils se manifestent par exemple dans les statuts des travailleurs, dans le fait de bénéficier ou non de services à vocation publique, transports en commun, santé, messagerie, banque, police et justice. Et surtout, globalement, ce que l’on appelle l’ordre public : c’est-à-dire le sentiment de vivre dans un monde réglementé et donc apaisé, où prédomine un commerce légal à défaut d’être équitable. Le modèle Meadows englobe tous ces aspects dans la courbe « Services per capita » dont la chute est appelée à suivre de près celle de la production industrielle. C’est pourquoi « le jour d’après » risque fort de se caractériser par la disparition de toutes formes de légalité : les faits seront ce qu’ils sont, il n’y aura plus de « scandales » parce que le système sera devenu incapable d’imposer des normes socio-économiques. Ce sera pour chacun l’heure de la débrouille.
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