Affaire Boulin : trois nouveaux témoignages qui annihilent la thèse du suicide
L’affaire est désormais connue de longue date : le 30 octobre 1979, à 8h40 le corps de Robert Boulin, ministre du travail et de la participation du gouvernement de Raymond Barre, est retrouvé dans un étang, profond de cinquante centimètres d’eau, de la forêt de Rambouillet. Son visage semblable à celui d’un boxeur est couvert d’hématomes sur les yeux et les pommettes, il a une blessure importante au poignet droit et un gros hématome sur la nuque. Sa mort remonte vraisemblablement à la veille, entre 18h et 20h. Les différents échelons de la hiérarchie de l’Etat ont été informés entre minuit et 2h du matin, le 30 octobre. Mais curieusement l’avis de recherche officiel n’est lancé qu’à 6h25 le 30 octobre. Tous ces détails sont à retrouver dans la remarquable et minutieuse enquête de Benoît Collombat, grand reporter à France Inter, publiée aux éditions Fayard, en 2007, sous le titre Un homme à abattre, Contre-enquête sur la mort de Robert Boulin.
A 9h45, une dépêche AFP annonce la mort de Robert Boulin par suicide (dans cinquante centimètres d’eau !) et par absorption de barbituriques, alors qu’aucune trace de barbiturique ne sera jamais retrouvée sur les lieux, ni dans le corps du ministre. Le même jour à midi le procureur de Versailles évoque un suicide et, une heure plus tard, la très obligée Danièle Breem, dans le journal de 13h d’Antenne2, raconte le suicide en détail, alors même qu’aucun médecin n’a encore examiné le corps ! Quelques jours plus tard, la très dévouée Michelle Cotta prolongera, toujours sans l’ombre d’une preuve, la thèse du suicide agrémentée de scandaleuses calomnies sur la vie privée de madame Boulin et sur celle de son fils. A ce stade, on ne peut s’empêcher de penser à cette phrase de Carson, le majordome dans l’excellente série de laBBC Dowton Abbey : « Nous pensons comme nos maîtres. » Les nombreux doutes légitimes sur un éventuel suicide seront résumés par le médecin qui a signé le certificat de décès et que Benoît Collombat a rencontré en 2003 : « Pour se noyer, il y a d’autres moyens que de se jeter dans un endroit où il n’y a pas d’eau. »
Il n’est pas inutile de rappeler que Robert Boulin, grande figure de la résistance, ami de Chaban-Delmas, est, en 1979, est la figure montante du RPR, pour la plus grande rage de Chirac. Giscard voit en lui un remplaçant potentiel de Raymond Barre, ce qui constitue un casus belli supplémentaire pour l’agité de Cochin. Or, par un curieux hasard, Robert Boulin, décrit par tous ses amis comme un homme intègre et droit, tombe dans le piège d’un achat immobilier, que ses adversaires politiques tenteront de faire passer pour frauduleux, à Ramatuelle organisé par un aigrefin nommé Henri Tournet, proche du SAC et de Jacques Foccart. L’honneur de Boulin est ainsi commodément mis en cause, alors qu’il n’en est rien et que sa nomination à Matignon est proche. Mais un résistant de la trempe de Robert Boulin, accrocheur et opiniâtre, ne saurait se suicider, et plus personne ne croit en cette thèse invraisemblable.
Or, Benoît Collombat, dans une chronique du journal de 7h30 sur France Inter le 29 mai, a apporté trois nouveaux témoignages importants, à écouter ici et à lire là. Le conseiller général socialiste Daniel Jault participe, en novembre 1983 en sa qualité de médecin légiste, à la deuxième autopsie : « A l’évidence il y avait des chocs sur la face de R. Boulin. Personnellement je ne me suis jamais dit que c’était un suicide. On était en présence d’un meurtre ou d’un assassinat. On a conclu entre nous qu’il ne s’était pas suicidé. C’était une convergence de pensées et de réflexions, ça ne faisait plus guère de doutes que ce n’était pas un suicide. »
Eric Carlsberg, expert foncier et ex-collaborateur de Jacques Chaban-Delmas à la mairie de Bordeaux, président de l’Assemblée Nationale, seul avec Chaban, ce dernier ne croit pas aux lettres posthumes ni au suicide : « il (Chaban) est nerveux, triste, très, très ému, blanc, il dit : on l’a assassiné, voilà, il répète ça plusieurs fois. Je comprends que c’est dangereux parce qu’il me dit de faire attention à moi et de ne pas en parler. » A la question de Benoît Collombat : pourquoi ne pas avoir témoigné avant ? Il répond : « La trouille ! Aujourd’hui j’ai encore la trouille en vous parlant. »
Un nouveau témoin, prêt à témoigner devant un juge d’instruction, mais qui ne veut pas révéler son identité. Le 29 octobre 1979 à 17h, il s’est retrouvé nez-à-nez avec la voiture de Robert Boulin, dans la commune de Montfort-l’Amaury, dans les Yvelines, dernier endroit où Boulin a été vu vivant, mais stupeur, selon ce témoin, ce n’est pas Robert Boulin qui conduit sa voiture, il est assis côté passager à l’avant. C’est une autre personne qui est au volant et, à l’arrière, un autre individu, deux personnes inconnues de ce témoin.
Puisque la ré-ouverture de l’enquête semble traîner, les enquêtes journalistiques sérieuses et approfondies sont en mesure de bousculer l’agenda. L’ex-gaulliste de gauche Jean Charbonnel déclarait récemment à Antoine Perraud que son défunt ami du RPR, Sanguinetti, lui avait dit connaître le nom des deux commanditaires, que ne parle-t-il à la presse ? Puisque, de toute évidence, ce n’est pas sur la chancellerie qu’il faut compter pour accélérer le processus.
La fille de feu Robert Boulin, Fabienne Boulin Burgeat, a créé un site pour recueillir les pétitions et demander la ré-ouverture de l’enquête : http://www.robertboulin.net
Source : Jean-Louis Legalery, pour Mediapart, le 30 mai 2013.
Affaire Boulin : suicide ou assassinat, l’ombre de Jacques Chirac dans les deux cas ?
France 3 consacre deux soirées à l’affaire Robert Boulin, ministre du Travail et de la Participation sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing retrouvé mort dans un étang de la forêt de Rambouillet le 30 octobre 1979.
Affaire Boulin : suicide ou assassinat, l’ombre de Jacques Chirac dans les deux cas ?François Berléand dans le rôle de Robert Boulin. Crédit Téléfilm, “Crime d’Etat”, produit par Jean-Pierre Guérin
Atlantico : La chaîne France 3 consacre deux soirées à l’affaire Robert Boulin, ministre du Travail et de la Participation sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing retrouvé mort dans un étang de la forêt de Rambouillet le 30 octobre 1979. Le documentaire d’hier et le téléfilm de ce soir présentent des thèses opposées. La fiction opte pour la thèse de l’assassinat, le documentaire penche pour le suicide. Le nom de Jacques Chirac revient régulièrement dans les arguments des partisans des deux thèses.
Suicide ou assassinat, quel est selon vous le degré d’implication de l’ex président de la République dans cette disparition ?
Benoît Collombat : Au moment de sa disparition, Robert Boulin est un « gaulliste historique », indispensable à l’équilibre politique du gouvernement de Raymond Barre, qui subit alors la guérilla politique du RPR de Jacques Chirac. Pour Boulin, Chirac n’est pas un vrai gaulliste. Son OPA sur l’UDR en décembre 74, l’a révolté. Il rend sa carte avant de réintégrer le mouvement en janvier 76. Quelques mois plus tard, Chirac lance le RPR : une machine de guerre pour conquérir le pouvoir, depuis la mairie de Paris. La perspective de la présidentielle de mai 81 aiguise les appétits. Tous les coups sont permis pour apparaître comme le leader incontesté à droite.
En tant que gaulliste social et ancien résistant rallié à Giscard dont le nom est cité comme futur Premier ministre, Boulin devient une cible politique. C’est le RPR qui fait sortir dans la presse une affaire bidon de terrain à Ramatuelle pour tenter de ternir son image d’homme intègre. Un escroc, Henri Tournet, qui a grugé Boulin essaye de l’entraîner dans sa chute. Boulin sait d’où viennent les coups, et il n’entend pas se laisser faire. Il reçoit alors des menaces. A cette époque, Foccart met ses réseaux africains au service de Chirac. Par l’intermédiaire de Pierre Debizet (chargé de la sécurité du président Bongo), Foccart contrôle également les hommes du SAC (Service d’action civique), le service d’ordre du parti gaulliste, dont Jacques Chirac connaît l’importance au sein du mouvement. La violence physique est omniprésente dans ces années 70. Le SAC est engagé dans une dérive sanglante qui aboutira à la tuerie d’Auriol, en juillet 1981. Outre des militants sincères, on y croise alors des truands, des barbouzes, des mercenaires… Des « gros bras » actionnés en cas de problème. La contre-attaque de Boulin commence à inquiéter. C’est le SAC qui va détruire toutes les archives du ministre après sa disparition.
Qui avait, selon vous, le plus d’intérêt à voir disparaître Robert Boulin ?
Parmi les nombreux ministères qu’il a occupés, Robert Boulin a notamment été secrétaire d’Etat du Budget de 1962 à 1968, et ministre délégué de l’Economie et des Finances de 1977 à 1978. Ce sont des postes où on a une vision transversale de l’Etat. Ce sont des « tours de contrôles » budgétaires où l’on voit passer tous les flux financiers. Boulin était aux premières loges lors de la création d’Elf dans les années 60. Plus tard, il valide les commissions passées lors des gros contrats d’armement ou pétrolier. Il a également connaissance des flux opaques, et des valises de billets échangées notamment entre Paris et Libreville. Lors de sa contre-attaque, Robert Boulin menaçait notamment de révéler des éléments sur le financement du RPR et Elf-Gabon, comme le confirme aujourd’hui l’ancien assistant parlementaire du suppléant de Boulin, qui a supervisé l’opération de destruction des archives du ministre par le SAC. Un proche de Boulin, son conseiller presse, Patrice Blank, qui a joué un rôle trouble dans la nuit du 29 au 30 octobre 1979, en se rendant à plusieurs reprises dans le bureau de Boulin était également lié à ses intérêts « françafricains. » Il était membre du conseil d’administration de la FIBA, la banque d’Elf et d’Omar Bongo.
Robert Boulin était au moment de sa mort au milieu d’une affaire immobilière concernant des terrains à Ramatuelle. Ce qui s’est avéré plus tard comme une tentative de déstabilisation aurait-elle pu conduire le ministre au suicide ?
L’affaire de Ramatuelle n’est que la face émergée de l’iceberg. Les tenants de la thèse du suicide décrivent un Boulin désespéré par cette affaire, qui aurait inexorablement entraîné son geste fatal. Cette affaire le préoccupait, c’est incontestable, mais Boulin n’était pas suicidaire. Il se retrouvait pris dans une machination complexe à cause de cet escroc ami de Jacques Foccart, Henri Tournet. Un personnage redoutable qui met en avant ses prétendus états de services dans la Résistance pour faire des affaires. Il va se servir de son lien avec Foccart et du fait que son épouse est une amie d’enfance de la femme de Boulin pour vendre ce fameux terrain de Ramatuelle, en réalité déjà vendu.
A partir du moment où il comprend qu’Henri Tournet l’a piégé, Robert Boulin est bien décidé à se défendre. Il y consacre beaucoup d’énergie parce qu’il a sa conscience pour lui. De nombreux courriers à ses conseillers ou ses avocats et des échanges de lettres très vives avec Tournet montrent bien que Boulin ne prend pas cette histoire à la légère. Tournet lui demande d’intervenir pour obtenir des permis de construire. Mais Boulin refuse. Tournet enrage, mais il a tout prévu. L’escroc a monté un piège en faisant croire par un jeu d’écriture qu’il aurait cédé gratuitement son terrain à Boulin, ce qui est faux. Quand l’affaire va sortir dans la presse, Boulin cherche le meilleur moyen de se défendre. Il veut donner sa version au jeune juge Van Ruymbeke, que le garde des Sceaux de l’époque, Alain Peyrefitte, se fait un plaisir de présenter, à tort, comme « un juge rouge qui veut faire un carton sur un ministre. » Avant sa disparition, Boulin réfléchissait au meilleur moyen de se défendre et travaillait sur un projet de lettre au journal Le Monde concernant cette affaire de Ramatuelle. Une longue lettre transmise à deux collaborateurs qui ne sera jamais retrouvée par les enquêteurs. En résumé, cette « affaire » de terrain cache la véritable affaire : les conditions troubles de la disparition de Boulin.
Que dire des lenteurs et dysfonctionnements judiciaires depuis la découverte du corps de Robert Boulin ?
En 1979, l’autopsie est sabotée sur ordre du procureur : interdiction d’examiner le crâne, en invoquant une volonté familiale qui n’a jamais existé. Tous les prélèvements du sang de Robert Boulin et les organes du ministre sont ensuite détruits dans des conditions troubles. Rien n’a été fait pour prouver scientifiquement la soi-disant noyade de Robert Boulin, dont le visage ressemblait plus à un boxeur qu’à un noyé. Et ça continue aujourd’hui puisqu’en 2010 on a appris que des scellés judiciaires ont mystérieusement disparu, avant de réapparaître un mois plus tard, après la non-réouverture du dossier.
Le non-lieu de 1992 dans l’affaire Boulin constitue une défaite magistrale du point de vue du fonctionnement des institutions judiciaires. La juge d’instruction Laurence Vichniewski (qui n’était pas encore rompue aux arcanes de l’affaire Elf) clôt un dossier gargantuesque en quelques jours, en se conformant aux réquisitions de non lieu du parquet. En fait, l’arrière plan politique de cette affaire a toujours pollué le dossier judiciaire. Avant même que le Procureur général de la Cour d’appel de Paris, François Faletti, ne refuse la réouverture du dossier (en juin 2010), la garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, explique que le dossier est clôt, huit jours avant, en marge d’un déplacement à Libourne, la ville de Boulin ! Tout un symbole.
Alexandre Sanguinetti, un des fondateurs du SAC, a déclaré avant sa mort connaître le nom des deux assassins de Robert Boulin. L’homme est-il crédible ? Pourquoi ne pas entendre sa fille à qui il aurait confié ces noms ?
Alexandre Sanguinetti (mort en octobre 1980) était au cœur des réseaux gaullistes et du SAC. Il s’agit donc d’un témoignage important, d’autant plus qu’il est confirmé par d’autres ténors du gaullisme comme Jean Charbonnel ou Olivier Guichard (mort en janvier 2004.) Sa fille, Laetitia Sanguinetti, pourrait effectivement être entendue. Elle a des choses à dire. Mais il faudrait pour cela qu’un juge d’instruction reprenne le dossier en main. C’est possible. Car à tout moment l’affaire Boulin pourrait être relancée. Elle n’est pas éteinte judiciairement, puisque l’affaire ne sera prescrite qu’en 2017. Cela veut dire que le Procureur général peut, s’il le souhaite, confier à nouveau cette affaire à un juge d’instruction. C’est ce que réclame aujourd’hui encore la fille du ministre, Fabienne Boulin. Seul un juge d’instruction indépendant du pouvoir politique pourrait, par exemple, organiser une reconstitution sur place, des confrontations entre plusieurs témoins qui se contredisent, ou ordonner des expertises sur des scellés judiciaires. Le pouvoir actuel le souhaite-t-il ? Cela reste à prouver.
Alexandre Sanguinetti, un des fondateurs du SAC, a déclaré avant sa mort connaître le nom des deux assassins de Robert Boulin. L’homme est-il crédible ? Pourquoi ne pas entendre sa fille à qui il aurait confié ces noms ?
Alexandre Sanguinetti (mort en octobre 1980) était au cœur des réseaux gaullistes et du SAC. Il s’agit donc d’un témoignage important, d’autant plus qu’il est confirmé par d’autres ténors du gaullisme comme Jean Charbonnel ou Olivier Guichard (mort en janvier 2004.) Sa fille, Laetitia Sanguinetti, pourrait effectivement être entendue. Elle a des choses à dire. Mais il faudrait pour cela qu’un juge d’instruction reprenne le dossier en main. C’est possible. Car à tout moment l’affaire Boulin pourrait être relancée. Elle n’est pas éteinte judiciairement, puisque l’affaire ne sera prescrite qu’en 2017. Cela veut dire que le Procureur général peut, s’il le souhaite, confier à nouveau cette affaire à un juge d’instruction. C’est ce que réclame aujourd’hui encore la fille du ministre, Fabienne Boulin. Seul un juge d’instruction indépendant du pouvoir politique pourrait, par exemple, organiser une reconstitution sur place, des confrontations entre plusieurs témoins qui se contredisent, ou ordonner des expertises sur des scellés judiciaires. Le pouvoir actuel le souhaite-t-il ? Cela reste à prouver.
Source : Benoît Colombat, pour Atlantico, le 30 janvier 2013.
“Boulin n’est pas mort noyé”, selon celui qui a trouvé le corps
“Boulin n’est pas mort noyé”, selon celui qui a trouvé le corps© Jean Louis Duzert / Maxppp
Pour Francis Deswarte, ancien gendarme qui affirme avoir découvert le corps du ministre de Giscard d’Estaing, mort en 1979, Robert Boulin n’est pas mort noyé. Un nouvel argument pour la réouverture d’un des dossiers les plus sensibles de la Ve République.
«Boulin n’est pas mort noyé». La confession a dû donner un nouvel espoir à la famille du ministre. Alors que celle-ci se bat depuis des années pour rouvrir le dossier sur la mort du ministre en 1979, un ancien gendarme est venu apporter un nouvel élément accréditant la thèse de l’assassinat. La justice a jusqu’ici toujours retenu le scénario du suicide, appuyé sur les lettres envoyées par le ministre du Travail de Valéry Giscard d’Estaing à plusieurs proches et sur de nombreux témoignages. Ancien résistant et figure de la majorité d’alors, Robert Boulin avait été retrouvé, selon la version officielle, noyé dans 50 centimètres d’eau dans un étang de la forêt de Rambouillet le 30 octobre 1979, après avoir absorbé une forte quantité de barbituriques. Le nouveau témoin, Francis Deswarte, ancien chef d’une brigade motorisée missionné pour rechercher «une haute personnalité susceptible de mettre fin à ses jours», dit dans «20 minutes» avoir vu Robert Boulin la tête hors de l’eau, ce qui selon lui exclut la noyade.
Prenant une pause, le militaire affirme avoir été le premier à avoir découvert le corps de Robert Boulin. «On s’est arrêté près d’un tas de bois pour fumer. Et derrière, j’ai vu une bagnole. Une 305. En levant les yeux, je l’ai vu dans l’étang. Il était à genoux. La tête hors de l’eau. Et il regardait vers sa voiture», explique l’ancien gendarme. Selon lui, il est impossible que Robert Boulin soit mort noyé. «Il était quasiment à quatre pattes. La tête hors de l’eau. Ma conviction, c’est qu’il tentait de ramper jusqu’à la berge». Francis Deswart assure aussi avoir remarqué des traces sur le visage de Robert Boulin, «comme des griffures rouges». Si cet élément était déjà connu, il a toutefois été imputé à des manipulations du corps par les secouristes… C’est ainsi d’ailleurs, que les policiers ont présenté la chose à Francis Deswart, lors de son audition. «Ils m’ont expliqué que les pompiers avaient fait tomber le corps en le sortant de l’étang. Mais ce n’est pas vrai. J’étais là. Les pompiers l’ont sorti sans aucune difficulté», assure-t-il dans son entretien avec le quotidien gratuit.
A quand la réouverture du dossier ?
Ce témoignage devrait venir s’ajouter aux innombrables nouveaux éléments, apportés par la famille de Robert Boulin pour rouvrir son dossier. Me Olivier Morice, l’avocat de la famille a déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), en déclarant qu’en France aucun recours n’est possible contre la décision du parquet général – qui dépend du ministère. Une information judiciaire, menée entre 1983 et 1992, avait abouti à la conclusion que le ministre avait cédé à un accès de désespoir, en raison de sa possible mise en cause dans un scandale immobilier à Ramatuelle (Var) – ce scandale aurait été en réalité une arnaque dont avait été victime Boulin, et utilisé comme prétexte au suicide par les commanditaires du crime, selon la famille. Le jugement, confirmé en appel, n’a jamais pu être revu. «J’apporte chaque fois des faits nouveaux, des témoins nouveaux, que le procureur rejette systématiquement», expliquait Fabienne Boulin dans un entretien à Match, fin janvier. La fille du ministre vient de publier «Le dormeur du Val» (Don quichotte éditions), dans lequel elle relate son combat pour la vérité.
Huit lettres postées le 29 octobre 1979 expliquant son geste furent adressées à la police, à des avocats, à des médias et à différentes personnalités. Des témoins disent avoir vu le ministre les poster lui-même peu avant sa mort. Fabienne Boulin les voit comme des faux et voudrait notamment que la justice examine, puisque la technique le permet à présent, l’ADN qui pourrait se trouver sur les enveloppes. «Yves Corneloup, conseiller à la Cour de cassation, qui a instruit le dossier Boulin de 1984 à 1988, affirme qu’il est indispensable de lever toute ambiguïté sur cette affaire qui a connu nombre de dysfonctionnements. Ce haut magistrat énonce une évidence», expliquait dans nos colonnes, Me Olivier Morice. «Soit on retrouve l’ADN de Robert Boulin sur les timbres, soit on ne la retrouve pas, et on a alors la preuve d’un complot dénoncé par la famille Boulin».
Boulin, un crime d’État ?
Nombre d’éléments viennent en effet soutenir la thèse d’un assassinat, aux motifs politiques. Dans une longue enquête, publiée en 2009 dans un ouvrage intitulé «Un homme à abattre», le journaliste de France Inter Benoît Collombat a détaillé un ensemble de faits particulièrement troublants, mais qui n’ont jamais pu être exposés à la justice. Il y a ce «coup», visible à l’arrière du crâne de Robert Boulin, et la trace d’un «lien» au poignet, décrit par un ancien assistant des médecins légistes ayant participé à la deuxième autopsie en 1983. Ces écoutes téléphoniques qui révèlent que le Procureur général en charge de l’affaire était lié à des réseaux du Service d’action civique (Sac), que la famille de Robert Boulin soupçonne d’être à l’origine du crime. Les nombreux témoignages évoquant les allusions étonnantes sur le sort de Robert Boulin. Et surtout, les confidences d’Alexandre Sanguinetti, un des cofondateurs du Sac qui a donné à l’ex-ministre gaulliste Jean Charbonnel, les noms de deux assassins.
«J’attends que l’instruction soit rouverte pour pouvoir donner les noms à un juge d’instruction. J’ai bien entendu déposé une lettre dans un coffre avec le nom des deux assassins», avait expliqué Jean Charbonnel, dans le dossier que nous avions publié le mois dernier sur l’affaire. Les confidences d’Alexandre Sanguinetti ont d’ailleurs été confirmées, toujours dans nos colonnes, par sa fille Laetitia. «Je donnerai le nom des commanditaires du meurtre de Robert Boulin et de l’organisation responsable au juge d’instruction qui m’interrogera. Peu de temps avant sa mort, c’est mon père qui me les a donnés», a assuré Laetitia Sanguinetti, avant d’expliquer : «Robert est mort à cause de son intégrité. Il fallait l’empêcher de parler à cause de tout ce qu’il savait, notamment les dossiers de financement occulte des partis politiques de tous bords. Et puis parce que Giscard s’apprêtait à le nommer Premier ministre en remplacement de Raymond Barre. Son intégrité et ce pouvoir-là, ça leur a fait peur».
Source : Clément Mathieu, pour Paris Match, le 3 février 2011.
Boulin, 35 ans de forfaiture(s)
Voici 35 ans ce jeudi 30 octobre, à 8 h 40, des gendarmes sortent le corps du ministre Robet Boulin d’une mare de la forêt de Rambouillet.
A ce jour, le lieu, la date, (est-il mort le 29 ou le 30 octobre 1979 ?) l’heure et les circonstances de la mort du ministre du travail du gouvernement de Raymond Barre, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, demeurent inconnues.
Cet épais mystère est délibérément entretenu par les plus hautes instances de notre république. Alors que l’affaire Boulin n’est toujours pas prescrite, deux procureurs généraux, MM. Laurent Le Mesle et François Falletti ont, en 2007 et 2010, rejeté les demandes de réouverture de l’instruction pour homicide, malgré la pertinence des faits nouveaux présentés par la partie civile, la fille du ministre, Fabienne Boulin-Burgeat.
Cas sans précédent, la version officielle de la mort du ministre -un suicide par noyade après absorption de barbituriques, toujours en vigueur – est le résultat d’une fabrication mediatique réalisée en moins de 4 heures par la journaliste Danièle Breem . Ce scénario a été rendu public le 30 Octobre à 12 h 45 au journal de la mi-journée d ‘Antenne 2 (l’ancêtre de France 2) , alors que la dépouille du ministre n’était pas encore parvenue à l’Institut médico-légal de Paris, le cadavre n’ayant pas encore fait l’objet du moindre examen…
La “vérité officielle” avant les faits
La légende du suicide est gravée moins de quatre heures après la découverte officielle du corps, avant même le moindre examen médico-légal. Cette version tient intégralement dans le récit de la journaliste Danièle Breem, diffusé à partir de 12 h 45 sur Antenne 2, le mardi 30 octobre 1979. En neuf minutes, cette version médiatique est habilement distillée, pour devenir la version officielle de la mort du ministre et finalement s’imposer depuis 35 ans comme la vérité judiciaire…
Danièle Breem, décédée à 93 ans le 29 septembre 2014 nous avait précisé par écrit en 2011 qu’elle était à l’époque rédacteur en chef adjoint au service politique de la deuxième chaîne (Antenne 2). Sur sa méthode d’enquête express Mme Breem s’est bornée à indiquer « J’ai utilisé les documents émis par les assemblées et vécu sur place (NDLR : à l’Assemblée nationale) ce qui se passait, plus mes relations personnelles avec le monde politique » , ce qui n’explique en rien comment elle a pu faire état auprès de Jacques Chaban Delmas (alors président de l’Assemblée Nationale) du contenu d’une lettre posthume attribuée à Boulin qui sera reçue par son destinataire le lendemain, ni connaître les causes de la mort de Boulin, puisqu’aucun examen post mortem n’avait eu lieu lorsqu’elle passe à l’antenne…
UNE IMPRESSIONNANTE SERIE DE FAITS INCOMPATIBLES AVEC LE SCENARIO OFFICIEL
En contradiction avec les assertions de Daniéle Breem, il est avéré que le cadavre du ministre a été découvert une première fois entre une et deux heures dans la nuit du 30 octobre. Le permanencier au ministère de l’Intérieur, qui fit réveiller son ministre Christian Bonnet (ce que M. Bonnet a confirmé en 2011), était un jeune énarque, Claude Guéant, conseiller technique en charge des questions de sécurité.
Par ailleurs, les constatations des médecins légistes, outre l’absence de barbituriques, ont noté la présence de lividités cadaveriques sur le dos, incompatible avec la position, penché vers l’avant, dans laquelle a été retrouvé le corps .
Voilà qui suffit à établir que Boulin n’est pas mort là où il a été officiellement découvert à 8 h 40, ce dont il n’a jamais été tenu compte.
Sans renter dans les détails (pas moins de 75 incompatibilités, accessibles sur de nombreux sites, dont ce blog,) et notamment les articles sur Mediapart d’Antoine Perraud (Boulin, une bassesse française), le livre de Benoit Collombat (Un homme à abattre, Fayard 2007) ainsi que ses reportages sur France–inter, ainsi que le livre de Fabienne Boulin, (Le dormeur du val, Don Quichotte, 2011),http://www.robertboulin.net/, la fiche wikipedia, l’ebook d’OWNI « Boulin, le fantôme de la Vème republique », http://rue89.nouvelobs.com/2013/12/21/laffaire-boulin-secret-jeunesse-claude-gueant-248508, etc…
Michèle Aliot-Marie, alors Garde des Sceaux, mérite une mention spéciale: En 2010, elle se rendit tout exprès à Libourne (dont Robert Boulin fut maire pendant 25 ans) une semaine avant l’audience accordée par le procureur général Falletti à Fabienne Boulin–Burgeat. Elle y déclara que l’instruction sur la mort de Boulin « ne devait pas être réouverte » car il n’y avait, selon elle, aucune charge nouvelle, comme si elle voulait être certaine d’être bien comprise par M. Falletti.
C’est la même MAM qui, en 2013, s’érigea en défenseur de la sacro-sainte indépendance de la justice lorsque l’actuelle ministre de la justice, Christiane Taubira, envisagea de déplacer le même procureur général de Paris, Falletti, toujours en fonction …
LE MOBILE DU CRIME
En septembre 1979 le président Giscard était venu à Libourne rendre hommage aux qualités d’homme d’état de son ministre Boulin. Pour la plupart des observateurs, il s’agissait du prélude à sa désignation comme premier ministre, dans la perspective des élections de 1981, la chute de la popularité de Raymond Barre étant considérée comme un obstacle à la réelection de Giscard.
Quelques jours après, inspirés par des proches du clan Chirac, des articles mettant en cause la probité du ministre parurent dans Minute et le Canard enchainé.
Le dimanche 21 octobre 1979, Robert Boulin était l’invité du club de la presse d’ Europe 1. Il s’explique longuement sur les attaques qu’il avait subies dans la presse sur son acquisition, en 1973, d’un terrain à Ramatuelle (Var) et avait clairement laissé entendre qu’il avait les moyens de confondre ses détracteurs, une menace qui n’a manifestement pas été prise à la légère.
Voici, compte tenu des éléments accumulées, la reconstitution la plus vraisemblable, qui intègre les pièces du puzzle. Alors que les enquêteurs n’ont jamais pris en compte deux faits déterminants (lividités cadavériques et heure réelle de la découverte du corps) qui auraient dû les conduire à ne pas uniquement considérer l’hypothèse du suicide.
En 1979 comme aujourd’hui, les environs de Montfort-l’Amaury, abritent nombre de vastes propriétés. Certaines appartiennent à des personnalités liées au parti gaulliste et à de puissants hommes d’affaires qui leur sont proches. Ceintes de hauts murs, entourées de parcs arborés, ces belles demeures ne sont pour la plupart habitées que le week-end. L’une d’elles hébergea, selon toute vraisemblance, l’après-midi du lundi 29 octobre un traquenard dont Boulin ne sortit pas vivant. Au programme : passage à tabac, et sans doute plus, car il fallait faire parler l’ancien résistant Boulin, lui faire cracher où étaient les dossiers – et leurs doubles – qu’il avait imprudemment menacé de rendre publics une semaine avant .
Est-il mort sous les coups ? A-t-il été achevé par ses bourreaux ? En tout état de cause, il était impensable de relâcher vivant un ministre en exercice violemment battu. Au milieu de la nuit, les hommes de main rendent compte de leur mission. Le procureur général Chalret, important membre du SAC (Service d’Action Civique, milice gaulliste), est prévenu, ainsi que les plus hautes autorités de l’État. Il reste environ sept heures pour scénariser un accident ou un suicide. Pour expliquer l’apparence de boxeur groggy du visage de Boulin, un vrai-faux accident de voiture est tout indiqué. Faute de main d’œuvre qualifiée pour une telle mise en scène, il faut se contenter du scénario du suicide, inspiré par la proximité des Etangs de Hollande, où des noyés sont parfois repêchés. Mais la forêt de Rambouillet n’est pas déserte la nuit, des braconniers et des promeneurs venus entendre le brâme du cerf se baladent dans le coin, il faut donc se replier sur l’Étang Rompu, où jamais personne ne se noya dans cinquante centimètres d’eau et de vase. Le poids de certaines hiérarchies fit le reste.
Source : Casanier, pour Mediapart, le 29 octobre 2014.
Affaire Boulin : « J’ai mis les deux noms dans un coffre »
Sanguinetti lui a livré deux noms comme étant ceux des assassins. L’ancien ministre les tient à la disposition de la justice.
Jean Charbonnel. PHOTO AFP
Les noms du commanditaire et de l’exécutant de l’assassinat de Robert Boulin, tels qu’Alexandre Sanguinetti me les avait glissés en décembre 1979, sont déposés dans un coffre. S’il m’arrive quelque chose, on les retrouvera toujours. » Jean Charbonnel, 83 ans, grande figure du gaullisme social, a mis longtemps avant d’« ouvrir les yeux » sur la mort de Robert Boulin. Malgré cette confidence. Il était pourtant proche du député-maire de Libourne.
« La dernière fois que je l’ai croisé, c’était deux mois avant sa mort, sur un trottoir de la rue de Varenne. “Comment vas-tu, Jean ? J’aurais à te parler”, m’avait-il dit. Après, j’ai compris qu’il voulait probablement évoquer l’éventualité de sa nomination au poste de Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing. Non seulement il était brillant, mais c’était le meilleur débatteur du groupe gaulliste. On cherchait à le déstabiliser. Il a été tué soit parce qu’il était sur le point d’entrer à Matignon, soit parce qu’il avait les moyens de confondre ceux qui cherchaient à le déstabiliser. Ou peut-être à cause de ces deux raisons à la fois. »
Jean Charbonnel reconnaît avoir mis très longtemps à accepter la version d’Alexandre Sanguinetti, baron du gaullisme et fondateur du Service d’action civique (SAC), l’officine créée vingt ans plus tôt par les gaullistes pour lutter contre les attentats commis en France par l’OAS et les tenants de l’Algérie française. « Vous comprenez, j’avais vu la lettre signée de Boulin parvenue chez Chaban lui annonçant son suicide », explique-t-il. C’est la lecture du livre de Benoît Collombat (« Un homme à abattre ») qui a été déterminante. « Depuis, j’attends que les magistrats, si scrupuleux de leur indépendance et de leur dignité, fassent enfin leur travail. Je ne peux livrer les deux noms que m’avaient glissés Sanguinetti en pâture, comme cela. Je ne peux les révéler qu’à un juge. »
« Un séisme politique »
Alexandre Sanguinetti lui avait fait cette confidence deux mois après la mort de Boulin, au cours d’un repas à Brive, dont Jean Charbonnel était maire. « Nous devions nous revoir pour en parler. Il est mort avant. » Haut en couleur, Alexandre Sanguinetti avait parfois le verbe fort. Jean Charbonnel convient que la chose lui était apparue tellement énorme qu’il l’avait prise pour de l’outrance. « Le nom du commanditaire, si c’est bien lui, est très connu. Celui de l’exécutant ne me disait rien en 1979. Depuis, je me suis renseigné. L’un comme l’autre sont encore en vie. Si la justice veut les interroger, il faut néanmoins qu’elle se presse. »
Selon lui, si la confidence de Sanguinetti s’avérait exacte, cela provoquerait aujourd’hui encore un séisme politique. « Si personne n’a rien voulu voir et entendre, c’est que les répercussions auraient été trop fortes, sans doute. » Comment une telle chose a-t-elle pu se produire ? « Nous vivions une période de transition. C’était la fin du gaullisme gaullien. Mais les murs étaient encore violentes, à droite comme à gauche. Les réseaux issus de la guerre, de l’OAS, ceux du SAC étaient encore actifs, sans véritable chef à la tête. Les barons du gaullisme, dont certains avaient lâché Chaban en 1974, avaient créé du vide. Les meurtres de Brooglie, Boulin et Fontanet ont eu ce vide pour toile de fond. »
Source : Dominique de Laage, pour Sud Ouest, le 12 février 2011.
P.S. Jean Charbonnel est mort l’année dernière…
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