Hiroshima : un crime qui paie encore, mais gare au jugement de l’histoire
Diana JOHNSTONE
Lors de sa visite à Hiroshima en mai dernier, Obama n’a pas, comme certains l’avaient vainement espéré, présenté des excuses pour le bombardement atomique de la ville, le 6 août 1945. Au lieu de cela, il a prononcé un discours ronflant lénifiant contre la guerre. Il l’a fait au moment même où il poursuivait sa guerre de drones contre des ennemis sans défense dans des pays lointains et approuvait des plans pour dépenser mille milliards de dollars pour une mise à niveau de l’arsenal nucléaire américain.
Des excuses auraient été aussi inutiles que son discours. Des paroles creuses ne changent rien. Mais voici une chose que Obama aurait pu dire qui aurait eu un véritable impact : la vérité.
Il aurait pu dire :
« Les bombes atomiques n’ont pas été larguées sur Hiroshima et Nagasaki "pour sauver des vies en mettant fin à la guerre". Ce fut un mensonge officiel. Les bombes ont été larguées pour observer leurs effets et pour montrer au monde que les États-Unis possédaient une puissance destructrice illimitée. »
Mais il n’y avait aucune chance qu’Obama prononce de telles phrases. Officiellement, le bombardement « a sauvé des vies » et cela donc en « valait le coût » (comme dira Madeleine Albright quant au demi-million d’enfants irakiens morts à cause des sanctions U.S.). Comme les villages vietnamiens que nous avons détruits pour les sauver, comme les innombrables enfants irakiens qui sont morts à la suite des sanctions américaines, les centaines de milliers de femmes et d’enfants agonisants dans deux villes japonaises figurent encore au débit des comptes que les États-Unis ont à rendre à l’humanité, une dette toujours impayée et impunie.
« Cela en valait le coût »
La décision de détruire Hiroshima et Nagasaki fut une décision politique et non militaire. Les objectifs ne furent pas militaires, les effets ne furent pas militaires. Les attaques furent menées contre la volonté de tous les grands chefs militaires. L’Amiral William Leahy, chef d’État-major interarmées à l’époque, écrit dans ses mémoires que « l’utilisation de cette arme barbare à Hiroshima et Nagasaki n’était d’aucune aide matérielle dans notre guerre contre le Japon. Les Japonais étaient déjà vaincus et prêts à se rendre ... » Le général Eisenhower, le général MacArthur, et même le général Hap Arnold, commandant de la Force aérienne, se sont opposés à l’usage de cette arme. Le Japon était déjà dévasté par des bombes incendiaires, faisait face à une famine généralisée à cause du blocus naval des États-Unis, se retrouvait démoralisé par la reddition de son allié allemand, et craignait une attaque russe imminente. En réalité, la guerre était terminée. Tous les hauts dirigeants américains savaient que le Japon était vaincu et cherchait à se rendre.
La décision d’utiliser les bombes atomiques fut une décision purement politique prise presque uniquement par deux politiciens : Le Président novice, joueur de poker, et son mentor, le secrétaire d’État James F. Byrnes [1]
Le président Harry S. Truman était en réunion avec Churchill et Staline dans la banlieue berlinoise de Potsdam lorsqu’il apprit l’information secrète que l’essai atomique dans le Nouveau-Mexique avait été un succès. Les observateurs se souviennent que Truman devint « un autre homme », rendu euphorique par la possession d’un tel pouvoir. Alors que d’autres hommes moins superficiels furent ébranlés devant les implications d’une telle force destructrice, pour Truman et son et secrétaire d’Etat intriguant, James Byrnes, le message était : « Maintenant, on peut tout se permettre »
Sur les bases de cette présomption, ils se sont empressé d’agir - d’abord dans leurs relations avec Moscou.
En réponse aux appels répétés des Etats-Unis, Staline a promis d’entrer en guerre en Asie trois mois après la défaite de l’Allemagne nazie, qui eut lieu au début de mai 1945. Il était bien connu que les forces d’occupation japonaises en Chine et en Mandchourie ne pouvaient résister à l’Armée rouge. Il était entendu que deux choses pouvaient entraîner la reddition immédiate du Japon : l’entrée de la Russie dans la guerre et l’assurance des Etats-Unis que la famille royale ne serait pas traitée comme des criminels de guerre.
Ces deux événements se sont produits dans les jours qui ont suivi le bombardement d’Hiroshima et de Nagasaki.
Mais les deux ont été éclipsés par la bombe atomique.
Et c’était bien l’objectif recherché.
Car ainsi, le crédit de la fin de la guerre fut attribué aux bombes atomiques américaines.
Mais ce n’est pas tout.
La possession confirmée d’une telle arme donna à Truman et Byrnes un tel sentiment de puissance qu’ils pouvaient abandonner les promesses antérieures faites aux Russes et tenter d’intimider Moscou en Europe. En ce sens, les bombes sur Hiroshima et Nagasaki ont non seulement tué sans raison des centaines de milliers de civils mais ont également déclenché la guerre froide.
Hiroshima et la guerre froide
Une observation très importante sur les effets de la bombe atomique est attribuée au général Dwight D. Eisenhower. Comme son fils l’a raconté, il était profondément abattu en apprenant à la dernière heure que le bombe serait utilisée. Peu après Hiroshima, Eisenhower aurait dit en privé :
« Avant l’utilisation de la bombe, j’aurais dit oui, je suis sûr que nous pouvons préserver la paix avec la Russie. Maintenant, je ne sais pas. Jusqu’à présent, je vous aurais dit que nous trois, la Grande-Bretagne avec sa puissante flotte, l’Amérique avec la plus puissante force aérienne, et la Russie avec la plus grande force terrestre sur le continent, à nous trois nous aurions pu garantir la paix du monde pendant une longue, très longue période à venir. Mais maintenant, je ne sais pas. Partout les gens ont peur et sont secoués. Tout le monde se sent en insécurité à nouveau ». [2]
En tant que commandant suprême des Forces alliées en Europe, Eisenhower avait appris qu’il était possible de travailler avec les Russes. Les systèmes économiques et politiques intérieurs des États-Unis et de l’URSS étaient totalement différents, mais sur la scène internationale, ils pouvaient coopérer. En tant qu’alliés, leurs différences étaient principalement dues à la méfiance et pouvaient être réglés.
L’Union soviétique victorieuse avait été dévastée par la guerre : les villes en ruines, une vingtaine de millions de morts. Les Russes voulaient de l’aide pour reconstruire. Auparavant, sous Roosevelt, il avait été convenu que l’Union soviétique obtiendrait des réparations de l’Allemagne, ainsi que des crédits des États-Unis. Tout à coup, il n’en était plus question. Lorsque la nouvelle de l’essai au Nouveau-Mexique est tombée, Truman s’écria : « Maintenant, les Russes vont marcher droit. » Parce qu’ils se sentaient tout à coup tout-puissants, Truman et Byrnes décidèrent de faire preuve de fermeté devant les Russes.
Staline apprit maintenant que la Russie ne pourrait obtenir des réparations que sur la partie orientale de l’Allemagne, en grande partie agricole, qui se trouvait sous occupation de l’Armée rouge. Ce fut la première étape de la division de l’Allemagne, à laquelle Moscou en fait s’est opposée.
Puisque plusieurs des pays d’Europe de l’Est s’étaient alliés à l’Allemagne nazie, et comptaient de puissants éléments anti-russes, la seule condition de Staline pour ces pays (alors occupés par l’Armée rouge) était que leurs gouvernements ne devaient pas être activement hostiles à l’URSS. Pour cette raison, Moscou favorisait la formule de « démocraties populaires », c’est-à-dire des coalitions excluant les partis d’extrême droite.
Se sentant tout-puissants, les Etats-Unis haussèrent le niveau de leurs exigences en demandant des « élections libres » dans l’espoir d’installer des gouvernements anti-communistes. Ce qui se retourna contre eux. Au lieu de céder à la menace atomique implicite, l’Union soviétique s’est durcie. Au lieu de desserrer le contrôle politique de l’Europe de l’Est, Moscou imposa des régimes communistes - et accéléra son propre programme de bombe atomique. La course aux armements nucléaires était lancée.
« Le beurre et l’argent du beurre »
John J. McCloy, qualifié par son biographe Kai Bird comme le « président informel de l’establishment américain », déclara à l’époque au Secrétaire de guerre Henry Stimson que : « nous devons avoir le beurre et l’argent du beurre ; nous devons être libres d’agir en vertu du présent accord régional en Amérique du Sud, et en même temps intervenir rapidement en Europe ; que nous ne devons céder aucun de ces atouts... » [3] Stimson répondit : « Je pense que oui, sans hésitation. »
En bref, les États-Unis devaient conserver leur sphère d’influence sur tout le continent américain, revendiquée par la doctrine Monroe, tout en privant la Russie de sa propre zone tampon.
Il est nécessaire de reconnaître la distinction nette entre politique intérieure et politique étrangère. La nature du régime intérieur soviétique a peut-être été aussi affreux qu’on le décrit, mais en matière de politique étrangère, Staline respectait scrupuleusement les accords passés avec les alliés occidentaux - l’abandon, par exemple, des communistes grecs lorsqu’ils étaient écrasés par les Anglo-Americans après la guerre. Ce furent les États-Unis qui ont renié les accords passés à Yalta, qui ont par la suite été stigmatisés comme autant de concessions faites à « l’agression communiste ». Staline n’avait absolument aucun désir de promouvoir la révolution communiste en Europe occidentale, encore moins d’envahir ces pays. En fait, son abandon du projet de promotion de la révolution mondiale est précisément la base de la campagne contre le « stalinisme » par les Trotskystes - y compris des Trotskystes dont la dévotion à la révolution mondiale s’est maintenant transformée en une promotion des guerres de « changement de régime » des États-Unis.
Il y a une doctrine dominante en Occident selon laquelle les dictatures font la guerre et les démocraties font la paix. Rien ne démontre cette théorie. Des dictatures (prenez l’Espagne de Franco) peuvent être conservatrices et autocentrées. Les principales puissances impérialistes, la Grande-Bretagne et la France, étaient des démocraties. L’Amérique démocratique est loin d’être pacifique.
Tandis que l’Union soviétique développait son propre arsenal nucléaire, les États-Unis furent incapables d’interférer efficacement en Europe de l’Est et se retournèrent vers des ennemis plus faibles, en renversant les gouvernements en Iran et au Guatemala, en s’enlisant au Vietnam, selon la théorie qu’ils n’étaient que des agents de l’ennemi communiste soviétique. Mais depuis que l’Union soviétique s’est effondrée, abandonnant la zone tampon de la Russie en Europe de l’Est, on voit une résurgence de la confiance qui submergea Truman : l’euphorie du pouvoir sans limites. Sinon, pourquoi le Pentagone lancerait-il un programme de mille milliards de dollars pour renouveler l’arsenal nucléaire des Etats-Unis, tout en positionnant des troupes et des armes offensives aussi près que possible de la frontière russe ?
Dans son livre The President Is Calling (Le Président Appelle) de 1974 sur ses relations avec son frère Dwight, Milton Eisenhower a écrit : « Notre emploi de cette nouvelle force à Hiroshima et Nagasaki fut une provocation suprême à d’autres nations, en particulier l’Union Soviétique. » Et il a ajouté, « Certes, ce qui est arrivé à Hiroshima et Nagasaki restera à jamais sur la conscience du peuple américain. »
Hélas, à ce jour, tout prouve le contraire. La conscience critique a été marginalisée. Les mensonges officiels systématiques sur la « nécessité de sauver des vies américaines », persistent, tandis que la puissance de la bombe a créé un sentiment durable de’ « exceptionnalisme » vertueux chez les dirigeants du pays. Il n’y a que nous les Américains qui puissions faire ce que les autres ne peuvent pas faire, parce que nous sommes « libres » et « démocratiques » et les autres – si nous choisissons de les désigner ainsi - ne le sont pas. D’autres pays, parce que non « démocratiques », peuvent être détruits afin d’être libérés. Ou juste détruits. C’est cela au fond, « l’exceptionnalisme » qui, à Washington, se substitue à la « conscience du peuple américain » qui n’a pas été suscitée par Hiroshima, mais étouffée.
La Conscience en Sommeil
En tant qu’invité à Hiroshima, Obama a pontifié habilement :
« Les guerres de l’ère moderne nous enseignent cette vérité. Hiroshima enseigne cette vérité. Les progrès technologiques sans progrès équivalents dans les institutions humaines peuvent nous condamner. La révolution scientifique qui a conduit à la division d’un atome nécessite une révolution morale. »
Eh bien oui, mais une telle révolution morale n’a pas eu lieu.
« ... La mémoire du matin du 6 août 1945, ne doit jamais s’effacer. Cette mémoire permet de combattre la complaisance. Elle alimente notre imagination morale. Il nous permet de changer. »
« Changer » est une spécialité d’Obama. Mais il n’a rien fait pour changer notre politique sur les armes nucléaires, sauf pour la renforcer. Aucune trace d’ « imagination morale » imaginant la dévastation vers laquelle cette politique nous mène. Pas d’idées imaginatives pour réaliser le désarmement nucléaire. Juste des promesses de ne pas laisser les méchants s’emparer de telles armes, parce qu’elles sont à nous.
« Et depuis ce jour fatidique, » a poursuivi Obama, « nous avons fait des choix qui nous donnent espoir. Les États-Unis et le Japon ont forgé non seulement une alliance, mais une amitié qui a gagné beaucoup plus pour notre peuple que nous n’aurions jamais pu obtenir par la guerre. »
Comme c’est sinistre. En fait, ce fut précisément par la guerre que les États-Unis ont forgé cette alliance et cette amitié - que les États-Unis essaient maintenant de militariser dans son « pivot asiatique ». Cela signifie que nous pouvons rayer de la carte avec des armes nucléaires deux villes d’un pays et finir avec « non seulement une alliance, mais une amitié ». Alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas se faire encore plus de ce genre d’ « amis », par exemple en Iran, pays à propos duquel Hillary Clinton a exprimé sa volonté de l’« éradiquer » si les circonstances le nécessitent.
« Voilà un avenir que nous pouvons choisir », a déclaré Obama, « un avenir dans lequel Hiroshima et Nagasaki sont connues non pas comme l’aube de la guerre atomique, mais comme le début de notre propre éveil moral. »
Mais jusqu’à présent, Hiroshima et Nagasaki sont très loin de marquer le « début de notre propre éveil moral ». Au contraire. L’illusion de posséder un pouvoir sans limites ôte toute nécessité d’auto-examen critique, toute nécessité de faire un véritable effort pour comprendre ceux qui ne sont pas comme nous et qui ne veulent pas être comme nous, mais pourraient partager la planète en paix si nous les laissions tranquilles.
Puisque nous sommes tout-puissants, nous devons être une force du bien. En réalité, nous ne sommes ni l’un ni l’autre. Mais nous semblons incapables de reconnaître les limites de notre « exceptionnalisme ».
Les bombes sur Hiroshima et Nagasaki ont plongé les dirigeants des États-Unis dans un sommeil moral dont ils ne sont pas près de se réveiller.
Diana Johnstone
Traduction "des bombes atomiques ? Pas de problème, il y en a pour tout le monde" par VD pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles
Des excuses auraient été aussi inutiles que son discours. Des paroles creuses ne changent rien. Mais voici une chose que Obama aurait pu dire qui aurait eu un véritable impact : la vérité.
Il aurait pu dire :
« Les bombes atomiques n’ont pas été larguées sur Hiroshima et Nagasaki "pour sauver des vies en mettant fin à la guerre". Ce fut un mensonge officiel. Les bombes ont été larguées pour observer leurs effets et pour montrer au monde que les États-Unis possédaient une puissance destructrice illimitée. »
Mais il n’y avait aucune chance qu’Obama prononce de telles phrases. Officiellement, le bombardement « a sauvé des vies » et cela donc en « valait le coût » (comme dira Madeleine Albright quant au demi-million d’enfants irakiens morts à cause des sanctions U.S.). Comme les villages vietnamiens que nous avons détruits pour les sauver, comme les innombrables enfants irakiens qui sont morts à la suite des sanctions américaines, les centaines de milliers de femmes et d’enfants agonisants dans deux villes japonaises figurent encore au débit des comptes que les États-Unis ont à rendre à l’humanité, une dette toujours impayée et impunie.
« Cela en valait le coût »
La décision de détruire Hiroshima et Nagasaki fut une décision politique et non militaire. Les objectifs ne furent pas militaires, les effets ne furent pas militaires. Les attaques furent menées contre la volonté de tous les grands chefs militaires. L’Amiral William Leahy, chef d’État-major interarmées à l’époque, écrit dans ses mémoires que « l’utilisation de cette arme barbare à Hiroshima et Nagasaki n’était d’aucune aide matérielle dans notre guerre contre le Japon. Les Japonais étaient déjà vaincus et prêts à se rendre ... » Le général Eisenhower, le général MacArthur, et même le général Hap Arnold, commandant de la Force aérienne, se sont opposés à l’usage de cette arme. Le Japon était déjà dévasté par des bombes incendiaires, faisait face à une famine généralisée à cause du blocus naval des États-Unis, se retrouvait démoralisé par la reddition de son allié allemand, et craignait une attaque russe imminente. En réalité, la guerre était terminée. Tous les hauts dirigeants américains savaient que le Japon était vaincu et cherchait à se rendre.
La décision d’utiliser les bombes atomiques fut une décision purement politique prise presque uniquement par deux politiciens : Le Président novice, joueur de poker, et son mentor, le secrétaire d’État James F. Byrnes [1]
Le président Harry S. Truman était en réunion avec Churchill et Staline dans la banlieue berlinoise de Potsdam lorsqu’il apprit l’information secrète que l’essai atomique dans le Nouveau-Mexique avait été un succès. Les observateurs se souviennent que Truman devint « un autre homme », rendu euphorique par la possession d’un tel pouvoir. Alors que d’autres hommes moins superficiels furent ébranlés devant les implications d’une telle force destructrice, pour Truman et son et secrétaire d’Etat intriguant, James Byrnes, le message était : « Maintenant, on peut tout se permettre »
Sur les bases de cette présomption, ils se sont empressé d’agir - d’abord dans leurs relations avec Moscou.
En réponse aux appels répétés des Etats-Unis, Staline a promis d’entrer en guerre en Asie trois mois après la défaite de l’Allemagne nazie, qui eut lieu au début de mai 1945. Il était bien connu que les forces d’occupation japonaises en Chine et en Mandchourie ne pouvaient résister à l’Armée rouge. Il était entendu que deux choses pouvaient entraîner la reddition immédiate du Japon : l’entrée de la Russie dans la guerre et l’assurance des Etats-Unis que la famille royale ne serait pas traitée comme des criminels de guerre.
Ces deux événements se sont produits dans les jours qui ont suivi le bombardement d’Hiroshima et de Nagasaki.
Mais les deux ont été éclipsés par la bombe atomique.
Et c’était bien l’objectif recherché.
Car ainsi, le crédit de la fin de la guerre fut attribué aux bombes atomiques américaines.
Mais ce n’est pas tout.
La possession confirmée d’une telle arme donna à Truman et Byrnes un tel sentiment de puissance qu’ils pouvaient abandonner les promesses antérieures faites aux Russes et tenter d’intimider Moscou en Europe. En ce sens, les bombes sur Hiroshima et Nagasaki ont non seulement tué sans raison des centaines de milliers de civils mais ont également déclenché la guerre froide.
Hiroshima et la guerre froide
Une observation très importante sur les effets de la bombe atomique est attribuée au général Dwight D. Eisenhower. Comme son fils l’a raconté, il était profondément abattu en apprenant à la dernière heure que le bombe serait utilisée. Peu après Hiroshima, Eisenhower aurait dit en privé :
« Avant l’utilisation de la bombe, j’aurais dit oui, je suis sûr que nous pouvons préserver la paix avec la Russie. Maintenant, je ne sais pas. Jusqu’à présent, je vous aurais dit que nous trois, la Grande-Bretagne avec sa puissante flotte, l’Amérique avec la plus puissante force aérienne, et la Russie avec la plus grande force terrestre sur le continent, à nous trois nous aurions pu garantir la paix du monde pendant une longue, très longue période à venir. Mais maintenant, je ne sais pas. Partout les gens ont peur et sont secoués. Tout le monde se sent en insécurité à nouveau ». [2]
En tant que commandant suprême des Forces alliées en Europe, Eisenhower avait appris qu’il était possible de travailler avec les Russes. Les systèmes économiques et politiques intérieurs des États-Unis et de l’URSS étaient totalement différents, mais sur la scène internationale, ils pouvaient coopérer. En tant qu’alliés, leurs différences étaient principalement dues à la méfiance et pouvaient être réglés.
L’Union soviétique victorieuse avait été dévastée par la guerre : les villes en ruines, une vingtaine de millions de morts. Les Russes voulaient de l’aide pour reconstruire. Auparavant, sous Roosevelt, il avait été convenu que l’Union soviétique obtiendrait des réparations de l’Allemagne, ainsi que des crédits des États-Unis. Tout à coup, il n’en était plus question. Lorsque la nouvelle de l’essai au Nouveau-Mexique est tombée, Truman s’écria : « Maintenant, les Russes vont marcher droit. » Parce qu’ils se sentaient tout à coup tout-puissants, Truman et Byrnes décidèrent de faire preuve de fermeté devant les Russes.
Staline apprit maintenant que la Russie ne pourrait obtenir des réparations que sur la partie orientale de l’Allemagne, en grande partie agricole, qui se trouvait sous occupation de l’Armée rouge. Ce fut la première étape de la division de l’Allemagne, à laquelle Moscou en fait s’est opposée.
Puisque plusieurs des pays d’Europe de l’Est s’étaient alliés à l’Allemagne nazie, et comptaient de puissants éléments anti-russes, la seule condition de Staline pour ces pays (alors occupés par l’Armée rouge) était que leurs gouvernements ne devaient pas être activement hostiles à l’URSS. Pour cette raison, Moscou favorisait la formule de « démocraties populaires », c’est-à-dire des coalitions excluant les partis d’extrême droite.
Se sentant tout-puissants, les Etats-Unis haussèrent le niveau de leurs exigences en demandant des « élections libres » dans l’espoir d’installer des gouvernements anti-communistes. Ce qui se retourna contre eux. Au lieu de céder à la menace atomique implicite, l’Union soviétique s’est durcie. Au lieu de desserrer le contrôle politique de l’Europe de l’Est, Moscou imposa des régimes communistes - et accéléra son propre programme de bombe atomique. La course aux armements nucléaires était lancée.
« Le beurre et l’argent du beurre »
John J. McCloy, qualifié par son biographe Kai Bird comme le « président informel de l’establishment américain », déclara à l’époque au Secrétaire de guerre Henry Stimson que : « nous devons avoir le beurre et l’argent du beurre ; nous devons être libres d’agir en vertu du présent accord régional en Amérique du Sud, et en même temps intervenir rapidement en Europe ; que nous ne devons céder aucun de ces atouts... » [3] Stimson répondit : « Je pense que oui, sans hésitation. »
En bref, les États-Unis devaient conserver leur sphère d’influence sur tout le continent américain, revendiquée par la doctrine Monroe, tout en privant la Russie de sa propre zone tampon.
Il est nécessaire de reconnaître la distinction nette entre politique intérieure et politique étrangère. La nature du régime intérieur soviétique a peut-être été aussi affreux qu’on le décrit, mais en matière de politique étrangère, Staline respectait scrupuleusement les accords passés avec les alliés occidentaux - l’abandon, par exemple, des communistes grecs lorsqu’ils étaient écrasés par les Anglo-Americans après la guerre. Ce furent les États-Unis qui ont renié les accords passés à Yalta, qui ont par la suite été stigmatisés comme autant de concessions faites à « l’agression communiste ». Staline n’avait absolument aucun désir de promouvoir la révolution communiste en Europe occidentale, encore moins d’envahir ces pays. En fait, son abandon du projet de promotion de la révolution mondiale est précisément la base de la campagne contre le « stalinisme » par les Trotskystes - y compris des Trotskystes dont la dévotion à la révolution mondiale s’est maintenant transformée en une promotion des guerres de « changement de régime » des États-Unis.
Il y a une doctrine dominante en Occident selon laquelle les dictatures font la guerre et les démocraties font la paix. Rien ne démontre cette théorie. Des dictatures (prenez l’Espagne de Franco) peuvent être conservatrices et autocentrées. Les principales puissances impérialistes, la Grande-Bretagne et la France, étaient des démocraties. L’Amérique démocratique est loin d’être pacifique.
Tandis que l’Union soviétique développait son propre arsenal nucléaire, les États-Unis furent incapables d’interférer efficacement en Europe de l’Est et se retournèrent vers des ennemis plus faibles, en renversant les gouvernements en Iran et au Guatemala, en s’enlisant au Vietnam, selon la théorie qu’ils n’étaient que des agents de l’ennemi communiste soviétique. Mais depuis que l’Union soviétique s’est effondrée, abandonnant la zone tampon de la Russie en Europe de l’Est, on voit une résurgence de la confiance qui submergea Truman : l’euphorie du pouvoir sans limites. Sinon, pourquoi le Pentagone lancerait-il un programme de mille milliards de dollars pour renouveler l’arsenal nucléaire des Etats-Unis, tout en positionnant des troupes et des armes offensives aussi près que possible de la frontière russe ?
Dans son livre The President Is Calling (Le Président Appelle) de 1974 sur ses relations avec son frère Dwight, Milton Eisenhower a écrit : « Notre emploi de cette nouvelle force à Hiroshima et Nagasaki fut une provocation suprême à d’autres nations, en particulier l’Union Soviétique. » Et il a ajouté, « Certes, ce qui est arrivé à Hiroshima et Nagasaki restera à jamais sur la conscience du peuple américain. »
Hélas, à ce jour, tout prouve le contraire. La conscience critique a été marginalisée. Les mensonges officiels systématiques sur la « nécessité de sauver des vies américaines », persistent, tandis que la puissance de la bombe a créé un sentiment durable de’ « exceptionnalisme » vertueux chez les dirigeants du pays. Il n’y a que nous les Américains qui puissions faire ce que les autres ne peuvent pas faire, parce que nous sommes « libres » et « démocratiques » et les autres – si nous choisissons de les désigner ainsi - ne le sont pas. D’autres pays, parce que non « démocratiques », peuvent être détruits afin d’être libérés. Ou juste détruits. C’est cela au fond, « l’exceptionnalisme » qui, à Washington, se substitue à la « conscience du peuple américain » qui n’a pas été suscitée par Hiroshima, mais étouffée.
La Conscience en Sommeil
En tant qu’invité à Hiroshima, Obama a pontifié habilement :
« Les guerres de l’ère moderne nous enseignent cette vérité. Hiroshima enseigne cette vérité. Les progrès technologiques sans progrès équivalents dans les institutions humaines peuvent nous condamner. La révolution scientifique qui a conduit à la division d’un atome nécessite une révolution morale. »
Eh bien oui, mais une telle révolution morale n’a pas eu lieu.
« ... La mémoire du matin du 6 août 1945, ne doit jamais s’effacer. Cette mémoire permet de combattre la complaisance. Elle alimente notre imagination morale. Il nous permet de changer. »
« Changer » est une spécialité d’Obama. Mais il n’a rien fait pour changer notre politique sur les armes nucléaires, sauf pour la renforcer. Aucune trace d’ « imagination morale » imaginant la dévastation vers laquelle cette politique nous mène. Pas d’idées imaginatives pour réaliser le désarmement nucléaire. Juste des promesses de ne pas laisser les méchants s’emparer de telles armes, parce qu’elles sont à nous.
« Et depuis ce jour fatidique, » a poursuivi Obama, « nous avons fait des choix qui nous donnent espoir. Les États-Unis et le Japon ont forgé non seulement une alliance, mais une amitié qui a gagné beaucoup plus pour notre peuple que nous n’aurions jamais pu obtenir par la guerre. »
Comme c’est sinistre. En fait, ce fut précisément par la guerre que les États-Unis ont forgé cette alliance et cette amitié - que les États-Unis essaient maintenant de militariser dans son « pivot asiatique ». Cela signifie que nous pouvons rayer de la carte avec des armes nucléaires deux villes d’un pays et finir avec « non seulement une alliance, mais une amitié ». Alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas se faire encore plus de ce genre d’ « amis », par exemple en Iran, pays à propos duquel Hillary Clinton a exprimé sa volonté de l’« éradiquer » si les circonstances le nécessitent.
« Voilà un avenir que nous pouvons choisir », a déclaré Obama, « un avenir dans lequel Hiroshima et Nagasaki sont connues non pas comme l’aube de la guerre atomique, mais comme le début de notre propre éveil moral. »
Mais jusqu’à présent, Hiroshima et Nagasaki sont très loin de marquer le « début de notre propre éveil moral ». Au contraire. L’illusion de posséder un pouvoir sans limites ôte toute nécessité d’auto-examen critique, toute nécessité de faire un véritable effort pour comprendre ceux qui ne sont pas comme nous et qui ne veulent pas être comme nous, mais pourraient partager la planète en paix si nous les laissions tranquilles.
Puisque nous sommes tout-puissants, nous devons être une force du bien. En réalité, nous ne sommes ni l’un ni l’autre. Mais nous semblons incapables de reconnaître les limites de notre « exceptionnalisme ».
Les bombes sur Hiroshima et Nagasaki ont plongé les dirigeants des États-Unis dans un sommeil moral dont ils ne sont pas près de se réveiller.
Diana Johnstone
Traduction "des bombes atomiques ? Pas de problème, il y en a pour tout le monde" par VD pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles
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