La lente déchéance de l’idéal olympique. Une marchandisation sauvage
«Le sport est un révélateur de la marche du monde, qui permet aux États de se mettre en scène. Il fait depuis longtemps – et fait encore – l’objet d’une forte exploitation au service de doctrines d’État.»
Valérie Fourneyron, Rapport à l’Assemblée Nationale Française
Il m’a été donné de constater que la moisson de médailles ne profitait qu’aux pays scientifiquement développés. Est-ce cela l’olympisme ? De plus je me suis aperçu que le chauvinisme voire d’une certaine façon le racisme et le nationalisme les plus réactionnaires ont été les choses les mieux partagés durant ces jeux. Aucun pays important n’y échappe.Nous l’avons vu avec la croisade contre la Russie. De plus, il n’est pas interdit de penser que le poids spécifique de chaque nation intervient même indiretement dans les décisions des juges avec certaines fois des décisions controversées. Enfin qu’on apprend que des responsables du CIO deviennent des « dealers de la revente des billets »
Nous sommes loin de l’idéal des jeux olympiques des Jeux olympiques grecs. Pour l’histoire aux premiers jeux de l’ère moderne il y avait 245 concurrents représentant 14 pays prennent part à ces premiers jeux. Les concurrents- pas de concurrentes- disputent 43 épreuves d’athlétisme, de lutte, d’haltérophilie, de gymnastique, de natation, de tir, de cyclisme et d’escrime. Ces disciplines basées sur l’endurance (course de vitesse) le javelot, le disque.
Depuis, plusieurs dizaines de disciplines ont été ajoutées qui écartent systématiquement les pays pauvres technologiquement, 28 disciplines, dont deux nouvelles. Le gazon est à l’honneur, puisque les deux nouvelles disciplines officielles s’y dérouleront. 2016 sera l’année d’un grand début – pour le rugby, dans sa formule à sept, jugé plus spectaculaire (et plus facile à organiser) – et d’un grand retour, pour le golf, absent depuis 1904. A côté des sports traditionnels, tels que l’athlétisme, la natation, les sports de combat ou la gymnastique, d’autres se sont surajoutés: le pentathlon moderne, des régates de voile, du hockey sur gazon ou encore du BMX, présent depuis les Jeux de Pékin, en 2008.
En 2020, l’édition tokyoïte des JO s’ouvrira d’ailleurs à cinq nouveaux sports: le karaté, le baseball, le surf, l’escalade et le skateboard. Elles ne profiteront qu’à des pays où ce sport est déjà en régime établi. Pourquoi ne pas ajouter des sports nationaux tels que les courses de chameau, les courses de chevaux non pas style mondain. Le sport n’a pas toujours eu pour seul centre l’Occident, mais on a fait fi de tout ce qui n’est pas occidental. Pourtant, il existe aussi toutes ces courses à cheval dans les hippodromes d’Égypte au VIe siècle, la pratique du polo en Chine aux VIIe et VIIIe siècles ou à Cordoue au IXe siècle, les courses de char à Constantinople au Xe siècle, les compétitions de lutte au XIIe siècle en Bretagne, les célèbres joutes médiévales du XIIIe au XVIe siècle et bien d’autres activités sportives encore.
En clair, dans les JO actuels, la plupart des disciplines «modernes» excluent d’emblée ceux qui n’ont ni les structures ni le climat approprié ni le relief et la géographie. Ce n’est pas à ds saheliens qu’il faut parler de canoe kayak ou de ski. De plus, quand on ajoute de nouvelles disciplines généralement bourrées de technologies, du même coup on écarte la force physique car l’immense majorité des pays n’en dispose pas. On le voit, les Jeux olympiques ne pourront jamais se dérouler dans les pays du Sud. Il n’a même pas été envisagé la coordination entre plusieurs pays.
Rio en quelques chiffres : La démesure.
Nous en sommes à 10.500 athlètes, 50 fois plus. Les JO de Rio sont les premiers à se tenir sur le continent sud-américain. Depuis 1896, 30 éditions ont eu lieu en Europe, en Amérique du Nord, en Asie, en Océanie (Australie) ou en Amérique centrale (Mexique). De plus, tous les pays où il n’y a pas accès à l’eau sous toutes ses formes, fleuves, mer, et même simples piscines, il n’y aura pas de candidats à ces sports. Le budget est estimé à 10 milliards d’euros de l’organisation des JO de Rio. Un coût moins élevé d’environ 2 milliards par rapport à ceux de Londres. Financé à hauteur de 57% par des fonds privés et de 43% par de l’argent public, 5130 médailles de chaque métal. 3,5 milliards de téléspectateurs pour la cérémonie d’ouverture. Près de 2000 évènements sportifs. Chaque champion olympique en or français touchera pour une médaille en or 50.000 euros. Une médaille d’argent vaudra 20.000 euros et 13.000 euros seront attribués à une troisième place sur le podium. Pour les athlètes américains (22 000 euros pour une médaille d’or), et 330.000 euros pour les athlètes azerbaïdjanais. On ne sait pas ce que promettent les autorités algériennes. Enfin, Les Jeux olympiques de Rio seront «sécurisés» par Isds, compagnie israélienne présidée par Leo Gleser, vendeur d’armes et ex-agent du Mossad pour un budget de 2 milliards de dollars.
Dopage, cynisme et marchandisation…
Président du CIO de 1980 à 2001, Juan Antonio Samaranch a organisé la marchandisation des Jeux et fait des Jeux une entreprise très rentable: les revenus du mouvement olympique ont été multipliés par 100 avec ce que cela entraîne comme corruption et marchandisation. Où en sommes-nous? Plus que jamais, nous sommes en présence d’une crise des valeurs: pour Sebastien Nadot. Docteur Ehess «dopage, cynisme politique, commerce outrageux sur fond de valeurs humanistes universelles: le sport, du moins celui dont on parle et qu’on voudrait encore aimer, est en piteux état. Qu’on le déplore ou pas, la politique et la diplomatie ont massivement intégré le phénomène sportif dans ses développements. Le sport apaise les tensions internationales si l’on en croit l’Athénien Thucydide qui décrivait les Jeux olympiques de 428 avant J.-C. comme «un temps de contacts diplomatiques pendant cette trêve sacrée». Les Jeux olympiques de Barcelone en 1992 ont marqué le tournant du sport tout commercial. Depuis, on peut repérer dans le système sportif plusieurs acteurs majeurs: les sportifs, les spectateurs-consommateurs, les citoyens, les politiques, les instances internationales du sport, les agents économiques et commerciaux.» (1)
Le body shopping des athlètes
D’une façon générale, aucun pays n’échappe à la tentation de tricher s’il en a les moyens. Cela passe par le débauchage des élites sportives des pays pauvres que l’on peut appeler aussi « body shopping » bien que cette expression n’a été employée au départ qu’en ce qui concerne les élites des pays du Sud aspirées par le Nord anom de l’émigration choisie et non subie
Ces pyas du Sud n’ont pas les moyens de retenir faute de sentiment fortd’appartenance à la nation mais aussi de pouvoir rétrubuer en concurrence les pays riches qui achètent ces athlètes en leur offrant des ponts d’or. Que devient alors cet hymne national annonné par une chinoise ou un tchétchène pour le compte de la France ou de la Grande Bretagne si celui par qui cet hymne est arrivé est un athlète off-shore qui pour certains ne parle pas la langue du pays d’accueil ?
Nous allons de fait vers un nationalisme au rabais permet de fermer les yeux. Nous l’avons vu avec les présentateurs qui n’arrivent même pas à prononcer les noms qui font comme s’ils étaient du pays profond et qui naturellement les voueront aux gémonies en cas d’échec . Ils retrouveront alors la condition d’avant qu’ils n’auraient jamais du quitter
Quand on parle méchamment du Qatar avec «sa légion étrangère » du hand-ball on oublie de dire que l’équipe de France de 1998 – à l’apoque avec le slogan black blanc beur- et même celle de 2016 étaient composées principalement de Français d’origine étrangère. Black, Black, Black, aurait dit l’ineffable Alain Finkielkraut dénonçant cela et invitant à retrouver l’esprit d’Alésia même si lui aussi est né à l’extérieur, mais personne n’ira le lui dire qu’il est un français né à l’étranger.
De ce fait, il est patent que la plupart des pays occidentaux débauchent -émigration choisie oblige même dans le sport. La proportion peut aller jusqu’à 20%. Paradoxalement, les pays de l’Est et notamment la Russie ne procède pas au body shopping. Ce sont des nationaux qui concourent. Naturalisée française, la pongiste Xue Li disputera ses seconds Jeux olympiques à Rio. Avec une immense fierté de représenter son pays d’adoption où elle vit depuis onze ans. Déjà, en 1994, la naturalisation danoise de Wilson Kipketer, un coureur kenyan, avait ouvert la voie. Dans l’équipe de France version Rià 2016 Une quarantaine d’athlètes ne sont pas nés en France.
«Parmi les 396 sportifs qui défendront les couleurs bleu-blanc-rouge à Rio écrit Cedric Callier, certains sont nés à l’étranger. Ce qui ne les empêche pas de se sentir fiers et pleinement intégrés. le Qatar et son imposante… légion étrangère, puisque les trois-quarts des joueurs composant l’effectif qatarien sont le fruit d’une massive politique de naturalisation. Un procédé qui avait entraîné une importante levée de boucliers. Dernier exemple en date? Lors des récents championnats d’Europe d’athlétisme, la Turquie a décroché 12 médailles, dont 10 par des athlètes nés en dehors du territoire turc! Tête de gondole du handball français, le champion olympique Nikola Karabatic est né à Nis, en Serbie. La judokate (médaillée de bronze) Gévrise Émane, à Yaoundé, au Cameroun. À Rio, d’autres sportifs naturalisés représenteront fièrement la France. Comme Zelimkhan Khadjiev, le seul lutteur français chez les hommes. Cet amour du maillot français, Tamara Horacek le partage pleinement. À 20 ans, malgré un simple rôle de réserviste au sein de l’équipe de France de handball, Comme nous le rappelait Kseniya Moustafaeva, la seule représentante française en gymnastique rythmique et d’origine biélorusse: «J’ai commencé la gym à 4 ans dans mon pays et je suis arrivée ici à 5 ans.» (2)
L’idéal olympique, la politique et le malheur du monde
Dans une contribution précédente «Les jeux olympiques ; la guerre par d’autres moyens» j’avais écrit à propos de la mise à l’écart de la Russie pour soupçons de dopages révélés par une transfuge russe que c’état l’occasion pour le camp occidental de punir la Russie pour son indépendance et son refus d’obéir à l’Empire. Résultat des courses: la délégation russe fut amputée de 110 athlètes et malgré cela elle est classée quatrième. On se souvient que les jeux de Moscou furent boycottés par les pays occidentaux et pour ceux de Sotchi la pression était énorme. Il en fut de même pour les jeux de Los Angeles boycottés par l’Urss. Par ailleurs le CIO ayant toujours deux fers au feu s’est plongée dans la politique et a mis en place une équipe olympique constituée de réfugiés qu’on a déclaré apatrides pour les soustraire à leurs pays d’origine à qui on a donné un statut… Comme quoi on peut faire de la politique avec le sport.
La face sombre de Pierre de Coubertin médaille d’or du racisme
Si l’on s’intéresse à l’archéologie récente des J.O, on s’aperçoit que le baron Pierre de Coubertin inventeur des Jeux olympiques modernes était avant tout un fervent défenseur de l’inégalité des races. Il est né à la fin d’un siècle en France formaté par les Renan et les Gobineau chantres avec Jules Ferry des races supérieures «(…) Le baron vouait un culte à la force physique et pensait qu’une sélection devait se faire via l’élimination des plus faibles. Ses JO devaient d’ailleurs permettre une colonisation sportive et démontrer la supériorité de la race blanche sur d’autres cultures.»(3)
Pour Daniel Salvatore Shiffer: «Coubertin se vante même, dans ses Mémoires (1936), d’être «un colonial fanatique» :
«Les races sont de valeur différente et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance» (…) D’autant que Coubertin, pour couronner le tout, considérait le sport comme le meilleur moyen de préparer la jeunesse à la guerre: «Le jeune sportsman se sent évidemment mieux préparer à partir’ (à la guerre) que ne le furent ses aînés. Et quand on est préparé à quelque chose, on le fait plus volontiers.» (4)Les Jeux olympiques et les bonnes causes
A côté des utilisations politiques, les Jeux olympiques ont été utilisés pour la bonne cause. Celle de l’émancipation des peuples. Pour l’histoire, lors des Jeux olympiques de Mexico en 1968, on se souvient des fameux points gantés et levés vers le ciel des deux coureurs du 200m afro-américains Tommy Smith et John Carlos. Personne n’a fait attention au troisième coureur et pourtant écrit Riccardo Gazzaniga…
« C’est peut-être bien lui le plus grand héros de cette scène! (…) Un blanc, immobile, figé sur la deuxième marche du podium. Il ne brandit pas le poing en l’air. (…) En fait, je pensais même que cet homme représentait, dans toute sa rigidité et son immobilité glacée, l’archétype du conservateur blanc qui exprime le désir de résister à ce changement que Smith et Carlos invoquaient en silence derrière lui. (…) La vérité, c’est que cet homme blanc sur la photo, celui qui ne lève pas le bras, est peut-être le plus grand héros de ce fameux soir d’été 1968. Il s’appelait Peter Norman, il était australien et ce soir-là, il avait couru comme un dingue, terminant la course avec un temps incroyable de 20 s 06. (…) »« Le racisme et la ségrégation, poursuit l’auteur étaient extrêmement violents en Australie, non seulement contre les Noirs, mais aussi contre les peuples aborigènes. Les deux afro-américains ont demandé à Norman s’il croyait aux droits humains. Norman a répondu que oui. «Nous lui avions dit ce que nous allions faire, racontera plus tard John Carlos. Je m’attendais à voir de la peur dans les yeux de Norman… Mais à la place, nous y avons vu de l’amour.» Norman a simplement répondu: «Je serai avec vous.» Smith et Carlos avaient décidé de monter sur le podium pieds nus pour représenter la pauvreté qui frappait une grande partie des personnes de couleur. Ils arboreraient le badge du Projet olympique pour les droits de l’homme, un mouvement d’athlètes engagés pour l’égalité des hommes. En fait, juste avant de monter sur le podium, Smith et Carlos ont réalisé qu’ils n’avaient… qu’une seule paire de gants.Ils allaient renoncer à ce symbole, mais c’est Norman qui a insisté, en leur conseillant de prendre un gant chacun. Si vous regardez bien le cliché, vous verrez que Norman porte, lui aussi, un badge du Projet olympique pour les droits de l’homme, épinglé contre son coeur. Les trois athlètes sont montés sur le podium; le reste fait partie de l’Histoire, capturé par la puissance de cette photo qui a fait le tour du monde.» (5)«Ce que l’on sait moins, c’est que Peter Norman, lui aussi, a subi de lourdes conséquences. Pour avoir apporté son soutien à ces deux hommes, il a dû dire adieu à sa carrière qui aurait pu être extrêmement prometteuse. Un simple pardon aurait pu lui permettre de revenir dans la discipline (…) Mais il n’en a rien fait. Avec le temps, Carlos et Smith ont été considérés comme de véritables héros ayant défendu la cause de l’égalité raciale envers et contre tous. En Californie, une statue a même été érigée en hommage à ces deux athlètes aux poings levés… Sauf que l’Australien ne figure pas sur cette statue. En 2006, Peter Norman décède finalement à Melbourne, en Australie. À son décès, en 2006, les deux sprinteurs américains ont tenu à porter son cercueil N’oublions jamais Peter Norman, héros sans gants, effacé de l’histoire, qui n’a jamais cessé de lutter pour l’égalité des hommes.» (5)
La débâcle du sport en Algérie
En Algérie, le sport est encore une vue de l’esprit ; les rares réussites individuelles le sont en dehors des instances du pouvoir. C’est par leur aptitude personnelle que Boulmerka, Morcelli, Benida Merah ont conquis l’or olympique; ce n’est pas du à une quelconque politique structurée de l’Etat
Pour l’histoire Boughera El-Ouafi, Algérien d’Ouled Djellal, près de Biskra, était un athlète hors normes. Il avait remporté la médaille d’or au marathon des Jeux olympiques d’été de 1928, organisés à Amsterdam, aux Pays-Bas. Comme d’habitude les Algériens vont prier pour avoir une visibilité à Rio. Il n’y aura pas de miracle car une hirondelle ne fait pas le printemps. Pourquoi? parce que nous avons toujours travaillé dans l’éphémère. Pourquoi?
Avec seulement dix millions de jeunes du système éducatif nous aurions pu construire un système sportif. Nous nous attachons encore à l’homme providentiel car le sentiment national a disparu. Tout se paye. Nous avons l’impression que le ministère de la Jeunesse et des Sports se résume à celui d’une Equipe nationale pratiquement off shore.. Le sport devrait être pratiqué d’une façon intensive dans le système éducatif. Faut-il le rappeler, l’immense majorité des athlètes américains provient des universités. Nous devons faire un bilan sans complaisance. C’est l’unique façon de reconquérir la jeunesse et d’aller à travers des milliers de compétitions vers une réelle visibilité de l’Algérie.
Que peut- on dire en conclusion ?
Nous retrouvons la même emprise des riches dans un sport censé être œcuménique. Il vient que le classement des pays ne veut rien dire, et les triomphalismes constatés ça et là ont quelque chose d’immoral et de mesquin. On est en droit de douter de la pertinence de ces jeux qui vont s’achever sur un constat d’échec. Le racisme et l’idéal olympique ne sont qu’une vue de l’esprit. Plus vite plus haut plus loin est un slogan auquel personne n’y croit puisque dès le départ les jeux sont faussés par le dopage et la sur médiatisation qui fait son lit d’une marchandisation amalgamée avec un nationalisme pervers qui ne profite en définitive aux oligarchies financières qui tirent les ficelles. Quand les lampions de la fête s’éteindront les citoyens lambdas dont a flatté les pulsions pervers du nationalisme étroit, vont être rattrappés par un quotidien amer. Assurèment Pythagore avait raison : « Le spectacle du monde ressemble à celui des Jeux olympiques: les uns y tiennent boutique; d’autres paient de leur personne; d’autres se contentent de regarder.» On l’aura compris ceux qui tiennent boutique sont ceux qui sont état d’âme extraient de la valeur de n’importe quel évènement. Ainsi va le monde.
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
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