Face aux bombardements massifs de l'armée russe visant plus à soutenir Bachar al-Assad qu'à combattre l'EI, les pays de l'Otan se voient obligés de réduire leur action militaire.
Moscou avait prévenu que sa campagne aérienne en Syrie serait intense. Elle a en réalité accaparé le ciel syrien. Mercredi, le ministre de la Défense a affirmé que 112 cibles avaient été touchées depuis les premières frappes, le 30 septembre. Les pays de la coalition menée par les Etats-Unis ont, eux, largement réduit leurs bombardements.
L’armée syrienne profite-t-elle des frappes russes ?
Mercredi, pour la première fois, elle a lancé une offensive au sol coordonnée avec des bombardements de l’aviation russe dans le nord de la province de Hama. Le président Vladimir Poutine a de son côté confirmé que les opérations de son armée seraient «synchronisées» avec celles des forces de Bachar al-Assad. «Cela n’est pas surprenant, cela fait partie d’une opération russe classique. Leur doctrine n’est pas de mener des campagnes aériennes en profondeur, loin des lignes de front, mais de les doubler d’une action au sol», explique le colonel Michel Goya, stratégiste et professeur associé à Sciences-Po. Cette volonté se traduit par les moyens engagés : alors que les Etats-Unis et les pays membres de la coalition utilisent pour leurs frappes en Syrie des chasseurs bombardiers qui volent à haute altitude, la Russie privilégie des avions dits d’«attaques au sol», tel le Su-25, et des hélicoptères de combat. Plus vulnérables, ils sont aussi plus efficaces pour viser des convois ou des rassemblements de combattants.
Les objectifs de l’armée russe ont-ils changé ?
Non. Moscou tente avant tout de protéger le régime syrien, à la fois en repoussant les groupes rebelles les plus menaçants et en dégageant des axes de ravitaillements. L’objectif affiché – lutter contre l’Etat islamique (EI) – apparaît à l’inverse relégué au second plan. Depuis le 30 septembre, les frappes russes se concentrent sur les provinces d’Idlib, Homs et Hama. Idlib est une région stratégique, qui borde la plaine côtière, bastion du régime avec les villes de Lattaquié et Tartous, où la Russie possède des bases militaires. Cette province est contrôlée depuis le printemps par l’Armée de la conquête (Jaish al-Fatah, en arabe), une coalition islamiste soutenue par la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite. Certains groupes de cette alliance, issus de l’Armée syrienne libre, sont également soutenus par les Etats-Unis. La perte d’Idlib par le régime avait illustré la faiblesse de l’armée syrienne après quatre ans de guerre civile. Elle avait reculé sans réellement combattre, à la surprise des rebelles de l’Armée de la conquête qui s’attendaient à devoir poursuivre leur offensive durant plusieurs semaines.
Dans les provinces centrales de Homs et Hama, les bombardements russes visent avant tout à chasser les rebelles qui menacent de bloquer les voies d’approvisionnement qui relient les régions côtières à Damas, la capitale. Les avions russes n’hésitent pas à bombarder des groupes modérés, tel les rebelles deTajammu Izza, au nord de la ville de Hama, qui ont reçu des armes de la CIA.
Les bombardements sur les régions du nord et de l’est contrôlées par l’EI sont en revanche beaucoup plus rares, même si la Russie a annoncé mercredi avoir lancé 26 missiles contre les jihadistes depuis quatre croiseurs en mer Caspienne. «La Russie veut avant tout sauver le régime de Bachar al-Assad. La lutte annoncée contre l’EI tient plus de l’affichage que d’autre chose», explique Michel Goya.
Comment réagissent les pays membres de l’OTAN ?
Depuis le début de la campagne aérienne, Ankara et ses alliés occidentaux pointent les incohérences entre les discours de Moscou, qui affirme combattre l’EI, et les groupes réellement visés. «J’ai déjà dit que nous pensions que la Russie avait une mauvaise stratégie. Ils continuent de frapper des cibles qui ne sont pas de l’EI. Nous pensons que c’est une erreur fondamentale», a répété mercredi le secrétaire américain à la Défense, Ashton Carter. L’OTAN s’inquiète aussi des violations répétées de l’espace aérien turc par des avions russes. Présentées comme «accidentelles» par Moscou, ces incursions ont déclenché la fureur du président turc, Tayyip Erdogan. «Une attaque contre la Turquie contre une attaque contre l’OTAN», a-t-il menacé.
Surtout, l’Alliance atlantique craint de ne plus avoir accès au ciel syrien. L’armée russe a déployé de nouveaux systèmes de défense anti-aérienne et de brouillage de radars, qui crééent une «bulle de protection» autour de Damas et de la zone côtière. Et depuis le début des frappes russes, celles de la coalition se font beaucoup plus rares, y compris sur les régions contrôlées par l’EI. Quelques heures avant de bombarder, l’armée russe se contente de prévenir son ambassade à Bagdad, en Irak, qui prévient à son tour la coalition. «Les Russes s’imposent, ils font ce qu’ils veulent», note Michel Goya.
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