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Par Bill Van Auken
9 octobre 2015
Après la première semaine de frappes russes en Syrie et des tirs de 26 missiles de croisière depuis des croiseurs déployés en mer Caspienne à plus de 1.450 km de distance, un nombre grandissant d’avertissements et de menaces concernant un conflit bien plus dangereux et même une guerre mondiale dominent les débats au sein des cercles dirigeants aux États-Unis et en Europe.
Le président français François Hollande, qui a ordonné des frappes françaises en Syrie, a averti mercredi les législateurs européens que les événements en Syrie pourraient provoquer une « guerre totale » dont l’Europe elle-même ne serait pas à « l’abri. »
Profitant d’incidents allégués impliquant des avions de chasse russes survolant l’espace aérien turc, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré, « Une agression contre la Turquie signifie une agression contre l’OTAN », en invoquant implicitement l’article cinq du traité de l’Atlantique Nord qui oblige les membres de l’alliance militaire menée par les États-Unis à réagir par les armes contre une attaque visant la Turquie ou tout autre État membre.
Le gouvernement turc, qui est l’une des principales sources d’appui des milices islamistes telles l’EI et le Front al Nosra qui ont ravagé la Syrie, viole systématiquement les espaces aériens de ses propres voisins en bombardant des camps kurdes en Irak et en abattant des avions syriens au-dessus du territoire syrien.
De hauts responsables de l’OTAN ont ajouté leurs propres dénonciations belliqueuses de Moscou. Le secrétaire-général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a affirmé que la présumée incursion dans l’espace aérien turc « ne ressemblait pas à un accident. » Il a ajouté, « Des incidents et des accidents peuvent engendrer des situations dangereuses. C’est pourquoi, il est important de veiller à ce que cela ne se reproduise pas. »
Mardi, à Washington, le commandant en chef de la marine américaine, l’amiral Mark Ferguson qui dirige aussi le commandement unifié des forces interarmées de l’OTAN à Naples en Italie, a accusé la Russie de construire un « arc d’acier » de l’Arctique à la Méditerranée. Le fait d'évoquer le discours tenu en 1946 par Winston Churchill sur le « rideau de fer » renverse le véritable rapport de forces, en occultant l’encerclement incessant de la Russie par Washington et l’alliance de l’OTAN, depuis la liquidation de l’Union soviétique il y a 25 ans.
En qualifiant la Russie de « menace la plus dangereuse » à laquelle est confrontée l’OTAN, l’amiral Ferguson réclame une attitude de plus en plus agressive de l’OTAN à l’égard de Moscou en recommandant le perfectionnement des « compétences au combat en temps de guerre » de l’alliance et le déploiement de forces militaires « sur demande pour de réelles opérations mondiales. »
D’anciens hauts responsables américains dont les opinions reflètent assurément ceux de sections puissantes de l'élite dirigeante, de l'armée, et du vaste appareil de renseignement, ont également pesé de tout leur poids en lançant des appels à une confrontation avec la Russie.
Dans une tribune publiée par le Financial Times, Zbigniew Brzezinski, conseiller à la sécurité du gouvernement Carter et stratège de l'impérialisme américain de longue date, a écrit que les frappes russes contre les milices islamistes soutenues par la CIA « devraient conduire à des représailles américaines. » Il n'a pas mentionné que la plus importante de ces milices est le Front al Nosra, lié à al Al-Qaïda.
Brzezinski a précisé que « la présence russe navale et aérienne est vulnérable en Syrie, isolée géographiquement de sa patrie » et qu’elle « pourrait être ‘désarmée’ si elle persiste à provoquer les États-Unis. » Il a probablement mis « désarmée » entre guillemets pour signaler qu’il recourait à un euphémisme pour dire « militairement oblitérée. »
De même, Ivo Daalder, qui fut l’ambassadeur d’Obama auprès de l’OTAN jusqu’en juin 2013, a dit au site américain Politico : « Si nous voulons faire sortir leurs forces militaires, nous pourrons probablement le faire à peu de frais, voir sans frais. La question est de savoir quelle sera la réponse de Poutine. Je pense que ceux qui sont dans le Situation Room [salle de crise de la Maison Blanche] doivent se pencher sur la question. »
Frederic Hof, l’ancien envoyé spécial d’Obama sur le dossier d’une transition syrienne, a comparé les actions de Poutine à celles de Nikita Khrouchtchev lors de la crise des missiles cubains en 1962, qui avait précipité le monde au bord de la guerre nucléaire : « Tout comme son prédécesseur il y a plus de 50 ans, il [Poutine] ressent une faiblesse chez le président américain. Tout comme son prédécesseur, il risque de se rendre compte qu’amoindrir l’importance des États-Unis n’est pas toujours salutaire. Mais un tel risque comporte des dangers pour tous ceux qui sont concernés. »
Gideon Rachman, l’éditorialiste en chef de la rubrique « affaires étrangères » du Financial Times, a comparé le conflit syrien à la guerre civile espagnole aux années 1930 : « Une guerre par procuration se fait actuellement en Syrie – où les forces aériennes russes et américaines bombardent toutes deux des cibles dans le pays et où affluent des combattants étrangers ».
Il a ajouté : « Les pays qui, en Espagne aux années 1930 soutenaient des camps opposés finirent par se battre entre eux aux années 1940. Le risque que le conflit syrien ne mène à un affrontement direct entre les Iraniens et les Saoudiens, ou même entre les Russes et les Américains, ne peut être exclu. »
Ce danger existe parce que l’intervention russe – lancée pour la défense des intérêts de l’État russe et des oligarques qui dirigent les sociétés énergétiques russes – a contrecarré des projets américains qui remontent à plusieurs décennies pour renverser le régime syrien et redessiner la carte du Moyen-Orient.
La proposition de renverser régime en Syrie a été formulée il y a deux décennies dans un document intitulé « Une coupure nette : une nouvelle stratégie pour sécuriser le domaine », rédigé par un groupe d’étude comprenant Richard Perle, Douglas Feith et David Wurmser pour le compte du premier ministre israélien de l’époque, Benjamin Netanyahu. Tous trois occupèrent par la suite de hautes responsabilités dans l'administration Bush et participèrent au complot du lancement de la guerre d’agression américaine contre l’Irak.
Un document secret récemment déclassifié et obtenu par WikiLeaks a indiqué que la planification active d’un changement de régime par les États-Unis avait précédé d’au moins cinq ans l’éclatement de la guerre civile syrienne. Ce rapport secret émanant du chef de l’ambassade américaine à Damas avait fait état d'une « vulnérabilité » du gouvernement syrien que Washington pourrait exploiter. Au sommet de la liste se trouvaient « les inquiétudes des Sunnites comme quoi l’influence iranienne » pourrait causer un conflit sectaire à cause de « la présence d’extrémistes islamistes en transit. »
Vu que le document a été écrit en 2006, à l’apogée du carnage sectaire causé en Irak par l’invasion américaine et par la tactique de Washington consistant à diviser pour mieux régner, ces propositions ont été faites en pleine conscience qu’elles provoqueraient un bain de sang. Près d’une décennie plus tard, le bilan de cette politique inclut la mort de quelque 300.000 Syriens, la fuite de 4 millions de Syriens à présent exilés, et 7 millions déplacés à l’intérieur de leur pays.
Si Washington tire cyniquement parti de la souffrance du peuple syrien pour justifier une escalade du militarisme américain, il ne compte pas permettre à la Russie de contrecarrer ses efforts pour imposer son hégémonie sur les réserves pétrolières du Moyen-Orient et sur la planète entière.
La ruée vers une guerre contre la Russie n’est pas accidentelle. L’intervention américaine pour renverser le régime de Damas avait dès le départ visé à affaiblir ses principaux alliés – l’Iran et la Russie – afin de préparer une attaque directe contre ces deux pays. Chaque jour, l’éruption du militarisme américain, enracinée dans la crise historique du capitalisme mondial, confronte l’humanité au spectre d’une troisième guerre nucléaire mondiale.
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