Une seule salve russe de la mer Caspienne a suffi à remettre à zéro la marine étasunienne
D’après Rostislav Ichtchenko, président du Centre d’analyse et de pronostic systémique
Le 7 octobre la petite flottille russe de la mer Caspienne (quatre bâtiments pour tout) à elle seule et par une seule salve de 26 missiles « Calibre » a enlevé des étendues de mers la marine des États-Unis à titre de facteur réel capable d’assurer la soi-disant projection de forces (appelée jadis « la diplomatie de la canonnière »).
Savourons le charme de la situation.
Primo, la Russie exportait des missiles analogues à la portée de 300 km. Les États-Unis pouvaient présumer la portée des missiles russes « domestiques » quelque peu supérieure (de 400 à 500 km). Pourtant la salve de la flottille caspienne a frappé des cibles à la distance de 1 500 km, et ce ne serait pas une limite : on entend par-ci, par-là le chiffre de 4 000 km.
Secundo, l’adversaire probable de la Russie estimait autrefois non seulement la flottille de la mer Caspienne, mais aussi les flottes de la mer Noire et de la Baltique à titre de forces capables exclusivement de protéger le littoral voisin, chasser des contrebandiers et des braconniers, ainsi que d’effectuer le débarquement dans leurs plans d’eau fermés respectifs. La flotte de la mer Noire assurait aussi l’arrière-front de l’escadre de la Méditerranée. Seules des escadres ou des bâtiments de choc préalablement déployés au large, ainsi que la partie de forces des flottes du Nord et du Pacifique jugée capable, ne soit-ce qu’en théorie, prendre la clé du large de l’Atlantique et du Pacifique en cas de conflit sérieux, étaient estimés en tant qu’une menace réelle pour les ÉU.
Tertio, les ÉU estimaient comme pratiquement invulnérables leurs groupes de combat aéronavals (GCA). Selon les calculs des stratèges étasuniens, pour anéantir un seul GCA la marine russe devrait assurer la salve pour le moins d’une centaine de missiles, ce qui ne serait possible qu’après avoir concentré pratiquement tous les bâtiments de choc de la flotte du Nord ou du Pacifique. On croyait à Washington que chacune de deux flottes non bloquées dans leurs plans d’eau fermés, pourrait, au pis aller, porter un dégât (peut-être même considérable) à un seul GCA, après quoi ses forces de choc cesseraient pratiquement d’exister, donc la maîtrise étasunienne de la mer n’aurait plus rien à craindre.
Quatro, il s’est avéré que la portée de tir même des petits bâtiments n’est ni 400 ni 600 km, mais beaucoup plus que 1 500 km.
De sorte que la flottille de la mer Caspienne et la flotte de la mer Noire sont capables, sans quitter leurs plans d’eau, de frapper n’importe quel adversaire dans le bassin oriental de la Méditerranée et dans le Golfe Persique, tandis que la flotte de la Baltique peut coucher en joue la mer du Nord, La Manche et la partie de la mer de Norvège. La flotte du Nord pouvant contrôler l’Atlantique nord hors de portée de l’adversaire et la flotte du Pacifique capable de couler bas tout ce qui vogue en Pacifique au nord des îles Hawaii, la marine des ÉU s’est avérée incapable de projeter la menace aux côtes de l’Eurasie. Vu que la salve de missiles peut être effectuée par des bâtiments les plus insignifiants de la zone russe proche maritime, les marins étasuniens ne s’apercevront de ces missiles qu’à leur approche immédiate, sinon à même leur coup au but. Pas le temps de prendre les mesures de défense.
On se rend compte de la réduction brusque du nombre de missiles en salve à anéantir un GCA. Il n’est plus nécessaire d’y amener des grands bâtiments à la portée du coup réciproque. Et les ÉU ne sont pas à même d’épier tout patrouilleur faisant la chasse aux braconniers dans les mers d’Okhotsk ou Caspienne (et en même temps capable de couler bas brusquement un porte-avion étasunien pâturant paisiblement au-delà des mers).
Résumons.
Jusqu’au 7 octobre Washington était sûr que la Russie ne soit point capable de s’opposer effectivement aux actions de force des ÉU sans usage d’armes nucléaires. C’était justement la base de l’impertinence étasunienne dans la politique internationale.
Les Étasuniens ne dissimulaient jamais qu’ils utilisaient la force quand ils le voulaient – tout simplement car personne n’était à même de leur répondre par des armes conventionnelles, et la Russie n’allait certes déchaîner la guerre nucléaire à cause ni de l’Irak, ni de la Syrie, ni même de l’Ukraine. Pareils à un adolescent effronté qui est certain d’être le plus fort de sa bande, ils s’attiraient calmement des conflits suivant le principe « Rend la pareille si tu peux », en toute assurance que personne ne le pourrait. Et tout à coup ils se rendent compte que quelqu’un le peut. À savoir la Russie.
Les Étasuniens sont tombés dans en embarras fou. Toute leur politique de dernières années était construite sur l’assurance qu’au moment critique Washington pouvait employer la force, relativement impunément. Cette illusion vient d’être dissipée.
Qui plus est, en projetant les possibilités montrées par la marine de Russie à son aviation à elle, les généraux du Pentagone se sont déjà rendu compte que les forces aérospatiales de la Russie étaient capables de fusiller des cibles sur le territoire des ÉU sans quitter les airs de son pays. Pour la première fois de son histoire l’Amérique s’est sentie sans défense devant des armes conventionnelles.
Mais ce qui est le plus dangereux pour les ÉU, ce n’est pas le fait que la Russie peut protéger son territoire et celui de ses alliés en Eurasie de la flotte étasunienne qui devient désormais un fardeau dénué de sens pour les contribuables (elle est en fait liquidée en tant qu’argument militaro-politique). Et même pas le fait que la Russie peut, le cas échéant, tirer sur le territoire des ÉU par des armes conventionnelles d’une distance de sûreté (tout comme les ÉU le font sur l’Irak).
Le principal, c’est que les alliés des ÉU, eux, l’ont compris. Et la plupart d’eux ne gardait leur fidélité au leader mondial que de peur devant son potentiel de guerre dont personne, pensaient-ils, ne pourrait les protéger. Mais le 7 octobre la Russie a montré qu’elle le pouvait. Et la situation militaro-politique dans le monde a changé radicalement.
Certes, les unions et les coalitions étasuniennes ne vont pas se défaire tout d’un coup, mais désormais les ÉU auront du mal à commander simplement leurs alliés sans égard à leurs intérêts. Leurs partenaires ont le choix pour qui les quitter. Washington devra convaincre et marchander. Les étasuniens en ont perdu l’habitude depuis longtemps. Les ressources à amadouer les alliés ne sont pas prévues. D’ailleurs, leurs arguments sont faibles. Au dire d’Obama, les ÉU sont les meilleurs car ils sont les meilleurs, et tout le monde leur doit car tout le monde leur doit.
Jusqu’au 7 octobre 2015 c’était un argument de poids. À présent ce n’est qu’une opinion personnelle d’un individu.
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