Témoignage : « ce que j'ai vu dans la jungle de Calais me hante »
par Le Partageux - Les bafouilles d'un partageux
« J’ai apporté mon aide dans le camp de réfugiés de la jungle de Calais et ce que j’ai vu me hante. » Voici la traduction complète du témoignage que David Kraft a livré au Guardian.
« Je suis un homme ordinaire. Je n’ai pas de compétences ou d’expériences pour aider les personnes traumatisées ou désespérées. Cependant, lorsque sont apparues les images de cet enfant de trois ans, Aylan Kurdi, étendu sans vie sur une plage turque, ce fut pour moi un véritable choc.
J’ai fait un don en ligne, mais je ne pouvais m’empêcher de penser à cette horrible situation qui ne trouve aucune fin pour les réfugiés. J’ai donc commencé à me demander ce que je pouvais faire de plus. Les conditions de vie dans le camp de Calais, appelé “la Jungle”, empiraient de jour en jour. Pourrais-je être d’une quelconque utilité ?
L’un des besoins les plus pressants dans la “Jungle”, comme dans tous les camps de réfugiés, est la nourriture. Il y a quelques provisions, mais la majorité des 6000 personnes est affamée tous les jours. Je cuisine à la maison, je peux couper et laver des oignons. Cela me semblait être un bon point de départ. J’ai publié sur Facebook pour savoir si quelqu’un souhaitait m’accompagner dans ce projet. Un vieil ami, Rob Lawson, un chef cuisinier, a accepté. Ensuite Tom Southern, qui encadre des activités pour des jeunes en difficulté, s’est aussi porté volontaire.
Enfin Waleed Ghani, qui a récemment refondé le “Whig Party” [un parti politique, ndlr], nous a dit vouloir s’impliquer. J’ai créé la pageJustGiving sur Facebook pour les dons. On voulait emmener de la nourriture et, à notre arrivée, acheter d’autres fournitures pour la cuisine. J’ai donc réservé le ferry et l’hôtel. Via un forum en ligne, j’ai contacté la cuisine d’Ashram –- une association gérée bénévolement qui nourrit 600 personnes avec 2 repas par jour –- ils avaient désespérément besoin d’aide. On a rempli le van de Rob de denrées dont ils avaient fortement besoin, dont 100 kg de riz. Puis nous sommes partis en n’ayant aucune idée de ce qui nous attendait.
Les conditions là-bas sont plus qu’affreuses –- les scènes que nous avons pu observer dans la Jungle me hantent toujours. Pas d’installation sanitaire, pas de soins médicaux, pas de sécurité, pas de collecte d’ordures et pas de routes –- juste des pistes de boues puantes pleines de détritus et de déchets humains. Régulièrement, des incendies se déclenchent, car les réfugiés sont obligés d’allumer des feux avec des tas de bois humides dans leurs tentes pour se tenir chaud et cuisiner. Cependant, il n’y a pas de pompiers, juste des médias sociaux d’où émanent des appels d’urgence pour obtenir un extincteur ou des seaux de sable. Le weekend précédent notre arrivée, des vents violents ont attisé les flammes d’un incendie, détruisant plus de 250 tentes.
La cuisine d’Ashram est une grande tente accolée à un container. Il n’y a pas d’eau courante, juste deux brûleurs à gaz, dont l’un est constamment utilisé pour faire bouillir de l’eau. Cette dernière provient d’une fontaine située à 90 mètres de l’autre côté des pistes boueuses et d’une fosse septique. Les muscles de mes épaules, peu entraînés, me brûlent toujours.
Au moment des repas, l’endroit est bondé, pendant qu’à l’extérieur une longue file d’attente se forme. Les assiettes sont frénétiquement lavées, séchées et réutilisées immédiatement. Il n’y en a jamais assez pour nourrir tout le monde. Rob se décomposait lorsqu’il réalisait que les plats chauds manqueraient un jour de grand froid. Il identifiait la personne de la file d’attente qu’il allait décevoir, ainsi que toutes celles derrière elle…
À la fin du “service”, tout est nettoyé. L’endroit où se faisait la vaisselle consistait en un assemblement de palettes recouvertes d’un filet de maille et d’une canalisation de fortune qui se déversait dans l’allée centrale. Tout devait passer à travers ce filet, qui était ensuite nettoyé et vidé par celui qui avait l’estomac le plus accroché. À la fin de la journée nous rangions tous les objets de valeurs dans le container verrouillable.
Nous avions peu de temps pour parler avec les réfugiés, mais beaucoup d’entre eux sont venus d’eux mêmes, volontairement, et nous ont offert l’opportunité de discuter. Une fois, nous avons demandé à l’un d’entre eux de nous raconter son histoire. Visiblement traumatisé et parlant difficilement, celui-ci nous a raconté comment sa sœur fut violée, tuée devant lui et ensuite violée à nouveau. Nous n’avons pas pu le laisser continuer, cela semblait trop cruel. Nous n’avons plus jamais questionné personne.
Les bénévoles étrangers venus au camp forment un groupe hétéroclite –- un trentenaire aisé du comté de Londres habillé d’un pantalon en tweed rouge travaillait aux côtés d’un hippie arborant des dreadlocks. Une femme, Amy, une cuisinière de Londres, a pris une semaine de congé et s’est retrouvée ici car elle trouvait insupportable l’idée de ne rien faire. Nous avons cru rêver lorsque nous avons aperçu le majordome de la sérieDowtown Abbey, Carson, faire la vaisselle. Mais c’était bel et bien l’acteur Jim Carter, mettant en place sa propre œuvre de charité, Wand Aid. Tout ça était exaltant. Comme l’a été la magnifique œuvre peinte par les réfugiés sur une taule ondulée –- une juxtaposition réjouissante par rapport à la laideur des barrières érigées par le gouvernement britannique pour 15 millions de livres. Tout ce qu’on peut faire avec une barrière…
Je ne trouve aucun sens à la situation à Calais — un niveau aussi obscène de souffrance à côté de chez nous dans l’un des pays les plus prospères du monde et personne ne veut en prendre la responsabilité. Les Nations Unies ne sont pas représentées dans la Jungle et du coup les principales agences d’aides humanitaires non plus. Pourtant, les conditions de vie sont largement en deçà des standards humanitaires des Nations Unies. Les gouvernements français et britannique se dédouanent et refusent de fournir les infrastructures les plus élémentaires. C’est d’une irresponsabilité grotesque !
Comme Waleed l’a dit : “Je suis un patriote — j’ai servi dans l’armée — mais quand je pense qu’un tel lieu existe, j’ai honte d’être britannique. Le Royaume-Uni est censé œuvrer pour le bien du monde, défendant les Droits de l’Homme, mais le mieux qu’ils ont trouvé à faire, alors qu’il existe une crise humanitaire à 48 km de notre frontière, c’est d’ériger une grosse barrière surmontée de fils barbelés ?”
Ce que fournissent les volontaires est bien loin d’être suffisant mais ils le font car personne d’autre ne s’en charge.
La seule raison pour laquelle des milliers de personnes ne meurent pas de faim ou de froid, à seulement 48 km du Kent, c’est le travail des bénévoles –- de simples bénévoles, honnêtes, ordinaires qui ne supportent pas l’idée que des personnes souffrent –- des gens qui ne sont représentés par aucun gouvernement. C’est pour cette raison que nous retournerons dans la Jungle l’année prochaine. Je ne peux m’en éloigner. »
David Kraft. Source de la traduction. J’ai cité brièvement ce témoignage à propos du procès de Rob Lawrie. On peut encore signer la pétition ici.
« La mer est immense / Je n’peux traverser / Je n’ai pas d’ailes / Pour la survoler. » La mer est immense, Graeme Allwright accompagné par la harpe du jeune Alain Cochevelou qui deviendra connu plus tard sous le nom d’Alan Stivell.
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