Nous avons passé le climax de l’évolution humaine. Le « peak » de disponibilité de l’ensemble des ressources nécessaires à notre existence a été franchi et désormais des humains en moins bonne santé devront avec de moins en moins d’énergie et de matières premières tenter de maintenir leur niveau de vie sous la contrainte d’un environnement de plus en plus hostile, au moyen d’infrastructures de moins en moins performantes et stables, par manque de moyens pour assurer leur entretien.
Malgré nos espoirs et nos plus grands talents, nous ne parvenons pas à modifier le cours de notre évolution. Et il n’est plus temps de trop lâchement nous défausser : même si nous nous en défendons nous restons bien tous les acteurs du déclin à venir, que nous soyons un puissant décideur ou un simple citoyen.
Si nous ne pouvons manifestement plus prétendre dépasser notre condition, nous devons désormais anticiper au mieux les difficultés à venir.
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En 1970 le Club de Rome, un groupe de réflexion composé de scientifiques, d’économistes, de fonctionnaires nationaux et internationaux, commandait au MIT (Massachusetts Institute of Technology) un rapport ayant pour objectif d’estimer des potentialités de développement de l’humanité sur terre, en prenant en compte les facteurs limitants (la disponibilité des ressources, la démographie, la pollution, les rendements agricoles…). Publié en 1972, The Limits To Growth (Les limites de la croissance), aussi surnommé « rapport Meadows », annonce la fin de l’humanité telle que nous la connaissons dans le courant du XXIe siècle. Les révisions de 1993 et 2004 (basées sur la comparaison entre les prédictions et les observations dans le temps) sont venues confirmer ce pronostic, et même constater que le risque avait été sous-estimé.
Bien que le rapport Meadows ait au départ proposé plusieurs scénarios pour l’avenir de l’humanité, prenant en compte notamment les choix politiques et économiques que pourraient opérer les nations, une « date » est apparue comme marquant une transition : les facteurs cumulés de la fin des ressources facilement extractibles, de l’augmentation de la pollution et des dégâts opérés sur l’environnement impliqueraient l’arrêt du développement humain avant qu’un déclin s’engage inévitablement.
Aujourd’hui (mars 2014), c’est un nouveau rapport, en partie financé par la NASA, qui vient confirmer ces sombres prédictions (références en bas de page).
D’aucuns rétorqueront que le pire n’est jamais sûr ou que l’évolution des systèmes complexes est difficile à anticiper. Mais, d’une part, l’imprédictibilité des phénomènes ne signifie en rien que ceux-ci ne soient pas strictement déterminés, potentiellement à notre désavantage, et il existe par ailleurs un faisceau convergent de modèles fiables, d’analyses et de mesures (celles-ci chaque jour plus précises) qui attestent de ce déterminisme évolutif qui nous dépasse et sur lequel nous n’avons que l’illusion de pouvoir exercer une influence :
– Les principes physiques de la thermodynamique, qui impliquent de façon totalement vérifiable que le développement humain ne peut être éternel et que la protection de l’environnement nous est impossible :
- Premier principe : rien apparaît à partir de rien, tout ce qui est consommé dans un système fini l’épuise.
- Deuxième principe : les phénomènes sont irréversibles, on ne peut pas réparer la nature et les dégâts s’accumulent strictement.
– Le rapport Meadows évoqué ci-dessus et désormais d’autres études scientifiques complétant et confirmant les résultats de ce rapport.
– Les observations : nous vivons déjà une crise systémique mondiale (économique, financière, sociale, écologique…) que personne ne parvient à résoudre.
– Le bon sens : lorsque les réserves sont vides, les réserves sont vides et la stricte accumulation de la pollution dans un environnement fermé (pollution atmosphérique, marine, mais aussi des terres agricoles…) ne peut qu’entraîner à terme l’auto-intoxication.
Afin de pouvoir nier encore, mais cette fois rationnellement, le déclin à venir, il faudra contredire les modèles et arguments évoqués ici, et en premier lieu les principes thermodynamiques dont découlent naturellement à la fois la réalité et la vérité.
Peu importe la précision de la date qui marquera le début du déclin humain, il faut retenir que le processus qui mènera à cette décadence est déjà engagé et que l’issue est sûre : alors que certains d’entre nous commencent déjà à perdre de leurs avantages (salaires, retraites, accès aux soins…), demain même les plus riches ne pourront maintenir leur niveau de confort et de sécurité, et l’humanité tout entière entrera pour la première et peut-être dernière fois en déclin global.
Acceptant alors que l’humanité n’est pas toute puissante, qu’elle est soumise à des principes qui la dépassent et qui l’obligeront, malgré le déni, à une profonde et certainement douloureuse mutation,Adrastia n’envisage pour autant aucun lâcher-prise et propose à ceux qui le souhaiteront d’anticiper au mieux la dégradation systémique de nos cadres de vie.
Si le bon sens et la science nous font admettre désormais que nous ne pourrons pas éviter l’écueil, des questionnements restent en suspens, auxquels nous nous proposons de réfléchir :
– Comment ?
- Comment exactement allons-nous ne pas parvenir à éviter notre déclin ?
- Comment allons-nous aborder non plus seulement notre mort individuelle, mais probablement une mort collective, à grande échelle ?
- Si les systèmes politiques actuels, déjà remis en cause, ne sont plus pertinents demain, lesquels les remplaceront ? Comment défendre la liberté et la démocratie quand le champ des possibles, c’est-à-dire l’opportunité même du choix, se réduit pour tous ?
- Comment éviterons-nous ou gérerons-nous la relocalisation des conflits, quand la peur et la faim nous rendront avides des biens de notre voisin, pourtant un ami autrefois ?
– Qui ?
- Qui aura encore les moyens de pallier la souffrance inhérente à la perte de son confort, à la dégradation de sa santé, à la réduction de sa sécurité ?
- À plus long terme, si le déclin de l’humanité ne s’accompagne pas d’un vortex d’effondrement écologique entraînant sa disparition totale, quels seront ceux qui nous succéderont ?
Le choix affirmé et assumé de considérer le déclin comme inévitable offre la possibilité de discuter posément et raisonnablement de ces questions.
Par exemple, même si la préconisation sera toujours d’impacter le moins possible l’équilibre écologique vital, il ne sera pas souhaité discuter au sein de l’association la problématique de la protection de l’environnement, nous l’admettons incompatible avec l’existence humaine (quel que soit l’humain considéré, quel que soit son comportement, son impact environnemental n’est jamais neutre – encore moins positif – et les dégâts inhérents à son existence ont des effets globaux strictement cumulatifs). Tant que les possibilités pour l’humain de protéger l’environnement ou d’opérer toute forme de transition énergétique salvatrice n’auront pas été démontrées, elles resteront du registre de l’espoir infondé et illusoire, voire de la croyance, ce dont Adrastia tient à se départir.
Il sera également évité autant que possible toute décharge de responsabilité sur autrui. Si chaque humain impacte négativement l’équilibre écologique vital il ne peut pas honnêtement se délester du poids de son action délétère sur un autre humain arbitrairement désigné plus coupable que lui. L’honnêteté des discours sera un objectif premier.
Enfin, la possibilité d’un libre arbitre, la possibilité pour l’humanité d’influencer son évolution au-delà d’un déterminisme qui la dépasse, qui n’ont fait l’objet d’aucune démonstration scientifique, seront rejetées pour l’établissement de discours et modèles rationnels. Nous devons entendre et accepter que nos plus grands talents, nos plus grands plaisirs et notre capacité même à penser le monde sont des cadeaux qui ont un prix, que nous devrons payer, que nous le voulions ou non, que nous y soyons prêts ou non.
Il n’y a pas de contrition dans l’initiative d’Adrastia, pas de culpabilisation, aucune moralisation. Nous pouvons nous préparer ensemble à ce que nous ne désirons pas, et nous pouvons le faire non seulement en minimisant la souffrance, mais aussi sûrement en maintenant possible notre quête de satisfaction et de plaisir. Si la vie nous fait appréhender l’issue il n’y a pas de raison de ne plus l’aimer, de ne plus nous aimer nous-mêmes, il n’y a pas de raison de ne pas rester dignes et fiers. Il ne serait rien de pire notamment que nos peurs, nos illusions et d’autres de nos faiblesses nous fassent préparer malgré nous ces conflits ultimes que nous craignons depuis si longtemps.
Notre monde se meurt d’une promesse non tenue, celle que nous nous sommes faite parce que nous avons eu la vanité de croire que nous pourrions nous substituer à nos dieux et aux principes de l’évolution pour gouverner nos vies. Comme les pires évènements ne doivent pas nécessairement engager les pires sentiments, nous pouvons désormais nous réconcilier avec ce qui nous a faits et avec nous-mêmes, afin d’apaiser nos angoisses et vivre au mieux, pour le mieux, aussi longtemps que possible.
Consulter aussi la synthèse des données
Références :
– Qu’y a-t-il donc dans le “Rapport du Club de Rome” ?, par Jean-Marci Jancovici
– Limits to Growth was right. New research shows we’re nearing collapse, Melbourne Sustainable Society Institute
– A Minimal Model for Human and Nature Interaction, étude co-financée par la NASA
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