Christian Estrosi : défaite de la pensée et triomphe de la peur.
Ahouansou SÉYIVÉ
Christian Estrosi, le degré 0 de la pensée politique.
Fini l’esprit du 11 janvier, ce vert pâturage où le troupeau devait désormais se sustenter.
Oubliés, serments et engagements rassembleurs.
Le ciment nouveau, censé solidifier les bases de la patrie ébranlée par les sicaires d’un Islam réduit à l’obscurantisme, a semble-t-il, été mal coulé.
Pour reprendre la vulgate chère au Front National et distillée insidieusement par les médias mainstream (La Une de Valeurs Actuelles du 6 mai 2015 en est un exemple parfait), cette entreprise de terrassement s’est révélée un "travail d’arabe".
Les fissures décelées en filigrane, lors d’un rassemblement relevant à parts égales du sursaut citoyen et du réflexe ovin, se sont transformées en béances dans lesquelles s’engouffrent avec entrain nombre de responsables de droite, notamment proches de Nicolas Sarkozy.
Ses communicants s’étaient donnés du mal. Ils avaient soigné son image, lissé ses premières prises de parole. Tout avait changé, il s’était calmé,assagi.
Las, les hommes ne changent pas ils évoluent, Sarkozy aussi, mais en pire.
De retour sur le devant de la scène, il se signale par une manipulation des mots et des symboles : l’Union pour une Majorité Populaire, lestée de casseroles judiciaires doit passer la main et se dénommer avant peu Les Républicains.
Cette opération marketing, moins anodine qu’il n’y paraît, relègue de façon subliminale au rang de factieux, voire d’ennemis intérieurs, les adversaires politiques de Nicolas Sarkozy.
Visiblement, l’accroc sémantique a été jugé insuffisant à surélever les murs séparant les français.
Un des plus fidèles lieutenants de l’ex-président, usant de la truelle métaphorique, s’est chargé de rajouter quelques parpaings à l’édifice.
Christian Estrosi, maire de Nice et ancien Ministre chargé de l’Industrie, nous a dévoilé la nouvelle doctrine géopolitique de l’UMP. (1)
Le motodidacte, grisé par la vitesse d’un circuit empruntant plus à la roue de hamster qu’à celui des 24H du Mans, a livré la vision d’une France au bord de l’apocalypse, en proie aux violents combats d’une troisième guerre mondiale déclarée à la « civilisation judéo-chrétienne ».
Selon ce visionnaire, cette guerre serait menée en France par un "islamo-fascisme" ayant organisé des "cinquièmes colonnes" et des "réseaux", "infiltrés dans nos caves, dans nos garages, dans les lieux clandestins".
Il se fait également le porte-parole de "l’immense majorité des musulmans de France qui aujourd’hui placent les lois de la République au-dessus des lois religieuses". Ignorant visiblement que certains sont nés en France, il les dépeint comme de pauvres hères se venant "nous trouver en refuge parce qu’ils se sentent menacés par ce que j’appelle l’islamo-fascisme".
Poursuivant son brillant exposé et faisant étalage de compétences juridiques jusque-là insoupçonnées, il conclut : "On est un Français quand on n’est pas un ennemi de la France. La carte d’identité ne fait pas un Français".
C’est au prétexte de l’antienne de son mentor, selon laquelle "Il faut dire la vérité", que Christian Estrosi a exposé, sur une chaîne nationale, une géopolitique de bazar et fait siens les thèmes soutenus par Marion-Maréchal Le Pen qu’il affrontera aux élections régionales en Paca.
Ce florilège de niaiseries, ce condensé de racisme, ces raccourcis plaqués sur l’Histoire prêteraient à sourire s’ils n’étaient révélateurs de la stratégie choisie par Nicolas Sarkozy et son entourage, dans l’optique d’une reconquête du pouvoir rendue vitale (la justice se faisant de plus en plus pressante).
Si l’avilissement du débat politique, par l’adoubement de l’islamophobie structurant la pensée politique du FN (perceptible dans la sortie d’Estrosi), est d’ores et déjà une des conséquences détestables du retour en politique de Sarkozy, l’alignement sur la thématique de la guerre de civilisation, annonce un dynamitage à hauts risques du vivre ensemble et de la cohésion nationale pourtant déjà fragilisés.
Tout le long de son mandat et lors de la campagne électorale précédant l’élection présidentielle de 2012, il avait traîné la France et les français dans la boue.
Il s’apprête, secondé par Estrosi, Ciotti, Marini et consorts, à la plonger dans les égouts.
Au-delà de l’insigne stupidité des propos du maire de Nice (civilisation judéo-chrétienne en danger, cinquièmes colonnes mahométanes menaçant la France, nationalité française attribuée selon des critères nébuleux), il faut s’alarmer de cette surenchère dans l’emploi d’un populisme enrobé du racisme le plus rance, et par le choix d’un recours à la peur comme facteur rassembleur de l’opinion publique.
Inquiète, la droite républicaine a pris la mesure des retombées électorales de la présidence de François Hollande. Les échecs répétés de ce dernier ne lui bénéficient guère et consultation après consultation, le souffle du FN se fait plus insistant sur les nuques de ses élus.
En réponse, Nicolas Sarkozy et la frange la plus dure de l’UMP ont misé sur un coup de barre à l’extrême-droite de l’échiquier politique, espérant ramener dans le troupeau les brebis égarées dans les pâturages frontistes.
Cette main-tendue en direction d’une frange de l’électorat votant il y a peu pour l’UMP, relève du choix cynique et s’explique aisément.
L’actuel pensionnaire de l’Élysée ayant décidé, d’une part, de s’aplatir devant le Medef et poursuivre une politique économique libérale, et d’autre part, de piétiner ouvertement ses engagements électoraux en matière sociale, il serait suicidaire de baser la contestation sur le fond.
A l’image du cliché figurant Sarkozy et Hollande cote à cote posant tout sourire, UMP et PS apparaissent comme les deux faces d’une même pièce.
De fait, la critique des politiques économique et sociale de la pseudo-gauche au pouvoir reviendrait pour la droite à mettre en lumière son lourd passif et décrédibiliser un futur programme ne différant qu’à la marge des orientations du PS.
Ce mimétisme dans les choix des deux formations et les effets de leurs politiques se mesurent chaque mois à travers le graphique de la courbe du chômage.
Cette dernière n’avait cessé de tutoyer les sommets avec Sarkozy. Sous Hollande, stimulée par des choix fiscaux bénéfiques aux entreprises et défavorables aux salariés, elle poursuit son ascension suivant la devise "Citius, altius, fortius".
N’ayant que peu ou pas de désaccord de fond avec le gouvernement, l’UMP se retrouve gênée aux entournures lorsqu’il s’agit de se démarquer et de se poser en alternative crédible.
Ses propositions en matière économique et sociale n’étant pas de nature à séduire, restent le storytelling du choc des civilisations et la thématique afférente de la peur du sarrazin.
Simple d’usage, il fait appel aux sentiments et aux impressions fausses, non à l’intellect.
Les français, enivrés depuis une dizaine d’années par un bruit de fond islamophobe et xénophobe, terrifiés par les attentats de janvier et celui déjoué mi-avril ne sauraient y rester sourds.
Il est vrai que la sortie par le haut, le débat d’idées respectueux du cadre républicain, n’ont jamais été des choix stratégiques pour Sarkozy, qui jadis donnait le tempo à coup de "Karcher" ou de "musulmans d’apparence" et qui court désormais après un FN dédiabolisé.
Mais en agitant de la sorte, le spectre de la guerre de civilisation, lui et son parti brisent un tabou, sans tenir compte de la dangerosité de la situation.
La France, à bien des égards, est assise sur un baril de poudre.
Dans des quartiers qu’on décrit avec pudeur comme populaires, mais qui en réalité, sont des quartiers de relégation et de ségrégation, sourd une colère que le microcosme médiatico-politique contribue à attiser.
En montrant du doigt des citoyens de seconde zone qu’elle ostracise du fait même de leur appartenance ethnique ou religieuse, la droite étale le fumier fertile sur lequel pousseront des fleurs de haine et de division.
Agitant chiffon rouge après chiffon rouge, alignant provocation après provocation, sanctifiant la parole raciste au nom de la liberté d’expression, instrumentalisant la lutte contre l’antisémitisme et l’histoire de la Shoah à de vulgaires fins politiciennes, la droite, aidée par ses relais médiatiques, s’est rendue complice du climat délétère dans lequel ont évolué les français à l’esprit faible s’étant illustrés à Toulouse, Paris et Porte de Montreuil.
Seuls le sophisme et la mauvaise foi, permettent de désigner les dérives radicales de ces "ratés de la république" comme sources uniques de leurs agissements.
Ces assassins, qui ne sont ni à plaindre ni à excuser, étaient d’abord des enfants d’une France en vrac.
Ils étaient les fruits pourris des politiques « d’intégration » et de l’instrumentalisation politicienne des lignes de frottement de la société française.
Ils étaient aussi les produits de politiques économiques néo-libérales destructrices, initiées par la droite et reprises par la gauche de gouvernement.
Choisissant la facilité, le maire de Nice n’a pas axé son propos sur les peurs nées des hiérarchies sociales et économiques qui étreignent les classes populaires et moyennes : la peur du chômage vécu ou potentiel utilisée comme outil managérial, celle du déclassement social pesant sur des classes moyennes ayant intériorisé que le plein emploi et la croissance soutenue étaient des songes appartenant au passé, celle de la perte du logement, de la radiation des fichiers donnant droit au RSA, celle des transformations de l’appareil productif fragilisant la position des quinquagénaires.
Ce sont, au contraire, les peurs nées du fantasme de l’islamiste fanatique souhaitant la destruction de l’Occident, celle née de "déferlantes" de boat-people, celle du grand remplacement et de la guerre de civilisation qui ont été agitées par M. Estrosi et seront agitées par la droite, afin de draguer l’électeur frontiste.
Si nul ne peut nier le caractère réel de certaines menaces, leur instrumentalisation par les responsables politiques de droite ne souffre d’aucune discussion.
Suivant l’analyse de Corey Robin, professeur de sciences-politiques au Brooklyn College, ce sont "eux (les dirigeants) qui identifient le danger pesant sur le bien-être de la population, qui en interprètent la nature et la cause, et qui proposent des solutions pour y faire face. Ce sont eux qui décident que telle peur est digne d’être un sujet de débat public et de mobilisation politique [...] Ce faisant, les dirigeants agissent naturellement sous l’influence de leurs objectifs stratégiques et de leurs présupposés idéologiques. Ils analysent la menace à travers un schéma idéologique qui façonne leur perception du danger qu’elle représente et les mesurent à l’aune de l’opportunité politique, qui leur permet d’évaluer s’ils ont intérêt ou non, politiquement à l’utiliser". (2)
Les gains attendus de cette dialectique de la terreur, habituellement utilisée en temps de guerre (qu’elle soit conventionnelle ou contre le terrorisme) sont multiples. Ils instaurent une cohésion nationale superficielle reposant sur le patriotisme, "plus sotte des passions et passion des sots", pour citer Schopenhauer.
Il n’est dès lors, plus possible de la contester sauf à risquer l’accusation de haute trahison et la mise au ban.
Ainsi, l’unanimisme consécutif aux attentats de janvier dernier ne souffrait nulle voix discordante, on se devait d’être Charlie, toutes dissonances étant interprétées comme un soutien accordé aux frères Kouachi et à leur associé Amedy Coulibaly.
En plus de souder le peuple derrière ses gouvernants, cette dialectique s’avère être très utile aux élites économiques dominantes et à leurs relais politiques.
Ainsi, toujours selon Corey Robin, "notre crainte du terrorisme, orchestrée et manipulée par les puissants, est utilisée pour organiser la structure de pouvoir dans la société, en donnant davantage à ceux qui ont déjà beaucoup et en prenant à ceux qui ont peu". (3)
On l’a vu avec la loi sur le renseignement bridant les libertés au nom de la lutte contre le terrorisme, les citoyens terrorisés n’éprouvent que peu de réticences à brader des pans essentiels de leurs libertés individuelles en échange de l’illusion de sécurité.
L’adoption de la loi Macron a de plus démontré que des atteintes au contrat social étaient possibles en ces époques de grandes peurs.
Anesthésié, le peuple ne réagira pas au renforcement des droits déjà exorbitants du patronat, même en période de chômage de masse.
Dès lors, le choix stratégique de l’UMP de jouer sur les peurs traversant la société française fait sens.
Il faut donc dépasser la sidération et la consternation ressenties à l’écoute des propos de Christian Estrosi, pour prendre toute leur mesure.
Qu’ils émanent d’un phare éteint de la pensée politique ne doit pas faire oublier leur caractère délibéré et leur inclusion dans une stratégie élaborée.
Celle tendant à la confiscation du pouvoir par la droite la plus immorale et affairiste qu’il nous a été donné de contempler depuis le RPR de Jacques Chirac.
Ils participent également d’une volonté féroce de défense et de solidification d’acquis de la classe détenant pouvoirs politique et économique.
Ils sont, et c’est le point le plus préoccupant, l’expression du cynisme le plus absolu en ce qu’ils sont un appel au réveil des instincts les plus vils des français, à la désignation de boucs-émissaires, sans considération pour les dégâts qu’ils causent et causeront à l’idée même de Nation.
Ces mots ébauchent en creux une société de plus en plus atomisée, ou l’on apprend sciemment aux citoyens à se tourner le dos.
Ils nous racontent un vivre ensemble sombrant inexorablement dans les abysses, rejoignant ainsi débat public et parole politique.
Il nous narrent en définitive le triste conte d’une France où la démagogie devint idéologie, l’abjection un slogan et l’ordure un programme politique.
Ahouansou Séyivé
Oubliés, serments et engagements rassembleurs.
Le ciment nouveau, censé solidifier les bases de la patrie ébranlée par les sicaires d’un Islam réduit à l’obscurantisme, a semble-t-il, été mal coulé.
Pour reprendre la vulgate chère au Front National et distillée insidieusement par les médias mainstream (La Une de Valeurs Actuelles du 6 mai 2015 en est un exemple parfait), cette entreprise de terrassement s’est révélée un "travail d’arabe".
Les fissures décelées en filigrane, lors d’un rassemblement relevant à parts égales du sursaut citoyen et du réflexe ovin, se sont transformées en béances dans lesquelles s’engouffrent avec entrain nombre de responsables de droite, notamment proches de Nicolas Sarkozy.
Ses communicants s’étaient donnés du mal. Ils avaient soigné son image, lissé ses premières prises de parole. Tout avait changé, il s’était calmé,assagi.
Las, les hommes ne changent pas ils évoluent, Sarkozy aussi, mais en pire.
De retour sur le devant de la scène, il se signale par une manipulation des mots et des symboles : l’Union pour une Majorité Populaire, lestée de casseroles judiciaires doit passer la main et se dénommer avant peu Les Républicains.
Cette opération marketing, moins anodine qu’il n’y paraît, relègue de façon subliminale au rang de factieux, voire d’ennemis intérieurs, les adversaires politiques de Nicolas Sarkozy.
Visiblement, l’accroc sémantique a été jugé insuffisant à surélever les murs séparant les français.
Un des plus fidèles lieutenants de l’ex-président, usant de la truelle métaphorique, s’est chargé de rajouter quelques parpaings à l’édifice.
Christian Estrosi, maire de Nice et ancien Ministre chargé de l’Industrie, nous a dévoilé la nouvelle doctrine géopolitique de l’UMP. (1)
Le motodidacte, grisé par la vitesse d’un circuit empruntant plus à la roue de hamster qu’à celui des 24H du Mans, a livré la vision d’une France au bord de l’apocalypse, en proie aux violents combats d’une troisième guerre mondiale déclarée à la « civilisation judéo-chrétienne ».
Selon ce visionnaire, cette guerre serait menée en France par un "islamo-fascisme" ayant organisé des "cinquièmes colonnes" et des "réseaux", "infiltrés dans nos caves, dans nos garages, dans les lieux clandestins".
Il se fait également le porte-parole de "l’immense majorité des musulmans de France qui aujourd’hui placent les lois de la République au-dessus des lois religieuses". Ignorant visiblement que certains sont nés en France, il les dépeint comme de pauvres hères se venant "nous trouver en refuge parce qu’ils se sentent menacés par ce que j’appelle l’islamo-fascisme".
Poursuivant son brillant exposé et faisant étalage de compétences juridiques jusque-là insoupçonnées, il conclut : "On est un Français quand on n’est pas un ennemi de la France. La carte d’identité ne fait pas un Français".
C’est au prétexte de l’antienne de son mentor, selon laquelle "Il faut dire la vérité", que Christian Estrosi a exposé, sur une chaîne nationale, une géopolitique de bazar et fait siens les thèmes soutenus par Marion-Maréchal Le Pen qu’il affrontera aux élections régionales en Paca.
Ce florilège de niaiseries, ce condensé de racisme, ces raccourcis plaqués sur l’Histoire prêteraient à sourire s’ils n’étaient révélateurs de la stratégie choisie par Nicolas Sarkozy et son entourage, dans l’optique d’une reconquête du pouvoir rendue vitale (la justice se faisant de plus en plus pressante).
Si l’avilissement du débat politique, par l’adoubement de l’islamophobie structurant la pensée politique du FN (perceptible dans la sortie d’Estrosi), est d’ores et déjà une des conséquences détestables du retour en politique de Sarkozy, l’alignement sur la thématique de la guerre de civilisation, annonce un dynamitage à hauts risques du vivre ensemble et de la cohésion nationale pourtant déjà fragilisés.
Tout le long de son mandat et lors de la campagne électorale précédant l’élection présidentielle de 2012, il avait traîné la France et les français dans la boue.
Il s’apprête, secondé par Estrosi, Ciotti, Marini et consorts, à la plonger dans les égouts.
Au-delà de l’insigne stupidité des propos du maire de Nice (civilisation judéo-chrétienne en danger, cinquièmes colonnes mahométanes menaçant la France, nationalité française attribuée selon des critères nébuleux), il faut s’alarmer de cette surenchère dans l’emploi d’un populisme enrobé du racisme le plus rance, et par le choix d’un recours à la peur comme facteur rassembleur de l’opinion publique.
Inquiète, la droite républicaine a pris la mesure des retombées électorales de la présidence de François Hollande. Les échecs répétés de ce dernier ne lui bénéficient guère et consultation après consultation, le souffle du FN se fait plus insistant sur les nuques de ses élus.
En réponse, Nicolas Sarkozy et la frange la plus dure de l’UMP ont misé sur un coup de barre à l’extrême-droite de l’échiquier politique, espérant ramener dans le troupeau les brebis égarées dans les pâturages frontistes.
Cette main-tendue en direction d’une frange de l’électorat votant il y a peu pour l’UMP, relève du choix cynique et s’explique aisément.
L’actuel pensionnaire de l’Élysée ayant décidé, d’une part, de s’aplatir devant le Medef et poursuivre une politique économique libérale, et d’autre part, de piétiner ouvertement ses engagements électoraux en matière sociale, il serait suicidaire de baser la contestation sur le fond.
A l’image du cliché figurant Sarkozy et Hollande cote à cote posant tout sourire, UMP et PS apparaissent comme les deux faces d’une même pièce.
De fait, la critique des politiques économique et sociale de la pseudo-gauche au pouvoir reviendrait pour la droite à mettre en lumière son lourd passif et décrédibiliser un futur programme ne différant qu’à la marge des orientations du PS.
Ce mimétisme dans les choix des deux formations et les effets de leurs politiques se mesurent chaque mois à travers le graphique de la courbe du chômage.
Cette dernière n’avait cessé de tutoyer les sommets avec Sarkozy. Sous Hollande, stimulée par des choix fiscaux bénéfiques aux entreprises et défavorables aux salariés, elle poursuit son ascension suivant la devise "Citius, altius, fortius".
N’ayant que peu ou pas de désaccord de fond avec le gouvernement, l’UMP se retrouve gênée aux entournures lorsqu’il s’agit de se démarquer et de se poser en alternative crédible.
Ses propositions en matière économique et sociale n’étant pas de nature à séduire, restent le storytelling du choc des civilisations et la thématique afférente de la peur du sarrazin.
Simple d’usage, il fait appel aux sentiments et aux impressions fausses, non à l’intellect.
Les français, enivrés depuis une dizaine d’années par un bruit de fond islamophobe et xénophobe, terrifiés par les attentats de janvier et celui déjoué mi-avril ne sauraient y rester sourds.
Il est vrai que la sortie par le haut, le débat d’idées respectueux du cadre républicain, n’ont jamais été des choix stratégiques pour Sarkozy, qui jadis donnait le tempo à coup de "Karcher" ou de "musulmans d’apparence" et qui court désormais après un FN dédiabolisé.
Mais en agitant de la sorte, le spectre de la guerre de civilisation, lui et son parti brisent un tabou, sans tenir compte de la dangerosité de la situation.
La France, à bien des égards, est assise sur un baril de poudre.
Dans des quartiers qu’on décrit avec pudeur comme populaires, mais qui en réalité, sont des quartiers de relégation et de ségrégation, sourd une colère que le microcosme médiatico-politique contribue à attiser.
En montrant du doigt des citoyens de seconde zone qu’elle ostracise du fait même de leur appartenance ethnique ou religieuse, la droite étale le fumier fertile sur lequel pousseront des fleurs de haine et de division.
Agitant chiffon rouge après chiffon rouge, alignant provocation après provocation, sanctifiant la parole raciste au nom de la liberté d’expression, instrumentalisant la lutte contre l’antisémitisme et l’histoire de la Shoah à de vulgaires fins politiciennes, la droite, aidée par ses relais médiatiques, s’est rendue complice du climat délétère dans lequel ont évolué les français à l’esprit faible s’étant illustrés à Toulouse, Paris et Porte de Montreuil.
Seuls le sophisme et la mauvaise foi, permettent de désigner les dérives radicales de ces "ratés de la république" comme sources uniques de leurs agissements.
Ces assassins, qui ne sont ni à plaindre ni à excuser, étaient d’abord des enfants d’une France en vrac.
Ils étaient les fruits pourris des politiques « d’intégration » et de l’instrumentalisation politicienne des lignes de frottement de la société française.
Ils étaient aussi les produits de politiques économiques néo-libérales destructrices, initiées par la droite et reprises par la gauche de gouvernement.
- La Une de la honte
Choisissant la facilité, le maire de Nice n’a pas axé son propos sur les peurs nées des hiérarchies sociales et économiques qui étreignent les classes populaires et moyennes : la peur du chômage vécu ou potentiel utilisée comme outil managérial, celle du déclassement social pesant sur des classes moyennes ayant intériorisé que le plein emploi et la croissance soutenue étaient des songes appartenant au passé, celle de la perte du logement, de la radiation des fichiers donnant droit au RSA, celle des transformations de l’appareil productif fragilisant la position des quinquagénaires.
Ce sont, au contraire, les peurs nées du fantasme de l’islamiste fanatique souhaitant la destruction de l’Occident, celle née de "déferlantes" de boat-people, celle du grand remplacement et de la guerre de civilisation qui ont été agitées par M. Estrosi et seront agitées par la droite, afin de draguer l’électeur frontiste.
Si nul ne peut nier le caractère réel de certaines menaces, leur instrumentalisation par les responsables politiques de droite ne souffre d’aucune discussion.
Suivant l’analyse de Corey Robin, professeur de sciences-politiques au Brooklyn College, ce sont "eux (les dirigeants) qui identifient le danger pesant sur le bien-être de la population, qui en interprètent la nature et la cause, et qui proposent des solutions pour y faire face. Ce sont eux qui décident que telle peur est digne d’être un sujet de débat public et de mobilisation politique [...] Ce faisant, les dirigeants agissent naturellement sous l’influence de leurs objectifs stratégiques et de leurs présupposés idéologiques. Ils analysent la menace à travers un schéma idéologique qui façonne leur perception du danger qu’elle représente et les mesurent à l’aune de l’opportunité politique, qui leur permet d’évaluer s’ils ont intérêt ou non, politiquement à l’utiliser". (2)
Les gains attendus de cette dialectique de la terreur, habituellement utilisée en temps de guerre (qu’elle soit conventionnelle ou contre le terrorisme) sont multiples. Ils instaurent une cohésion nationale superficielle reposant sur le patriotisme, "plus sotte des passions et passion des sots", pour citer Schopenhauer.
Il n’est dès lors, plus possible de la contester sauf à risquer l’accusation de haute trahison et la mise au ban.
Ainsi, l’unanimisme consécutif aux attentats de janvier dernier ne souffrait nulle voix discordante, on se devait d’être Charlie, toutes dissonances étant interprétées comme un soutien accordé aux frères Kouachi et à leur associé Amedy Coulibaly.
En plus de souder le peuple derrière ses gouvernants, cette dialectique s’avère être très utile aux élites économiques dominantes et à leurs relais politiques.
Ainsi, toujours selon Corey Robin, "notre crainte du terrorisme, orchestrée et manipulée par les puissants, est utilisée pour organiser la structure de pouvoir dans la société, en donnant davantage à ceux qui ont déjà beaucoup et en prenant à ceux qui ont peu". (3)
On l’a vu avec la loi sur le renseignement bridant les libertés au nom de la lutte contre le terrorisme, les citoyens terrorisés n’éprouvent que peu de réticences à brader des pans essentiels de leurs libertés individuelles en échange de l’illusion de sécurité.
L’adoption de la loi Macron a de plus démontré que des atteintes au contrat social étaient possibles en ces époques de grandes peurs.
Anesthésié, le peuple ne réagira pas au renforcement des droits déjà exorbitants du patronat, même en période de chômage de masse.
Dès lors, le choix stratégique de l’UMP de jouer sur les peurs traversant la société française fait sens.
Il faut donc dépasser la sidération et la consternation ressenties à l’écoute des propos de Christian Estrosi, pour prendre toute leur mesure.
Qu’ils émanent d’un phare éteint de la pensée politique ne doit pas faire oublier leur caractère délibéré et leur inclusion dans une stratégie élaborée.
Celle tendant à la confiscation du pouvoir par la droite la plus immorale et affairiste qu’il nous a été donné de contempler depuis le RPR de Jacques Chirac.
Ils participent également d’une volonté féroce de défense et de solidification d’acquis de la classe détenant pouvoirs politique et économique.
Ils sont, et c’est le point le plus préoccupant, l’expression du cynisme le plus absolu en ce qu’ils sont un appel au réveil des instincts les plus vils des français, à la désignation de boucs-émissaires, sans considération pour les dégâts qu’ils causent et causeront à l’idée même de Nation.
Ces mots ébauchent en creux une société de plus en plus atomisée, ou l’on apprend sciemment aux citoyens à se tourner le dos.
Ils nous racontent un vivre ensemble sombrant inexorablement dans les abysses, rejoignant ainsi débat public et parole politique.
Il nous narrent en définitive le triste conte d’une France où la démagogie devint idéologie, l’abjection un slogan et l’ordure un programme politique.
Ahouansou Séyivé
(1) http://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/attentat-dejoue-a-p...
(2) Corey Robin, La Peur:Histoire d’une idée politique, Paris, Armand Colin, 2006, p.43-44.
(3) Corey Robin, La Peur:Histoire d’une idée politique, Paris, Armand Colin, 2006, p.58.
(2) Corey Robin, La Peur:Histoire d’une idée politique, Paris, Armand Colin, 2006, p.43-44.
(3) Corey Robin, La Peur:Histoire d’une idée politique, Paris, Armand Colin, 2006, p.58.
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