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mercredi 27 juillet 2016

LES NOUVELLES ROUTES DE LA SOIE

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Pleure, Mackinder, pleure

Le mouvement de balancier est flagrant et la concomitance amusante. Tandis que la créature US en Europe tangue sérieusement suite au Brexit, l'Eurasie continue son union. Au moment même où l'UE perdait un membre, l'Organisation de Coopération de Shanghai tenait son sommet annuel à Tachkent, en Ouzbékistan, et accueillait nouveaux membres et partenaires de dialogue.
L'Inde et le Pakistan deviendront membres à part entière en 2017. "Il ne reste que quelques formalités" a déclaré Poutine. Avec ces deux poids lourds asiatiques, l'OCS représentera 45% de la population de la planète, 19% de son PIB et 60% du territoire eurasiatique. La "moitié du monde" échappant à l'empire, on comprend que Mackinder se retourne dans la tombe...
L'Iran, à peine "désanctionné", devra attendre encore un peu. Ajoutons que, si son entrée aurait de gros avantages, elle pourrait également poser quelques problèmes. Fait rare qui mérite d'être souligné, Téhéran maintient d'excellentes relations à la fois avec les Chinois, les Indiens et les Pakistanais, et serait susceptible de jouer avec les Russes le rôle d'intermédiaire afin d'apaiser les tensions toujours existantes, quoique moins vives, entre Pékin et New Delhi d'une part, Islamabad et New Delhi d'autre part. L'Iran offrirait également à l'OCS une ouverture en or sur le Moyen-Orient et le Golfe persique.
Mais l'habitude iranienne d'intervenir, ouvertement ou sous couvert, dans de nombreux conflits extérieurs - Syrie, Liban, Irak, Yémen - entre en contradiction flagrante avec les principes de l'OCS qui fait de la non-intervention dans les affaires d'un pays voisin un axiome incontournable. Pékin est particulièrement sourcilleux sur ce point et pourrait attendre certaines garanties de Téhéran avant de donner le feu vert.
De leur côté, cinq pays supplémentaires ont fait part de leur intention de devenir partenaires de dialogue de l'organisation. Le secrétaire-général n'a pas voulu révéler les noms tout en concédant que cela concernait un pays d'Europe de l'Est, trois du Moyen-Orient et un d'Asie du Sud-est. Il se murmure qu'il pourrait s'agir de la Hongrie, d'Israël (!), de l'Egypte, de la Syrie et du Laos.
Sans vouloir manquer de respect à nos amis laotiens, l'arrivée de leur pays ne changera certes pas la face du monde, mais les autres noms sont très intéressants. Si la rumeur se confirme, cela entérine le mouvement général que nous avons documenté à plusieurs reprises ces derniers mois.
La Hongrie d'Orban fait partie de ces pays européens de plus en plus récalcitrants aux directives bruxello-américaines. Budapest souhaite la fin des sanctions contre la Russie, coopérer avec Moscou (gaz, nucléaire) mais aussi avec la Chine. On se rappelle que la Hongrie fut le premier pays européen à officialiser sa participation à la future et pharaonique route de la Soie chinoise.
Pleure, Mackinder, pleure
L'"eurasianisation" d'Israël est l'un des phénomènes les plus étonnants de ces dernières années. A mesure que Tel Aviv prend ses distances (relatives) avec tonton Sam, il se rapproche du monde multipolaire en train de voir le jour sur le continent-monde et ne veut pas rater le train en marche. On a vu le vif intérêt d'Israël pour l'Union Eurasienne, les propositions de coopération gazière avec Gazprom en Méditerranée orientale, même l'éventualité d'exercices militaires conjoints en Syrie (!) A tout cela, Moscou répond "Da", mais sans pourtant lâcher ses alliés traditionnels (Iran, Assad, Palestiniens ou encore Hezbollah). Il faudra peut-être un jour se pencher sur les pouvoirs presque surnaturels semblant émaner du Kremlin qui réussit le tour de force de se faire de nouveaux amis en conservant comme alliés les ennemis de ceux-ci...
Quant à l'Egypte, ce ne serait pas non plus une surprise. Sissi est très proche de Poutine et l'a reçu comme un pharaon il y a deux ans. Le Caire dédollarise ses échanges avec la Russie, les denrées agricoles du Nil ont allègrement remplacé les produits européens après le ping pong de sanctions/contre-sanctions entre l'UE-US et la Russie. La demande syrienne, elle, ne sera sans doute pas prise en compte en l'état actuel des choses, mais elle est intéressante en ce qu'elle semble indiquer la confiance absolue de Damas en la victoire finale.
Ne tirons pas de plans sur la comète, il ne s'agit pour l'instant que de futurs partenaires de dialogue et non d'Etats membres. Ces candidatures sont toutefois le reflet d'une tendance lourde depuis quelques années en faveur de l'Eurasie : le centre de gravité se déplace lentement mais sûrement d'Ouest en Est. Alors que l'UE commence à perdre des membres et ne trouve de nouveaux associés que par le biais de putsch (Maïdan, quand tu nous tiens), l'OCS, l'Union Eurasienne, le nouveau système financier parallèle sino-russe ou les Routes de la Soie chinoises attirent un nombre croissant de pays. Go east young man...
Mais revenons à notre Organisation de Coopération de Shanghai qui, chose intéressante et dont nous avons déjà parlé, sort peu à peu de son rôle premier et commence à faire entendre sa voix en politique étrangère. Ainsi, la déclaration de Tachkent a appelé à préserver l'intégrité territoriale, l'unité, la souveraineté et la stabilité de la Syrie. En Ukraine, c'est la solution politique qui doit prévaloir en conformité aux accords de Minsk II (Vladimirovitch doit se frotter les mains...) Enfin, l'établissement de boucliers anti-missiles - sous-entendu en Europe de l'est et en Corée - est condamné (tsss tsss les Américains, on parle de vous...)
Les sommets de l'OCS sont également le prétexte à un grand nombre de rencontres bilatérales en marge ou les jours suivants. Le premier ministre indien a rencontré le président chinois pour discuter nucléaire, un corridor économique a été programmé entre la Russie, la Mongolie et la Chine (future partie des Routes de la Soie ?)
Et puis il y a la visite de Poutine en Chine... Les multiples provocations états-uniennes depuis quinze ans ont poussé ces deux-là à bâtir un véritable duopole eurasien.
Pleure, Mackinder, pleure
Le président russe avait déjà préparé le terrain dans une interview : "Dire que nos deux pays coopèrent stratégiquement est dépassé. Nous travaillons désormais ensemble sur tous les grands sujet. Nos vues sur les questions internationales sont similaires ou coïncident. Nous sommes en contact constant et nous nous consultons sur toutes les questions globales ou régionales". Xi en rajoute une couche, déclarant tout de go que les deux pays seront "amis pour toujours". Diantre !
Le reste suit... Nouveaux projets signés d'une valeur de 50 Mds, notamment dans le pétrole entre Rosneft d'une part, Sinopec et ChemChina de l'autre. Ces contrats font suite aux projets géants de gazoducs (Altaï et Force de Sibérie, dont la construction avance) vers la Chine ainsi qu'aux prises de participations chinoises dans divers gisements en Russie. Rappelons que la Chine est devenue le premier consommateur de pétrole russe (au détriment de l'Allemagne) et que la Russie est devenue le premier fournisseur de pétrole pour la Chine (au détriment de l'Arabie saoudite) : symbole éclairant de l'intégration énergétique eurasienne.
Moscou et Pékin fabriquent un avion de ligne sino-russe, engagent la construction commune d'unhélicoptère militaire lourd assez révolutionnaire. Et il y a évidemment la vente de Sukhoïs 35 et surtout de S-400, dont la portée de 400 km changera complètement la balance stratégique en Mer de Chine orientale vis-à-vis de Taïwan et des Senkaku.
Poutine n'a pas tort lorsqu'il affirme que le stade de la coopération stratégique est déjà largement dépassé. Qui contrôle l'Eurasie contrôle le monde disait l'inspirateur de la pensée stratégique américaine. Justement, on y arrive peu à peu, mais pas dans le sens qu'il attendait. A vot' bon coeur, m'sieurs dames, un mouchoir pour Mackinder...

REFUSONS LA MARCHE A LA GUERRE

SOURCE

2014 : Innombrables commémorations de la Grande Guerre, multiples interrogations. Les plus jeunes, ébahis et incrédules, se demandent comment une telle ineptie funeste à été possible. La croient d’un autre siècle.
Mais les commémorations, devenues rituelles, ne sont que pures conventions et ne délivrent qu’une version aseptisée et consensuelle. L’histoire officielle qu’elles véhiculent n’aide en rien à comprendre la mécanique qui a broyé l’Europe et ses peuples. Dans le pire des cas elle présente la guerre comme un grand malheur, une fatalité, et conclue que « plus jamais ça ». Mais elle ne précise pas plus jamais quoi.
Dans le meilleur, elle mentionne la responsabilité des gouvernants, plus rarement celle des militaires et de l’état major. Si elle rappelle parfois les rôles de Jean Jaurès, de Rosa Luxembourg, rarement elle approfondit leurs arguments politiques, et presque jamais ne souligne la justesse et la clairvoyance de leur lutte. Il faut chercher soi-même les discours de Vaise et du Pré Saint Gervais, et l’assassinat du fondateur de l’Humanitéest relégué au rang d’une péripétie de l’histoire. Du côté de la marche à la guerre, elle esquive souvent la responsabilité de Poincaré et de ses gouvernements. Elle ne dit pas l’aveuglement de Philippe Pétain, l’impréparation des chefs et leur incompréhension totale de ce qui allait advenir.
Elle évite de rappeler, bien sûr, le procès de l’assassin de Jean Jaurès, si révélateur : en mars 1919, à l’issue d’un procès ayant duré cinq jours, Raoul Villain est acquitté. Et la veuve de Jaurès est condamnée aux dépens du procès…
Il ne s’agit nullement d’une erreur judiciaire. En ce lendemain de guerre, les dirigeants politiques, les cadres de l’armée, les intellectuels, réalisent abasourdis l’ampleur de la boucherie et des destruction qu’ils ont laissées advenir ou même encouragées ; ils craignent la juste colère du pays. La nation toute entière n’ose regarder en face cette ineptie historique, les manipulations, les mensonges, les aveuglements, même lorsqu’elle en a été la victime. Les classes dirigeantes, surtout, redoutent avec terreur que le peuple ne comprenne enfin leur irresponsabilité, voire les intérêts criminels qui les ont guidées. Mais les victimes elles mêmes ne veulent pas voir rappeler leur propre aveuglement, le consentement abusé de beaucoup. Alors il est essentiel, vital, que personne ne se souvienne de Jean Jaurès, de son combat contre la guerre jusqu’à son dernier jour. L’amnésie est vitale pour la concorde, et surtout pour le maintien au pouvoir des mêmes classes. Personne ne doit rappeler que Jaurès, guidé par son analyse sociale, fut plus lucide que les hommes politiques et plus clairvoyant que les stratèges militaires. Que contre tous, il avait mis en garde contre les hécatombes imbéciles qui se profilaient. Avait montré comment militaires et pouvoirs économiques feraient bon marché des vies de travailleurs... Puis des autres. Avait crié à quel point la guerre était le stade suprême de l’exploitation des peuples par les classes possédantes.
Il fallait donc que l’assassin de Jaurès soit acquitté ; il fallait que son geste soit pris comme celui d’un patriote, qu’il occulte la lumière de la juste lutte de Jean Jaurès contre l’obscurantisme belliqueux. La guerre était devenue sacrée, et le président du tribunal déclara au prévenu : « Vous êtes un patriote Villain »...
L’histoire officielle, et le récit médiatique qui accompagne ces « commémorations » et « devoirs de mémoire » gomme donc tout cela. Mais surtout, au grand jamais elle ne rappelle qu’une guerre se mène toujours avec l’assentiment des peuples. Que les pouvoirs, lorsqu’ils se sont convaincus de l’intérêt que la guerre présente pour eux (pour cause de surproduction, de crise économique, de difficultés de politique intérieure...) savent trouver les mots, savent faire entonner des chants, trouvent les mises en scène, les arguments, les prétextes. Savent, quand besoin est, les créer, cela s’est vu. Savent cacher les risques, les conséquences, les malheurs. Savent faire oublier que dans une guerre, même si on la mène très loin, il y a des victimes des deux côtés. Savent faire croire que c’est l’autre qui a commencé, qu’il sera seul puni, et que la meilleure solution est de riposter. « On les aura ».
En 14-18, c’est connu, « on » devait être à Berlin avant Noël, avec si peu de morts. En 39-45, en Allemagne, on devait conquérir l’Europe, et jamais la fortune de guerre ne se retournerait, jamais un avion ennemi ne survolerait le Reich. Aux États-Unis même, il fallut des trésors de communication pour convaincre le peuple d’aller participer aux massacres européens puis asiatiques. Puis il y eut les Malouines, l’Afghanistan, l’Irak, et à chaque fois le scénario se reproduisit : celui de la manipulation, des demi-vérités et du mensonge, celui que la commission Chilcot vient de rendre public et officiel au Royaume Uni. Hélas, seule une petite fraction des populations, des intellectuels même, sait résister à ces sirènes. Seuls quelques dirigeants ont la lucidité ou le courage de ne pas hurler avec les fauteurs de guerre au risque de passer pour des anti patriotes ou des défaitistes.
C’est donc en dernier ressort les peuples eux mêmes qui sont l’ultime rempart contre ce qui est toujours présenté comme LA solution et qui est TOUJOURS le début d’une catastrophe. S’ils se laissent entraîner, plus rien n’arrête la marche à la guerre.
Or nous en sommes là. Pour des raisons dont tout le monde sait qu’elles ne sont pas pures, mais qui portent les jolis noms de droits de l’homme, de liberté, de sécurité, de lutte contre la barbarie, nos gouvernants nous entraînent aujourd’hui dans cet engrenage, se saisissent des terribles événements qui eux-mêmes s’inscrivent dans cette logique et en découlent pour partie. Afrique, Moyen-Orient, Ukraine, Corée, Chine même, les « ennemis » sont partout, qu’il faudrait aller étouffer dans l’œuf.
Et l’on voit ressurgir marseillaise, prestige de l’armée, apologie des armes, des avions de guerre, des technologies mortifères qui assureront l’anéantissement de l’ennemi sans risque aucun pour nous. Pourtant qui peut encore croire, plus qu’en Afghanistan, qu’en Irak, en Libye ou autrefois sur le sol européen, que la guerre apportera une solution ?
Mais aujourd’hui, et semble-t-il de manière croissante, les porte-paroles, les dirigeants politiques, les télévisions, la presse, sans mémoire, inconscients ou sans vergogne jouent ce jeu périlleux et nous mènent vers le gouffre. Puis les peuples, une grande partie tout au moins, se laissent emporter par la rhétorique, les « experts » et les images. Plus tard, trop tard, l’archiduc d’Autriche et Sarajevo l’ont montré, plus personne ne contrôle rien, et la logique de la guerre s’auto-alimente.
Puis voici qu’après l’abominable action criminelle du 14 juillet à Nice, la classe politique tétanisée sombre dans le déshonneur en tentant de s’emparer de l’événement. Et voici que dans la surenchère qui en découle, une partie de cette caste nous appelle maintenant à préparer la guerre civile en armant des milices dans nos rues. On en a vu l’efficacité à Beyrouth autrefois, en Syrie aujourd’hui... Voici même qu’on entend des voix appeler à « la guerre totale », rappelant un pathétique épisode, prélude à une défaite totale.
Il y a de quoi, aujourd’hui, être très inquiets, il y a de quoi se souvenir des marches vers la guerre, l’aveuglement n’est pas d’un autre temps. Il y a de quoi s’y opposer de toutes nos forces.
Gérard Collet
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jeudi 21 juillet 2016

UN GOUVERNEMENT DE VOYOUS POUR L'INSTAURATION D'UN REGIME FASCISTE

SOURCE 

La France dégénère en un Etat militarisé dirigé par la peur

© Stephane MaheSource: Reuters
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Après la tuerie de Nice, François Hollande et Manuel Valls ont répété que la France était en état de guerre. Mais pour le journaliste Finian Cunningham, ce gouvernement fait surtout prendre à la France le chemin de la dictature.
Cité par Le Journal du DimancheValls a déclaré: «J’ai toujours dit la vérité sur le terrorisme : on nous mène une guerre, il y aura de nouveaux attentats. C’est difficile à dire, mais d’autres vies seront fauchées.»
Il y a neuf mois, Hollande a fait part du même genre de sombres pressentiments en évoquant la «France en guerre» après les attaques à l’arme à feu à Paris, où 130 personnes ont été tuées par cinq kamikazes djihadistes.
L'état d'urgence déclaré après les atrocités du 13 novembre a été prolongé ce week-end pour trois mois après que 84 personnes ont été tuées à Nice jeudi dernier [14 juillet]. Dans cette attaque, un homme dans un camion semi-remorque de 20 tonnes a foncé dans une foule de milliers de piétons regardant le feu d'artifice du 14 juillet dans un station balnéaire de la Côte d'Azur.
Quelques 120 000 policiers et soldats seraient déployés maintenant à travers la France, ce qui est supérieur au nombre record de 115 000 agents de sécurité en état d'alerte lors de l’Euro 2016. Par ailleurs, 12 000 policiers réservistes sont en train d’être mobilisés.
C’est désormais devenu une routine de voir des soldats armés en patrouille aux côtés des gens qui font leurs courses et des amateurs de café le long des rues des villes françaises. Les citoyens doivent accepter les contrôles aléatoires de leurs sacs, des scanners corporels et des arches de détecteurs de métaux en entrant dans les bâtiments publics.
On est à quelques pas seulement de la dictature pure et simple
Le ministre français de l'Intérieur Bernard Cazeneuve exhorte «tous les patriotes français» à rejoindre la police ou les rangs des réservistes de l'armée.
Il y a même des demandes de Marine Le Pen, leader du Front national, de réinstaurer le service national obligatoire.
Au cours de la dernière année, des milliers de citoyens français ont été arrêtés ou ont subi des perquisitions de leur domicile par la police sans mandat.
On dit que quelques 20 000 personnes sont sous surveillance des autorités françaises.
L'état d'urgence a également vu le gouvernement interdire des manifestations publiques contre la Loi travail. Cette violation sans précédent des libertés civiles a été justifiée comme une mesure nécessaire de «sécurité nationale» pour lutter contre les menaces terroristes.
La France a ainsi entré dans un état d'urgence permanent, marqué par des pouvoirs de la police élargis, par une militarisation de la société, et par la suspension des droits et des libertés démocratiques. On est à quelques pas seulement de la dictature pure et simple.
Ironie du sort : la dernière atrocité en date, celle de Nice, a eu lieu le 14 juillet, le jour de la fête nationale commémorant la Prise de la Bastille et la Révolution française et sa proclamation historique : «liberté, égalité, fraternité.» A quel point la «liberté» des citoyens français peut leur être restreinte par les autorités dans la guerre contre le terrorisme présumé est une point discutable.
Malgré l'ambiguïté, les autorités françaises affirment qu’il s’agissait, à Nice, d’un attentat terroriste
La réalité des attaques terroristes contre la France n’est pas sujet à discussion. La tuerie dans les locaux du magazine satirique Charlie Hebdo en janvier 2015 et le carnage parisien de novembre ont été clairement réalisés par des personnes ayant des liens avec des groupes terroristes djihadistes.
Cependant, dans le cas du carnage niçois, les motivations du tueur sont loin d’être claires. D'origine tunisienne, Mohamed Lahouaiej Bouhlel (31 ans) aurait souffert des problèmes psychologiques profonds, de dépression et de violence. Divorcé et séparé de ses trois enfants, sa famille a dit qu'il n’était pas un «islamiste radical». Il aurait bu de l'alcool et fumé pendant le mois du jeûne musulman – le Ramadan – et ses amis disent qu'il n'a jamais été dans une mosquée de toute sa vie.
Le groupe terroriste islamiste Daesh peut parfaitement affirmer que Bouhlel était «un soldat du califat» après les tueries de Nice. Mais il n'y a aucune preuve d'existence d’un lien organisationnel, même d’après les enquêteurs français. Le groupe terroriste a fait des déclarations similaires concernant le tireur d’Orlando, en Floride, du massacre du mois dernier. Il s’est avéré que l'attaquant d’Orlando, lui aussi, a souffert de troubles psychologiques sans le moindre rapport avec le terrorisme.
C’est probablement plus facile pour les autorités françaises de qualifier toutes ces attaques violentes de «terrorisme»
Sur l’attaque de Nice, selon le Daily Telegraph, des sources de la police française ont même suggéré que Bouhlel pouvait avoir été motivée par le désir de se suicider plutôt que par l'idéologie islamiste, et a décidé de présenter son suicide comme un complot terroriste.
Malgré l'ambiguïté, les autorités françaises affirment qu’il s’agissait, à Nice, d’un attentat terroriste. Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve affirme que l'assaillant s’est «rapidement radicalisé», même s’il n’était pas sur une liste de surveillance de terroristes – il était bien connu de la police française comme petit délinquant.
Manuel Valls, le Premier ministre, a fait une affirmation plutôt guindée : «La revendication de Daesh du samedi matin et la radicalisation du tueur confirment la nature islamiste de l'attaque.»
C’est probablement plus facile pour les autorités françaises de qualifier toutes ces attaques violentes de «terrorisme». Cet encadrement conceptuel permet aux autorités de s’emparer de plus de pouvoir au détriment des droits démocratiques, et ce sans responsabilité. L’encadrement de la terreur tend également à renforcer la légitimité des forces de sécurité du gouvernement et de l'Etat et de détourner les critiques et la colère du public des horribles défaillances en matière de sécurité publique.
Mais cette trajectoire du pouvoir d'Etat risque de devenir un processus dynamique auto-renforçant de gouvernance de plus en plus autocratique – une dictature – où la démocratie, à toutes fins et intentions, cesse d'exister. Encore plus inquiétant, ce sinistre déluge est même à peine remise en question dans le discours public.
Si les citoyens n'imposent pas leur volonté démocratique à ces gouvernements de voyous, ce cercle vicieux nous fera allers vers la dictature fasciste
L'aspect international de la réponse du gouvernement français est tout aussi problématique. Ce gouvernement a annoncé une intensification des frappes aériennes contre des groupes ouvertement terroristes en Syrie et en Irak. Les responsables français seraient en déplacement à Washington cette semaine pour coordonner un déploiement militaire plus important dans ces deux pays.
L'Etat français, comme ses partenaires de l'OTAN, laboure dans la fosse aux serpents. La déstabilisation cachée de la Syrie (et la Libye) pour un changement de régime impliquant la militarisation des mandataires terroristes est une recette pour un effet boomerang sans fin. Les bombardements «anti-terroristes» ultérieurs des pays arabes, en violation flagrante du droit international, est un pas de plus vers la fosse aux serpents.
Sans traiter les causes profondes des problèmes politiques – à savoir la complicité française dans le parrainage des changements de régime et du terrorisme – il n'y aura jamais de solution. C’est un axiome irréfutable : il ne peut pas y avoir de paix sans justice, cette dernière étant prise au sens le plus large du respect du droit et de la morale.
Les principales puissances de l'OTAN ne doivent pas être autorisés à fouler aux pieds le droit international en lançant des guerres et des complots secrets
La France se transforme en un État policier autoritaire militarisé – un peu comme Israël. Les citoyens ont à vivre en permanence dans la peur et à faire face aux mesures d’urgence qui prennent l’ascendant sur les droits démocratiques.
L'analogie avec l’Israël est appropriée. L'usurpation des droits des Palestiniens par l’Israël et les violations systématiques du droit international est un autre cas de «pas de paix sans justice».
Les citoyens français, tout comme ceux des autres pays occidentaux, doivent se poser la question : «Voulons-nous vraiment vivre comme ça ?» Autrement dit, sous le poids permanent de la peur et avec le pouvoir arbitraire de l'État qui s'exprime également dans le despotisme, comme on le voit à travers l'interdiction des manifestations publiques des opposants, la réduction des droits des travailleurs et les politiques d'austérité.
Cela ne pourrait mener à l’éradication immédiate du terrorisme, mais la voie à suivre pour les citoyens est celle d’exiger des comptes de leur gouvernement. Washington, Londres et Paris – les principales puissances de l'OTAN – ne doivent pas être autorisés à fouler aux pieds le droit international en lançant des guerres et des complots secrets pour changer de régime dans des pays souverains.
Les gouvernements et dirigeants politiques occidentaux doivent être poursuivis en justice pour des crimes contre la paix. Cela a-t-il été fait une seule fois ?
C’est la seule façon de briser le cercle vicieux de terrorisme parrainée par l'État, de l’effet boomerang et de la soi-disant «lutte contre le terrorisme».
Si les citoyens n'imposent pas leur volonté démocratique à ces gouvernements de voyous, ce cercle vicieux nous fera allers vers la dictature fasciste. Et la France semble être sur de bons rails pour arriver à cette dystopie.

mercredi 20 juillet 2016

LE CAMION BLANC ....... ET PENDANT CE TEMPS, HOLLANDE CONTINUE DE SE COIFFER POUR 10 000 EUROS MENSUELS.

SOURCE ET COMMENTAIRES


A 3 h 52 du matin, le 15 juillet, le président de la République française publiait via son compte Twitter un message prévisible, mais à tout prendre stupéfiant :
« Nous allons intensifier nos frappes en Syrie et en Irak. Nous continuerons de frapper ceux qui nous menacent. » #Nice (15.07.16 03:52)
Que signifie cette prise de position ?
1) Que l’Elysée, quelques heures à peine après l’attentat, sait déjà tout — ou prétend déjà tout savoir — des mobiles, des soutiens et des réseaux de l’homme qui a commis l’attentat de Nice (identifié comme un Tunisien résidant en France).
2) Que l’Elysée établit un lien direct entre cette tragédie et l’Etat islamique (puisque c’est officiellement l’EI que visent les « frappes » de l’aviation française en Irak et en Syrie).
3) Que l’Elysée pense (ou semble implicitement penser) qu’en « intensifiant les frappes » contre l’EI on pourra remédier au problème des tueries de masses en France, assimilées à du terrorisme islamique lié au courant salafiste.
Ce simple tweet véhicule une telle charge de contradiction, d’ineptie et de scandale qu’on se prend à trembler pour peu qu’on réfléchisse à ses implications.
Mais où est passé Padamalgam ?
Comment peut-on savoir d’emblée qu’un tueur de masse est un agent de l’Etat islamique, alors qu’il n’était même pas fiché « S » par les renseignements et qu’aucun élément connu de sa vie antérieure ne parlait en faveur d’un tel ralliement ?
Où est passée la prudence scrupuleuse que les pouvoirs politiques et médiatiques imposent à leurs opposants et à la population sous le slogan Padamalgam ? Au nom de quoi la Présidence française a-t-elle évacué a priori l’hypothèse du fait divers violent mais apolitique ? Après tout, n’a-t-on pas relevé, dans les premiers commentaires, que Mohammed Laouej Bouhlel était un voyou violent et qu’il avait des problèmes familiaux ? Après une telle prise de position du sommet de l’Etat, quel juge, quel policier, quel profiler oserait affirmer que le geste de Bouhlel n’était pas motivé par le fanatisme islamique ? Et si d’aventure il l’affirmait, comment les médias traiteraient-ils cette voix dissonante ?
Mais soit : admettons que l’Elysée ait raison, que cet homme ait effectivement agi pour le compte de l’Etat islamique. Quel rapport y aurait-il alors entre les frappes contre l’EI au Moyen-Orient et un geste comme le sien ? Les revers subis récemment par l’EI seraient plutôt de nature à favoriser un déplacement de la guerre sur le terrain de l’adversaire, autrement dit sur le territoire des pays qui le combattent.
Auquel cas, pourquoi la France est-elle la principale, pour ne pas dire la seule cible des terroristes de l’EI ? La contribution de la France aux opérations de la coalition occidentale dans la région est symbolique. D’ailleurs, cette coalition a nettement moins endommagé l’EI que l’alliance de l’aviation russe avec l’armée syrienne. Pourquoi l’EI n’a-t-il pas envoyé un camion blanc rouler sur des civils russes ?
En admettant même que la France soit un sérieux adversaire pour l’EI (ce qu’elle n’est évidemment pas), comment pourrait-elle à la fois combattre l’EI sur le terrain et poursuivre une idylle ostentatoire avec les créateurs et les sponsors de cette créature monstrueuse, à savoir les pétromonarchies du Golfe, les néocons américains et les stratèges de l’Etat d’Israël, qui admettent explicitement (Voir Antipresse 30) favoriser l’EI, lequel en contrepartie ne s’en est jamais pris aux intérêts israéliens ? La France n’a-t-elle pas été ces dernières années l’adversaire le plus acharné de Bashar el-Assad, allant jusqu’à souhaiter sa mort, et le protecteur explicite des islamistes (prétendument « modérés ») en Syrie ?
Voici donc réunis en 140 caractères le scandale (via l’amalgame établi dans les premières heures suivant l’attentat entre l’origine arabe du tueur et le terrorisme islamique), la contradiction (entre les gesticulations et la réalité du terrain) et l’ineptie (consistant à penser que des bombardiers envoyés au Moyen-Orient pourraient empêcher les camions blancs d’écraser le public du Quatorze-Juillet à Nice).
Une démence délibérée ?
De fait, Ineptie, Contradiction et Scandale sont les trois muses de toute la politique islamique de la France, que ce soit sur le plan intérieur ou à l’étranger.
A l’étranger, elle participe à des opérations coloniales qui rendent inhabitables des régions entières et transforment des Etats peu démocratiques mais paisibles en chaudrons de la souffrance, de la haine et du fanatisme. Ces ingérences criminelles sont à la fois l’alibi et la cause réelle du flux de réfugiés qui envahit l’Europe.
A l’intérieur, elle interdit tout débat de fond sur la cohabitation entre la population de souche chrétienne-laïque et le modèle de société islamique et protège la prédication d’un islam littéral, régressif et violent soutenu par les intouchables monarchies du Golfe.
Si le terrorisme islamique était vraiment, aux yeux du pouvoir français, l’ennemi prioritaire qu’il fait semblant de combattre, il ferait fermer les mosquées salafistes, enfermerait ou expulserait sans merci les imams prônant la haine, la violence ou des mœurs contraires aux lois françaises. Il l’a promis au lendemain de Charlie et du Bataclan, il n’en a rien fait. Une mesure évidente consisterait aussi à interdire au titre d’incitation au meurtre les ouvrages religieux qui incitent au meurtre. Cela dégarnirait sérieusement certaines bibliothèques de « centres culturels islamiques ». Cela ne suffirait pas à éradiquer le problème, mais ce serait un signe bien plus clair qu’on s’en occupe que l’envoi de bombes abstraites dans les déserts de Mésopotamie. Plus claire encore serait une action diplomatique, voire militaire, contre le « Daech qui a réussi », autrement dit l’Arabie Séoudite. Bref, comme le dit un chef d’Etat très populaire dans le reste du monde, il s’agirait de « traquer les terroristes au fond des chiottes ». Ce n’est peut-être pas une bonne méthode pour éradiquer le phénomène, mais c’est la seule connue à ce jour.
Mais le pouvoir français ne fait rien de tout cela. Il fait tout le contraire. Il laisse champ libre aux fanatiques et combat ceux qui les combattent tant à l’étranger qu’à domicile. Les circonstances des grands attentats terroristes relèvent à chaque fois des si criantes de sécurité ou d’information — comme la passivité des militaires de la force Sentinelle présents devant Bataclan, la censure des sévices horribles subies par les victimes, ou simplement la non-démission des ministres responsables qui contemplent ces tragédies en observateurs passifs et pleurnichants — qu’on en vient à soupçonner une vile alliance, en France, entre le pouvoir et le chaos.
La fabrique des tueurs
La tuerie de la Promenade des Anglais condense toutes ces aberrations en une scène proprement onirique. Un rêve éveillé — un cauchemar plutôt. La Promenade des Anglais est l’un des hauts lieux de l’Europe civilisée et décadente. Elle était fermée pour accueillir, sous régime d’état d’urgence, la foule des badauds du Quatorze-Juillet. La France sortait d’un mois d’attroupements à haut risque — l’Euro — où il ne s’était absolument rien passé, comme si les terroristes avaient tous été amateurs de football. Et soudain l’on a vu débouler sur ce boulevard inondé de bermudas un camion entièrement blanc — le blanc, couleur de l’Ihrâm, de la sacralisation et de la mort — qui allait tuer au hasard, roulant parfois au pas, comme en slow motion. Sur deux kilomètres, personne n’a pu l’arrêter, aucun des policiers présents (dont un motard héroïque) ne semble avoir eu l’idée de lui tirer dans les pneus. Pas de herse non plus pour protéger efficacement cette zone sensible sous état d’urgence contre les incursions motorisées. Sur deux kilomètres, le camion blanc a roulé dans du beurre. Puis il s’est immobilisé, on ignore encore pourquoi. La cabine fut alors arrosée de balles. C’est là que le terroriste d’un seul soir, tiré du néant tel un agent dormant, le présumé Mohammed Laouej Bouhlel, a trouvé la mort. Comme les frères Kouachi, les tueurs de Charlie Hebdo. Comme Abdelhamid Abaaoud et sa cousine, mitraillés de 5000 cartouches (contre 11 ripostes seulement) dans un appartement de Saint-Denis le 18 novembre 2015. Comme Amedy Coulibaly. Tous ont emporté leurs motifs et leurs carnets d’adresses dans la tombe. La terror-sphère franco-islamique est une sphère du silence.
N’est réelle et incontestable dans cette affaire que la mort. La mort des victimes et celle de leurs bourreaux, et avec elle l’épouvantable souffrance des milliers de survivants. Au-delà de cette réalité qui ne mérite que le recueillement et la compassion, tout est onirique, trouble et déroutant. Et c’est voué à le rester. Les médias de grand chemin y veillent, en commercialisant la souffrance des innocents jusqu’à l’obscénité totale, tout en évitant avec la plus grande pudeur de tourner leur regard du côté où la curiosité professionnelle, le bon sens et le besoin de justice devraient le diriger.
Le lendemain du massacre, une vidéo partie des réseaux israéliens circulait en viral sur l’internet. On y voyait les policiers, à l’arrière du camion blanc, qui terrassaient, battaient puis emmenaient un homme en t-shirt gris après la « neutralisation » du chauffeur. Pour le pouvoir et les médias français, à l’heure où j’écris (soit 26 heures après l’événement), cet homme et cette vidéo n’existent toujours pas. Peut-être n’existeront-ils jamais. Le camion blanc doit demeurer une apparition mystérieuse et intimidante à l’instar de Moby Dick, la mythique baleine blanche de Herman Melville. Le pouvoir français et ses relais médiatiques, pour justifier leurs opérations criminelles au Moyen-Orient, ont besoin de scénarios simples et de consommateurs simplets.
Ce qu’ils ne voient pas — ou qu’ils ne voient que trop bien —, c’est qu’à force de fabriquer des abrutis sans pensée et sans racines, ils fourniront toujours plus d’agents dormants à l’Etat islamique, qui pourra les activer d’un claquement du doigt et qui le fait déjà. Le « recrutement » de Bouhlel ne tient peut-être qu’à la conjonction de ses frustrations conjugales avec le visionnage d’une vidéo de l’EI sur l’emploi des camions comme armes de guerre. Quoi de plus simple que d’enrober une vindicte suicidaire de nobles alibis religieux ? Contre cette démocratisation du fanatisme, ni les « frappes » dans le désert ni l’état d’urgence ne pourront rien.
Slobodan Despot
17 juillet 2016
»» http://arretsurinfo.ch/le-camion-blanc/

lundi 18 juillet 2016

LA RACAILLE, L'ISLAMISTE, LE REVANCHARD ET LE CENSEUR

SOURCE 

Visite guidée dans l’imaginaire raciste républicain
par Pierre Tevanian 
10 juin 2016
Le texte qui suit propose, sous forme de typologie, une rapide traversée de l’imaginaire raciste républicain, tel qu’il se déploie depuis près de deux décennies, et aujourd’hui plus que jamais, dans la classe politique, les grands médias, les cafés du commerce et les dîners en ville. On y croise différents stéréotypes, différents personnages correspondant aux différents registres du racisme respectable [1].
Les discours pseudo-sécuritaires, pseudo-féministes, pseudo-laïques et pseudo-libertaires qui véhiculent, sous une forme respectable et distinguée, le mépris et le rejet des populations issues de l’immigration post-coloniale et / ou de culture musulmane, construisent différentes figures-repoussoir – essentiellement quatre : la racaille, l’islamiste, le revenchard et le censeur.
Racailles et sociologues
Sur la scène « sécuritaire » et « féministe », tout d’abord, émerge la figure de la « racaille ». La racaille, c’est le « délinquant » et plus largement le « jeune de banlieue » d’origine populaire, immigrée et/ou post-coloniale qui, comme le résume bien Alain Finkielkraut, écoute du rap, porte une casquette à l’envers et « parle une langue dévastée ». La capuche peut à l’occasion remplacer la casquette, mais une chose ne change pas : la « racaille » porte en elle la violence, sous diverses formes : la délinquance crapuleuse, la violence sexiste et raciste (notamment anti-juive, et anti-française ou « anti-blancs ») et l’atteinte à « l’ordre public ».
À cette première figure vient s’ajouter, dans la dramaturgie raciste-républicaine, une série de « complices » : la famille « laxiste » et « démissionnaire » (et notamment la mère arabe trop « maternante » et « protectrice »), et l’Institution elle aussi démissionnaire, laxiste et trop « maternante ». Du professeur à l’éducateur spécialisé, tous font preuve, nous dit-on, d’une indulgence coupable, qui leur est inspirée par le « mauvais génie » par excellence : le sociologue [2].
Islamistes et islamogauchistes
Sur la scène « laïque » s’agitent d’autres personnages, tout aussi patibulaires : les « islamistes ». Le terme n’a pas de sens précis : dans ses usages dominants en tout cas, il ne signifie rien d’autre que « mauvais musulman », c’est-à-dire musulman ostensible et indocile. Ce ne sont en effet pas les musulmans les plus réactionnaires qui sont le plus stigmatisés comme « islamistes », du moins pas nécessairement : un musulman progressiste (sur les questions sociales, sur l’égalité hommes-femmes, sur la laïcité) mais indocile face aux injonctions de l’État français sera davantage « islamiste » qu’un musulman réactionnaire mais docile [3]
Dans la famille islamiste, le raciste républicain choisit le plus souvent la fille – voilée, bien entendu – comme objet de peur ou de haine. Mais ce personnage étrange et fascinant de « la voilée », à la fois coupable et victime, libre et aliéné [4], ne va pas sans son mentor, reconnaissable lui aussi à un attribut « ostensible » : la barbe. On le nommera donc, en bonne logique, le « barbu ».
L’incarnation la plus parfaite du mentor barbu est bien évidemment Tariq Ramadan, qui est devenu, à force de quolibets, de gloses et d’affabulations, un véritable personnage de légende [5]. Il est d’ailleurs significatif que Tariq Ramadan ait tenu, au cour des années 2003-2007, le même rôle dans l’imaginaire des news-magazines que Pierre Bourdieu pendant la période précédente (1995-2002) : celui du « Grand Méchant Intellectuel » dont on redoute les « réseaux » hyper-puissants et les « projets politiques » obscurs et « totalitaires ». À chaque époque son « démon » : à l’ère dite « sécuritaire », l’ennemi est le sociologue, avec sa « culture du soupçon » (à l’égard des puissants) et « de l’excuse » (à l’égard des dominés), tandis qu’à l’ère dite « laïque », l’ennemi est le philosophe musulman, son « double discours » et son « intégrisme à visage humain ».
Mais de même que la racaille ne saurait exister sans le sociologue angélique et l’institution démissionnaire, de même le barbu, la voilée et le Lider maximo Tariq Ramadan ne seraient rien – ou pas grand-chose – s’ils ne bénéficiaient pas d’une complicité française, blanche, républicaine et laïque : celle des fameux « islamo-gauchistes » qui leur servent de cautions ou d’« idiots utiles ». La signification du terme « islamo-gauchiste » est tout aussi confuse que celle du mot « islamiste », mais après dépouillement et croisement d’une série de citations, il ressort qu’un islamo-gauchiste peut être :
- un non-musulman qui s’oppose à la loi anti-voile
- un non-musulman qui peut croiser Tariq Ramadan sans avoir, comme Julien Dray, l’envie de lui « mettre le poing dans la gueule » [6]
- un non-musulman qui considère que l’islamophobie existe, qu’elle est un racisme, et qu’il faut donc la combattre [7].
Voilées, barbus et islamo-gauchistes affrontent donc les « vrais laïcs » (titre que s’auto-décernent les prohibitionnistes) et les « musulmans modérés » (incarnés par le très médiatique Mufti de Marseille, Soheib Bencheikh, ou l’incontournable ex-présidente des Ni putes ni soumises,Fadela Amara, qui ne manque pas une occasion de se revendiquer « musulmane-pratiquante-mais-opposée-au-voile »), tandis que la racaille encapuchonnée et les sociologues patentés affrontent les « intégrés » (incarnés par Malek Boutih au Parti Socialiste, et Rachid Kaci à droite), demandeurs de « fermeté » contre « la racaille ».
Revanchards et repentants
Sur la troisième scène, la scène « mémorielle », s’agitent le « revanchard » et le « repentant ». Le « revanchard » est le descendant d’esclaves ou de colonisés qui a le culôt de demander des comptes à la République et l’idée incongrue d’établir des rapports entre l’oppression passée et l’oppression présente. Face à cette outrecuidance, le raciste républicain sort de ses gonds. Il ne fait pas de détails : il assimile par exemple les provocations plus que douteuses de Dieudonné et la démarche politique des Indigènes de la République. Les problèmes politiques soulevés sont esquivés, au profit d’une approche psychologisante et pathologisante (« mal-être noir », « mal-être arabe », « blessures du passé » et autres « plaies mal cicatrisées ») ou moralisante etaccusatrice (« concurrence des victimes », « guerre des mémoires », « banalisation de la Shoah »). Bref : l’activiste qui demande des comptes à la République est renvoyé, comme l’ont toujours été toutes les luttes d’émancipation, du côté du ressentiment.
Au regard de l’orthodoxie raciste-républicaine, l’activiste revanchard est triplement fautif :
- Il s’offense d’abord lui-même, en se complaisant dans la « victimisation » au lieu de « positiver » et de chercher dans son for intérieur les causes de ses échecs et la « volonté » qui permet de les transcender.
- Il offense ensuite les autres « communautés », en attisant la « concurrence des victimes », premier pas vers la « guerre civile » ou la « guerre ethnique ». Il offense plus particulièrement les Juifs, en remettant en cause, par ses « revendications mémorielles » exorbitantes, l’« unicité de la Shoah », et en « banalisant » ainsi cette dernière.
- Il offense enfin la majorité des Français dits « de souche » ou « autochtones » – en d’autres termes : les Blancs – en les culpabilisant alors qu’ils ne sont pour rien dans les méfaits de leurs grands-parents et arrière-grands-parents, et en détruisant leurs idoles à coups de jugements aussi « excessifs » qu’« anachroniques » : les philosophes des Lumières et les Révolutionnaires complaisants avec la traite des Noirs, Napoléon qui rétablit l’esclavage, Jules Ferry qui professe l’inégalité des races et préconise la colonisation…
Là encore, le Noir et l’Arabe revanchards ne marchent pas sans leur double : le « repentant », le Blanc complexé, qui reste enfermé dans la « mauvaise conscience » et encourage par son indulgence coupable le Noir et l’Arabe à persévérer dans le ressentiment et l’outrecuidance mémorielle.
À ce double enfermement – dans la « culpabilisation » du blanc et la « victimisation » du non-blanc – s’oppose une « positive attitude » : le regard « objectif » qui, en toutes occasions, y compris face au passé colonial et esclavagiste, sait « raison garder » et voir « du bon et du mauvais partout », « du blanc et du noir » et « des responsabilités partagées ». On aura reconnu la figure de « l’historien », sacralisée et opposée à celle, forcément mauvaise, de « la mémoire », qu’incarnent les militants associatifs noirs et arabes. Mais l’historien valorisé n’est pas n’importe quel historien : on encensera de préférence un Olivier Pétré-Grenouilleau, qui libère l’Europe de son « fardeau » en répétant à l’envi qu’il y a eu aussi une traite arabe et une traite africaine [8].
Enfin, un ultime personnage vient prêter main forte à « l’historien » : c’est le « bon descendant de victimes ». Des figures médiatiques comme Max Gallo, Alain Finkielkraut ou Jean Daniel ne manquent pas une occasion de mettre en avant leurs origines immigrées, et de souligner qu’ils ont toujours su, eux, contrairement à « certaines minorités ethniques d’aujourd’hui » [9], manifester à la République la gratitude qui s’impose. Des « bons noirs » et des « bons arabes », comme Gaston Kelman, Fadela Amara ou le rappeur Abdelmalik, se joignent au concert en nous expliquant eux aussi qu’il faut savoir tourner la page, et qu’il est inutile, absurde, voire scandaleux de s’inscrire aujourd’hui dans la filiation de ses ancêtres esclaves ou colonisés [10].
Censeurs et fanatiques
Sur la scène « culturelle », « littéraire » ou « intellectuelle », pour finir, s’opposent les « voltairiens », vaillants défenseurs d’une liberté d’expression illimitée, et les « censeurs » qui, par fanatisme et intolérance, ou par lâcheté face aux menaces des fanatiques, voudraient rétablir l’« Inquisition », relancer une « chasse aux sorcières » et instaurer une « dictature du politiquement correct » – en interdisant par exemple de dire, sous forme de courageux « coups de gueule », d’amusante « caricature » ou d’éloquente tribune, que tous les musulmans sont des arriérés, des pervers ou des terroristes en puissance [11].

p.-s.

Retour sur Terre
Pendant que sur ces différentes scènes se jouent de fausses tragédies et de fausses épopées (la « reconquête des territoires perdus de la république », la « révolte des filles des quartiers contre les traditions patriarcales », le « bras de fer entre la République laïque et l’intégrisme », la « défense de la cohésion nationale contre la guerre des mémoires » et la « défense de la liberté d’expression face au fanatisme religieux »), la réalité vécue des étrangers, des immigrés et des Français-e-s issu-e-s de l’immigration et de la colonisation suit un tout autre cours – beaucoup plus trivial, mais aussi beaucoup plus grave.
Qu’on en juge. Dans un livre paru en 2002 [12], j’évoquais les problèmes suivants : les lois limitant le droit à l’entrée et au séjour des étrangers, le démantèlement du droit d’asile, la double peine, les offensives « sécuritaires » des « nationaux-républicains » (promotion de la « tolérance zéro », de l’enfermement des mineurs et de la pénalisation des parents de « délinquants »), la violence et l’impunité policières, les exclusions illégales d’élèves portant le foulard, le caractère systémique des discriminations racistes (à l’embauche, dans l’emploi, au logement), le caractère légal des discriminations xénophobes (plus de 6 millions d’emplois réservés en France aux ressortissants de l’Union européenne), le refoulement du passé colonial et de ses effets contemporains. Cinq ans plus tard, qu’en est-il sur ces différents plans ?
Sur l’entrée et le séjour des étrangers et le droit d’asile, la situation s’est nettement aggravée, du fait des lois Sarkozy de 2003 et 2006. Sur la double peine, on n’observe qu’un très léger « mieux » (la réforme Sarkozy de 2003, qui maintient le principe de la « peine complémentaire » d’expulsion et d’interdiction du territoire, mais crée quelques nouvelles catégories d’étrangers « protégés »). Sur le terrain « sécuritaire », la régression est gravissime : mise en pratique de la « tolérance zéro », de l’enfermement des mineurs et de la pénalisation des parents (Lois Perben 1 et 2, Lois Sarkozy de 2002 et 2006) [13].
Sur la violence et l’impunité policière, aucun changement décisif n’est observable – si ce n’est, au niveau du débat public, une très légère levée du tabou, à mettre au crédit des révoltes de novembre 2005. Si bien qu’en février 2007, pour la première fois, la candidate socialiste à l’élection présidentielle a évoqué dans son discours d’investiture le problème des « contrôles d’identité à répétition ». Mais il reste à traiter vraiment le problème, sans occulter les formes moins quotidiennes de la violence policière : les coups et blessures et les homicides.
Pour les adolescentes voilées, la situation s’est dramatiquement dégradée : une loi (la loi du 15 mars 2004) les oblige désormais à se découvrir, sous peine d’exclusion définitive. Et plus largement, la confusion et la violence des discours « anti-voile » qui ont proliféré en 2003 et 2004 ont provoqué une vague d’agressions et de discriminations contre les femmes voilées, en particulier dans le monde professionnel, dans les administrations et sur la voie publique [14].
Sur les discriminations racistes, on peut constater un progrès incontestable en termes de reconnaissance, de levée du tabou, d’émergence du problème dans le débat public (un progrès qu’incarne la création, en décembre 2004, de la HALDE : Haute autorité de lutte contre le discriminations et pour l’égalité), mais aucun changement notable en termes d’action publique – et toujours très peu de condamnations en justice. Quant aux discriminations légales, elles perdurent sans même que cela fasse débat : sur les six millions d’emplois réservés, seuls 45 000 emplois, ceux de la RATP, ont été ouverts en 2002 à toutes les nationalités. Et lors de la dernière élection présidentielle, aucun candidat n’a fait campagne sur le sujet.
Quant au passé colonial, les dernières années ont vu s’opérer une incontestable levée du tabou, arrachée par la société civile à une classe dirigeante « bloquée » sur la question – cf. par exemple la « loi du 23 février 2005 et l’intense campagne sur le « refus de la repentance » lancée à l’automne 2006 [15].
Enfin, le consensus gauche-droite et le matraquage médiatique autour des combats pseudo-sécuritaire, pseudo-féministe, pseudo-laïque, pseudo-mémoriel et pseudo-libertaire ont eu pour effet d’ouvrir un « boulevard » électoral au candidat Nicolas Sarkozy, qui a fait de toutes ces métaphores du racisme l’axe principal de sa campagne en 2007, à égalité avec le démagogique « travailler plus pour gagner plus ». Le triomphe électoral de ce candidat, et plus encore la politiques criminelle menée son ministre Brice Hortefeux dans le cadre du terrifiant « ministère de l’immigration et de l’identité nationale », puis par son double Manuel Valls sous la présidence Hollande, nous ont permis de mesurer, plus encore que jamais, à quel point des jeux de langage peuvent être lourds de conséquences.

notes

[1] Une version précédente de ce texte est parue dans La république du mépris. Les métamorphoses du racisme dans la France des années Sarkozy, publié en septembre 2007 aux éditions La Découverte.
[2] Cf. la célèbre mise en cause, par Lionel JOSPIN, alors Premier ministre, des « excuses sociologiques ». La mise en accusation de la sociologie est aussi un leitmotiv d’Alain Finkielkraut, ou de Robert Redeker (par exemple dans Le Figaro du 28 novembre 2005, où le philosophe fait de l’influence délétère de la sociologie la cause principale des « émeutes urbaines » !
[3] Cf. Thomas DELTOMBE, L’Islam imaginaire, La Découverte, Paris, 2005. Un autre usage du terme existe toutefois : il existe, essentiellement dans les pays à majorité musulmane, des mouvements politiques qui se qualifient eux-mêmes d’ « islamistes », et qui entendent par là que la référence religieuse musulmane inspire leur programme politique. Ces mouvements ont des sensibilités diverses (ils sont plus ou moins « démocratiques », plus ou moins « progressistes », plus ou moins « modérés »…), comme sont divers les mouvements politiques se réclamant du christianisme (de la gauche radicale à la droite extrême). La sociologie politique la plus rigoureuse utilise donc le terme « islamiste », mais sur un mode qui n’est pas celui de l’injure : c’est une simple catégorie politique, dont on prend la peine de définir la signification et surtout d’étudier le caractère hétérogène et mouvant. Cet usage raisonné du terme « islamiste » est cela dit rarissime dans les discours politiques, les éditoriaux, les débats télévisés ou les repas de famille.
[4] « Aliénée » lorsqu’elle se prévaut de sa liberté de choix pour revendiquer le droit de porter le voile et le droit à la parole, elle devient bizarrement « libre et responsable de son choix » lorsqu’elle refuse d’enlever son voile et se retrouve exclue pour ce motif. La morale est sauve : ce n’est pas la République qui exclut, mais « la voilée » qui « s’est elle même exclue » !
[5] Cf. Aziz ZEMMOURI, Faut-il faire taire Tariq Ramadan ?, Paris, Editions de l’Archipel, 2005
[6] Cf. Collectif Les mots sont importants, « Sexisme d’en haut, sexisme d’en bas »
[7] Des débats interminables, dignes des controverses sur le sexe des anges, ont été nécessaires jusqu’au sein d’une association antiraciste comme le MRAP durant tout l’automne 2004, pour que soit finalement acté, par un vote des adhérents, que l’islamophobie était un racisme et qu’elle entrait à ce titre dans le champ de lutte de l’association. La minorité hostile au combat contre l’islamophobie a toutefois réussi, à force de harcèlement en interne, à rendre ce vote ineffectif en inhibant toute velléité de campagne publique du mouvement sur le thème de l’islamophobie, ou même sur les exclusions d’élèves voilées.
[9] Suivant l’élégante formule de Jean Daniel, citée en exergue du chapitre IV. Jean Daniel écrit également :« Naguère [...] les nouveaux citoyens ne songeaient alors ni à affirmer leurs différences (…) ni à brandir leurs “identités meurtrières” et leurs “racines” vindicatives ». Cf. aussi ces incroyables propos tenus en novembre 2005 par Alain Finkielkraut dans le quotidien Haaretz : « Mon père a été déporté de France - ses parents ont été déportés et assassinés à Auschwitz. Mon père est rentré d’Auschwitz en France. Ce pays mérite notre haine : ce qu’il a fait à mes parents était beaucoup plus brutal que ce qu’il a fait aux Africains. Qu’a-t-il fait aux Africains ? Il n’a fait que du bien. Mon père, il l’a mis en enfer pendant cinq ans. Et pourtant, je n’ai jamais été éduqué à haïr. (…) Quel lien y a-t-il entre la misère et le désespoir, et le fait de détruire et de brûler des écoles ? Je pense qu’aucun juif ne ferait une telle chose. ».
[12] Pierre TEVANIAN, Le Racisme républicain, L’Esprit frappeur, Pari, 2002
[14] Cf. Ismahane CHOUDER, Malika LATRÈCHE, Pierre TEVANIAN, Les filles voilées parlent, Editions La Fabrique, 2008
[15] Sur tous ces points, cf. . « Chronique du racisme républicain »