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dimanche 22 mai 2016

FIASCO LIBERAL

SOURCE

10/05/2016 Alors qu’il est pratiquement assuré que le bulldozer Trump affrontera la va-t-en-guerre Killary dans une présidentielle US au potentiel désormais explosif pour le Système, nous avons décidé de laisser un peu l’actualité de côté pour revenir sur le fiasco libéral qui a conduit notre contre-civilisation occidentale dans l’impasse mortifère où elle est encagée désormais. Car où que porte le regard, les signaux sont aux rouges. La guerre hégémonique pour les dernières ressources fait rage, la planète et les espèces suffoquent sous l’impératif de croissance éternelle et la démocratie n’est plus qu’un vernis dans la plupart des pays de notre vertueux monde-libre. Le modèle de société juridico-marchand du libéralisme, dans sa version ultime néolibéale, représente ainsi un fiasco complet, presque un «fait social total». Ne restent plus que les slogans furieux et la fuite en avant, le syndrome Titanic donc, pour une capitainerie hallucinée psalmodiant qu’il n’y pas d’alternative à la croissance et au progrès éternels, à la production et à l’accumulation de masse en attendant, enfin, le glorieux avènement d’une société mondiale unique, sans frontières ni race ni culture ni identité, où un magma de bobos-nomades flotteront dans la paix du Marché, tous défoncés à la même came consumériste. Sauf qu’en réalité le meilleur des mondes est déjà parti en sucette. Rien ne va plus. Alors comme toujours, on fonce tête baissée en croisant les doigts et en serrant les dents, histoire sans doute de forcer encore un peu le sourire avant le «grounding» final.

Avertissement
Nous ne nous étendrons pas dans ce billet sur la guerre à l’extérieur que notre vertueux monde-libre conduit de toute sa puissance pour  accaparer les dernières ressources et/ou incorporer ou écraser les derniers récalcitrants à son indépassable modèle de société. Que l’on garde simplement à l’esprit qu’en toile de fond du fiasco libéral qui produit aujourd’hui la «Guerre de tous contre tous» dans son «sanctuaire», il existe le risque d’une guerre de haute intensité entre le Bloc atlantiste et ses rivaux asiatiques (1), éventuellement avec épilogue nucléaire d’ailleurs. Pour l’hyper-classe dominante atlantiste, la guerre totale fait toujours partie des options «sur la table» lorsque ses privilèges se trouvent menacés. Du fait de ses moyens illimités, l’hyper-classe a en effet la conviction profonde de pouvoir toujours survivre à tout, et que seule l’insurrection populaire (et son éventuelle guillotine) représente un réel danger pour elle. Et de deux maux...
Dans ce billet, nous voulons donc surtout nous attacher à mieux cerner les origines de cette contre-civilisation qui est la nôtre et qui perpètre dans un même élan presque joyeux l’abolition de l’homme (2) et le meurtre de la nature. Une contre-civilisation dont le libéralisme et son dévissage vers sa version néolibérale fournissent sans conteste l’essentiel du fondement idéologique.
Pour le titre de ce billet, nous avons un peu détourné celui d’un ouvrage de Jean-Claude Michéa: «La double pensée, retour sur la question libérale», bouquin que nous avons bien sûr pillé au passage pour enrichir notre propos.
Un Droit procédural pour les contenir tous
Très schématiquement, il est communément admis que le libéralisme est né de l’effroi provoqué par les guerres civiles idéologiques qui ont dévasté les XVIème et XVIIème siècles.
L’idée était d’éviter la réédition de ces guerres par l’instauration d’un pouvoir absolument neutre, qui ne repose sur aucune religion, morale ou philosophie, afin d’assurer froidement à chacun protection et liberté individuelle. Le libéralisme politique est donc avant tout une idéologie du désespoir en ce sens qu’elle fait le constat que l’homme n’est pas l’animal politique d’Aristote, mais seulement «un loup pour l’homme», incapable du «vivre ensemble», et qu’il faut donc se contenter d’en gérer les féroces appétits dans une approche purement mécanique.
Pour gérer ces libertés individuelles soudain en concurrence darwinienne les unes avec les autres, le libéralisme s’est alors reposé tout entier sur un Droit purement procédural. Un droit sans référence ni religieuse ni morale ni philosophique donc, sorte de code de la route uniquement destinés à éviter les collisions entre les libertés à géométrie variable des usagers.

La fabrication d’un «peuple de démons»
Sauf qu’un système ou le pouvoir se veut détaché de toute religion, morale ou philosophie impose de fait un «relativisme moral et culturel» total qui incite les individus à grignoter des espaces de libertés de plus en plus larges, avec des prétentions de plus en plus subtiles ou extravagantes, voire déviantes.
Ne reposant que sur un vide de substance sidéral, le Droit libéral ne peut en effet que naviguer à vue et légiférer «à la carte».
Il le fait soit en fonction du degré d’agitation sociale ou des exigences supposées de l’opinion publique (toutes deux se résumant souvent à la surface médiatique que réussissent à occuper des lobbies au service d’intérêts particuliers), soit en fonction des desseins du pouvoir à un moment donné, les deux options étant souvent amenées à se confondre et à se conjuguer.
D’où l’érosion permanente de la «civilité commune» et la multiplication exponentielle des micros-conflits qui agitent nos sociétés désormais habitées par des «peuples de démons» encagés dans une Guerre de tous contre tous appelée à s’étendre indéfiniment.
En imposant par la violence légale des revendications idéologiques souvent minoritaires mais bruyantes à une majorité par nature silencieuse, le Droit libéral s’évertue aussi non seulement à diviser le tissu social à l’infini, mais à y injecter des frustrations et des rancœurs condamnées à la fermentation.
Accessoirement, un Droit libéral dès lors sans cesse contraint de s’adapter et de se contredire en fonction des rapports de force qui agitent la société finit nécessairement par se relativiser lui-même.
Car puisque ce qui était interdit hier (avortement, pornographie dure, drogue douce, mariage gay, «street art», eugénisme, sans papiers...) est autorisé ou au moins toléré aujourd’hui, les usagers sont fondés à penser que ce qui est interdit aujourd’hui a de bonnes chances d’être autorisé demain.
Dans le domaine sociétal, ne pas respecter le droit aujourd’hui, n’est-ce pas simplement être en avance sur son temps ?
Un Marché pour les gaver tous
Une telle société qui rejette par essence toute référence morale, religieuse ou philosophique ne peut évidemment rien incarner qui puisse «rassembler». Or il est d’autant plus important d’avoir une référence commune que cette société est littéralement atomisée par l’action du Droit «de tous sur tout».
Pour combler ce vide abyssal, le seul dénominateur commun admissible pour les libéraux ne pouvait donc être que l’intérêt particulier, pendant quantitatif de la liberté individuelle.
Les élites et le clergé médiatique de la société libérale ont donc immédiatement voué un culte véritablement religieux à l’Economie et à ses deux mamelles nourricières: la science et le progrès.
Très rapidement, le Marché est donc devenu ce Deus ex machina, ce nouveau Dieu laïc, supposé neutre, dont la fameuse main invisible allait pouvoir «les» gaver tous, les rassembler tous dans la grande orgie consumériste, et donc susciter l’adoration.
Face à l’atomisation de la société, le Marché représente en effet «la seule base de repli philosophique dont dispose le libéralisme politique et culturel».

Briser les résistances naturelles
Mais imposer puis maintenir sur le trône un nouveau Dieu n’est pas une sinécure. Il faut d’abord s’assurer qu’il soit reconnu comme tel par les individus qui doivent pour commencer accepter son message, d’où la nécessité d’abord de les convertir à la nouvelle religion en les réduisant en l’espèce à de dociles consommateurs.
C’est là que surgit un premier écueil pour le libéralisme devenu Système néolibéral: car il est clair qu’il existe chez l’homme et dans les peuples une inclination naturelle pour un ensemble de «valeurs» partagées qui contredisent le principe fondateur du libéralisme, à savoir que l’homme n’est qu’un loup pour l’homme. Comme par exemple «un minimum de dispositions psychologiques et culturelles à la confiance, la générosité, le sens du bien commun. Autant de «gisements culturels» que le monde juridico-marchand du libéralisme se doit d’assécher», puisqu’ils invalident son principe fondateur.
Dans un rapport officiel produit sous Sarkozy on pouvait ainsi lire que «l’un des principaux freins à la croissance capitaliste est la répugnance morale persistante des gens ordinaires envers l’économie de marché et son moteur, le profit» (3).
Dans le même genre de perles froidement produites par les «experts» assermentés du Système, un rapport émanant cette fois de l’Ambassade américaine en Birmanie soulignait quant à lui que «les difficultés rencontrées par les entreprises américaines pour s’implanter en profondeur dans ce pays tenait au fait que la recherche du profit individuel et le désir de s’enrichir occupaient encore une place trop marginale dans la société traditionnelle birmane» (4).
L’avènement d’un monde n’ayant rien d’autre à offrir que la Guerre de tous contre tous et l’addiction à la came consumériste nécessite donc, on le voit, un gros travail de formatage en profondeur des individus et des sociétés.
La deuxième contrainte qui s’impose au libéralisme pour maintenir son dieu-Marché sur le trône est de s’assurer qu’il puisse être éternellement en mesure «de les gaver tous», de combler tous «leurs» désirs, d’où l’impératif de croissance éternelle et le culte de la science et du progrès.
Sans nous appesantir sur la stupidité intrinsèque du concept de croissance éternelle du fait de son impossibilité pratique (et même théorique d’ailleurs), relevons avec Jean-Claude Michéa le fait que cet impératif de croissance «ne peux trouver ses bases que dans une culture de la consommation généralisée, c’est-à-dire dans cet imaginaire permissif, fashion et rebelle dont l’apologie permanente est devenue la raison d’être de la nouvelle gauche»«Une économie libérale [de droite donc] ne peut dès lors fonctionner, dit-il, que «grâce à une culture de gauche».
Une propagande pour les enfumer tous
D’où la nécessité de cette immense œuvre d’ingénierie sociale, de déstructuration des sociétés et d’abolition de l’homme en cours aujourd’hui. C’est-à-dire cette fameuse «révolution culturelle permanente» dont le but est «d’éradiquer tous les obstacles historiques et philosophiques à l’accumulation du Capital» (Marx parlait aussi de l’obligation pour une société libérale «de révolutionner constamment l’ensemble des rapports sociaux. (...) Le but final n’est rien, le mouvement est tout.»).
Aujourd’hui, le grand chantier de cette déconstruction sociale est la chasse gardée de cette nouvelle gauche libérale dont le goût pour la transgression est devenu quasi obsessionnel depuis Mai 68. L’objectif est de faire éclater tous les cadres de référence, toutes les frontières physiques (5) ou morales, de faire reculer tous les tabous, d’invertir tous les dégoûts, pour libérer tous les instincts et paver la voie au droit de tous sur tout, pour encourager chez tous le désir de tous les désirs, que le Dieu-Marché sera là pour assouvir.
L’immense Machine à enfumer du Système (qui regroupe l’industrie de «l’information» désormais domestiquée, mais aussi celles du divertissement et de la pub) entre alors en action pour relayer le message dans les «cerveaux disponibles» avec des moyens d’ailleurs quasi-illimités (cette Machine à enfumer représente le deuxième poste mondial de dépenses après... l’armement).
Un français de plus de 4 ans passe ainsi, par exemple, en moyenne 3,36 heures devant sa télévision chaque jour. C'est-à-dire qu’en un an, il reste assis à fixer une petite boîte diffusant les messages du Système durant…. 54 jours par an sans discontinuer.
Ce formatage cible bien sûr avec une attention et une violence toute particulière les enfants et les plus jeunes dont il s’agit de cultiver dès le berceau le désir, le droit et même l’obligation de consommer. La multiplication des chaînes de télévision abrutissantes à destination des enfants (et même des bébés désormais (6)) est là pour l’attester.
Car ça marche. La puissance de l’image sur le cerveau n’est plus à démontrer et le formatage des enfants de la télé est une réalité mesurable. On sait par exemple que dans les pays occidentaux comme le relève Jean-Claude Michéa, «plus du 70% des achats opérés par les ménages se font sous la pression morale et psychologique de leurs propres enfants».

Mai 68 au service du Capital
A ce stade, un court détour par Mai 68 s’impose pour le cas français. Car on ne dira jamais assez que c’est à cette occasion qu’en braquant les projecteurs médiatiques sur la mouvance de Cohn-Bendit et de son joyeux combat pour la libération des mœurs et contre les discriminations, le libéralisme a réussi le tour de force de liquider en quelques années la révolte anticapitaliste des origines.
«Vivre sans temps mort et jouir sans entrave» ou «Il est interdit d’interdire» ont été et restent les slogans les plus conformes à la logique libérale du monde marchand globalisé.
En ce sens, et c’est Cohn-Bendit qui le dit lui-même dans une conversation avec Philippe De Villiers, Mai 68 aura avant tout été «une révolution bourgeoise»... et libérale. Ses hérauts ont d’ailleurs été grassement remerciés par le système qui leur a offert pratiquement à tous de lucratives carrières dans ses moelleuses entrailles.
A partir de ce moment-là, le prolétaire est rapidement devenu une figure risible, et le combat contre le capitalisme d’un ringard absolu.
N’a progressivement plus compté que la libération des mœurs, de la femme, de l’immigré, puis du sans-papiers, puis des gays, des bi, des lesbiennes et enfin des «trans», et bien sûr du consommateur.
En France, la création merveilleusement cynique de SOS racisme par le machiavélique Mitterrand aura ensuite achevé de boucler la boucle en faisant des «antifas» les crétins les plus utiles du système, les gardiens zélés de l’alternance éternelle entre les deux mamelles libérales du Parti unique.
Dès lors que le combat social était réduit à une accumulation de micros-conflits sociétaux, le libéralisme pouvait savourer un triomphe absolu de près d’un demi-siècle, essentiellement au profit d’une hyper-classe de prédateurs apatrides accaparant la presque totalité des richesses mondiales.
La décadence, pour les égarer tous
Pour soutenir cette révolution culturelle permanente, il faut toutefois sans cesse offrir du nouveau, de nouvelles libertés qui puissent engendrer de nouveaux désirs, et entretenir ainsi l’illusion d’un monde qui avance, qui «progresse».
Sous la poussée des modes et des tendances les plus extrêmes soigneusement cultivées par l’intelligentsia libérale (de la rive gauche donc), le droit procédural est ainsi pris en otage, ne pouvant refuser à l’un l’équivalent de ce qu’il a accordé à l’autre.
Ainsi, il est clair par exemple que le fameux «Mariage pour tous» (dont les opposants ont immédiatement été réduits à une horde d’homophobes décérébrés) débouchera inévitablement sur la banalisation de la non moins fameuse «Gestation par autrui», c’est-à-dire à terme sur celle de la location généralisée du ventre des femmes les plus pauvres. Sur la base de quelle référence morale en effet le droit libéral va-t-il longtemps pouvoir interdire aux couples homosexuels d’avoir leurs propres enfants? Au nom de quoi, de quelle morale, interdirait-il ensuite ce même droit aux célibataires, voire aux couples aisés dont Madame souhaiterait éviter les vergetures?
Sous couvert de «progrès social», le dieu-Marché est ainsi en passe d’étendre son emprise jusqu’à la matrice des femmes désormais.
Déjà, le tabou des tabous, l’inceste, a été levé en Angleterre où une maman vient d’accoucher de l’enfant de son fils homosexuel. Enfant qui est donc son fils et son petit-fils en même temps, et qui est tout à la fois le fils et le frère de son géniteur (7). Tout cela sous les acclamations exaltées de notre progressisme néolibéral.
On ne peut que le constater, il n’y a techniquement aucune limite à ces dérives. Et à cet égard, l’activisme des lobbies nous promet encore à n’en pas douter de merveilleux et fédérateurs progrès sociaux (8).
Une certaine tolérance pourrait même voir le jour s’agissant de la pédophilie. Il suffirait en effet qu’une association de jeunes filles ou garçon de 12 ans, soutenue par un puissant lobby présidé, au hasard, par un ex-ministre de la culture française, revendique le droit à des rapports du fait d’une maturité sexuelle d’une précocité admirable (par la grâce conjuguée de l’éducation télévisuelle et des perturbateurs endocriniens de notre chère industrie agro-alimentaire), et l’on est presque tenté de dire que le tour serait joué.
On nous rétorquera que c’est pousser le bouchon un peu loin. Soit. Mais souvenons-nous que dans les années 1970, des journaux comme Le Monde et Libération faisaient l’apologie de la pédophilie (9).
Question de tendance donc, d’époque et de courants de pensée auxquels le Droit libéral, amoral par nature, n’a d’autres choix que de se plier.
Pour mesurer en quelle haute estime ce Système tient le Sacré, on signalera enfin le récent cas de l’Eglise du «spaghetti volant» qui a été très officiellement autorisée à célébrer des mariages désormais légaux en Nouvelle-Zélande (10).
De moins en moins de came pour tous
Dans cet environnement taillé sur mesure, le dieu-Marché a donc pu grandir, se développer et même se déchaîner jusqu’à s’émanciper, dictant désormais sa loi à tous, y compris à ses créateurs.
Sous son règne, la science enfin libérée de tous principes éthique ou de précaution s’est mise au service de l’industrie pour triturer jusqu’aux replis les plus intimes de la vie afin de la commercialiser, imposant la multiplication des pollutions sous couvert de progrès, des ondes WIFI aux OGM en passant par les nanotechnologies (11).
Sous ses commandements, le meurtre du vivant s’est organisé à l’échelle industrielle. La terre étouffe aujourd’hui sous les déchets, les cancers environnementaux explosent, la fécondité humaine s’étiole dangereusement, les espèces disparaissent et les animaux «utiles» crèvent dans un univers carcéral industriel d’épouvante. Quant aux océans, ils agonisent sous le poids d’une libre-circulation des marchandises qui entraîne le déversement quotidien de 5000 tonnes de produits chimiques dans ses eaux par les navires marchands.
Mais ces dommages collatéraux ne sont bien évidemment rien pour le dieu-Marché, car la production et l’accumulation de masse sont tout.
Le seul vrai problème qui se pose à lui aujourd’hui vient du fait que la croissance éternelle censée fournir la came nécessaire à son adoration commence à faire défaut.
Or la diminution de la came à partager pose un problème réellement existentiel aux sociétés libérales. Car si le mythe de la croissance éternelle s’évanoui, c’est le dieu-Marché qui s’effondre, et donc le chaos qui surgit puisqu’il ne restera dès lors qu’une guerre de tous contre tous sans plus rien au Système pour rassembler derrière lui.
Le chaos assuré donc, avec des peuples rendus irascibles par la cure de sevrage imposée, et dont l’Hyper-classe libérale apatride aurait en effet tout à craindre.
Alors bien sûr, le clergé politico-médiatique libéral nous assure que le progrès éternel nous conduira tôt ou tard à la troisième, quatrième, millième révolution industrielle qui nous sauvera tous et relancera la machine.
Il faut avoir la foi. La croissance éternelle va renaître de ses cendres et tout va continuer.
La came va revenir, meilleure qu’avant, c’est promis.

Des vertus de la «précarité choisie» 
Dans l’intervalle, les apôtres du dieu-Marché nous demandent toutefois quelques ajustements, temporaires bien sûr, qu’ils nomment pudiquement l’austérité.
Fin avril dernier, lors d’un débat télévisuel tenu sur une chaîne française à propos de la Loi sur le Travail, un politicien libéral expliquait même sans sourciller le moins du monde combien la «précarité voulue» à venir serait merveilleuse, par opposition à la «précarité subie». Car cette précarité voulue allait enfin rendre les Français libres, libres de «s’épanouir dans deux ou trois emplois» [mal payés] au lieu de s’ennuyer avec un seul job [bien payé]. Il fallait oser.
Autre méthode de sevrage : la vertueuse importation de millions d’immigrés permettant d’abord de fournir des travailleurs bon-marché aux industries, puis de faire baisser les salaires de tous (sevrage donc), et enfin de payer les retraites d’une Europe quasiment stérilisée par des décennies d’abus de came consumériste.
Sans compter que ce «grand remplacement» des populations (12) a l’avantage d’être le plus court chemin vers cette Société mondiale de bobos-consommateurs «hypes» et «smarts» dont rêve le Marché, et qui passe évidemment par la destruction de toutes les frontières, races, cultures et identités honnies.
L’avenir à la sauce libérale semble donc tout tracé en attendant le prochain arrivage de came: aimer sa servitude dans la pauvreté et la monoculture «world» globalisées, tout en cherchant éventuellement un sens à sa vie en fréquentant l’«Eglise du spaghetti volant», et en allant se cultiver devant un «plug anal» géant Place Vendôme, ou le «vagin de la reine» à Versailles (13).
Nous sommes libres, totalement libres.
Le totalitarisme ou la guerre pour tous ?
Dans les démocraties libérales, soulignait Guy Debord, «les droits dont nous disposons sont essentiellement des droits de spectateurs». C’est-à-dire, précise Jean-Claude Michéa, des droits «qui nous laissent libres de critiquer le film qu’a décidé de nous projeter le Système, mais en aucun cas d’en modifier le scénario».
L’exemple du Traité constitutionnel européen, rejeté par référendum en 2005 par la France et les Pays-Bas, puis ratifié par voie parlementaire par ces deux pays sous l’appellation de Traité de Lisbonne, suffit à démontrer qu’en effet le Système ne tolère pas que le peuple s’immisce dans ses choix fondamentaux.
Il n’en reste pas moins qu’en période de vaches grasses vous avez, contrairement aux dictatures pures et dures, la liberté de ne pas aimer le goût de l’eau dans laquelle on vous noie et de le dire.
Oui mais voilà. En période de vaches maigres, la donne change.
Et que se passera-t-il si la came consumériste vient à manquer massivement et durablement, ce qui est aujourd’hui le scénario le plus probable.
S’il est évident qu’un certain degré de libertés individuelles est nécessaire à toutes sociétés libérales, la possibilité d’une dérive vers le totalitarisme, voire la dictature, doit être envisagée en cas de pénurie.
Surtout que la très opportune guerre contre le terrorisme de ces 15 dernières années a permis à toutes les armées de notre merveilleux monde libre de se doter de moyens très performants en matière de surveillance globale et de contre-insurrection (le modèle indépassable en la matière restant Israël, qui a prouvé qu’avec les technologies modernes de répression, un petit groupe pouvait très bien prospérer dans un océan d’hostilité et de pauvreté en jouant sur les seuls curseurs des atrocités et des privations (14)).
Comme le rappelle Jean-Claude Michéa, le pape du libéralisme moderne Hayek himself, en se fondant sur l’expérience du Chili, «avait fini par défendre la légitimité philosophique d’une dictature provisoire libérale destinée dans certaines circonstances bien précises à remettre sur les rails une économie capitaliste menacée par des insurrections populaires».
En cas de pénurie durable de came, les sociétés libérales n’hésiteront donc pas une seconde à basculer dans le totalitarisme et la répression pour pouvoir «perdurer dans leur être».

Premières crispations totalitaires
L’actualité récente montre d’ailleurs qu’il nous faut déjà relativiser la réalité de cette liberté de spectateur dont parlait Debord.
Car au fur et à mesure que la panique grandit face à la pénurie de came, le Système néolibéral se crispe et exige non seulement que vous adhériez à ses choix et à ses dérives, mais que vous souteniez sa narrative. Il devient alors de plus en plus difficile d’exercer ce droit de spectateur et de critiquer le film. Car désormais, vous devez «penser» comme le Système et on observe une élévation spectaculaire du niveau d’intolérance du clergé-Système depuis quelques années.
Interdiction de spectacles ou de livres se multiplient et les accusations de racisme, d’homophobie, de complotisme et autres extrémismes divers sont là pour interdire désormais tout débat de fond, pour frapper ceux qui rejettent le catéchisme officiel, ceux qui ne «pensent» pas comme il faut, comme ils doivent, et qu’il faut donc «repérer et traiter» (15).
Enfin, si la répression et la police de la pensée ne suffisent plus à «dociliser» les peuples en cure de sevrage, la guerre globale de haute intensité restera toujours l’une des options sur la table pour un dieu-Marché aux abois.
Du bon usage du déclin
Certes, il est indéniable que le capitalisme et sa version libérale ont permis l’émergence d’un certain nombre de libertés et de progrès remarquables avant de se fracasser au fond de leurs impasses.
L’abondance de matière et de richesse a, durant une période de quelques décennies, notamment durant les Trente Glorieuses, assuré l’élévation spectaculaire du niveau de vie d’un nombre toutefois réduit de personnes dans un nombre encore plus réduit de pays.
Mais il ne faut jamais oublier deux choses.
Premièrement: sous la poussée du nihilisme néolibéral, l’orgie consumériste occidentale s’est très bien accommodée du fait que la moitié de la planète crevait de faim en parallèle, et que des pays entiers étaient livrés à la guerre civile et aux massacres de masse pour permettre l’abondance de la came justement.
Deuxièmement: le modèle consumériste occidental a broyé la presque totalité de l’écosystème mondial et a accumulé une dette financière et écologique qui pèsera pour des siècles sur les épaules des générations à venir. Nous sommes ainsi les premières générations dont l’organisation sociale les aura poussés à voler leurs propres enfants, à considérer leur avenir et leur santé avec la plus invraisemblable désinvolture.
A ce prix-là, il ne manquerait plus que l’orgie ait été décevante.

La fête est finie 
Sauf que la fête est finie.
Notre démocratie néolibérale est aujourd’hui encagée dans deux impasses.
La première est que du fait de ses dérives transgressives sans fin et de sa guerre de tous contre tous, le néolibéralisme politique et culturel rend la cohabitation de plus en plus impossible dans une société littéralement atomisée et livrée à la seule concurrence des intérêts particuliers de chacun.
La deuxième impasse est que le règne du dieu-Marché ne peut tout simplement pas survivre à un défaut de croissance éternelle.

Des cerveaux de moins en moins «disponibles»
Enfin, un problème nouveau se pose au Système néolibéral. Un problème qui concentre et autorise toutes les espérances. Car fort heureusement, le modèle nihiliste du néolibéralisme n’est pas parvenu à assécher totalement les «gisements culturels», à abolir l’homme, ce qui montre que l’humanité n’a pas encore jeté l’éponge.
Tous les mouvements dissidents, alternatifs ou antisystèmes qui se développent massivement aujourd’hui démontrent même que cette humanité arrive à saturation devant le vide glacé et l’absence totale de sens qu’impose aujourd’hui aux peuples les sociétés néolibérales. Dans la plupart des nations occidentales, les populations sont écœurées par la farce d’une démocratie d’opérette qui suinte l’indécence de tous ses pores.
L’effarante tentative d’ingénierie sociale globalisée pour abolir l’homme, le faire régresser, lui arracher sa dignité, sa spiritualité et pour finir son humanité afin de le reconfigurer selon les besoins du Marché est un cuisant échec.
Alors les néolibéraux peuvent bien rêver de transhumanisme et de singularité,  de googeliser le monde et les hommes, les «cerveaux disponibles» pour le grand formatage le sont de moins en moins.
L’homme résiste, petitement, maladroitement, malgré le poids écrasant de la Machine, ou peut-être même à cause de ce poids.
L’humanité s’ébroue.
Elle est prête à se réveiller de sa narcose et à revendiquer son droit à la vie.
Il y a toujours une alternative au suicide.
Épilogue
Après ce détour un peu bavard sur le fiasco libéral, nous revenons sans transition dans l’actu, le Big Now, ou se construisent déjà des échéances spectaculaires pour le Système néolibéral à la sauce atlantiste.
En novembre prochain, ce sera donc le grand affrontement entre le bulldozer Trump (s’il n’est pas assassiné avant) et Killary (la va-t-en-guerre de Wall Street).
Et quel que soit le résultat, il y a fort à parier que l’Amérique à venir sera encore un peu plus ingérable, un peu plus paralysée, un peu plus impuissante qu’aujourd’hui, avec même des risques de guerre civile et de dislocation selon les options choisies par l’establishment pour conserver le contrôle du processus.
Or nous devons avouer que ce chaos washingtonien en gestation nous réjouis au plus haut point.
La présidentielle US telle qu’elle se profile représente en effet un évènement hautement explosif pour la cohésion de l’Empire. Le petit Obama a beau réaffirmer sans cesse la puissance supposée des Etats-Unis et son exceptionnalisme, ses mots apparaissent tragiquement déconnectés de toute réalité et relève du fantasme monomaniaque (16). En réalité, l’Amérique du Nord est en train de s’effondrer sur elle-même au terme d’une histoire aussi courte que vulgaire.
Or nous l’avons toujours pensé, la chute des USA en tant qu’axe central autour duquel gravite toute la machinerie du Système néolibéral actuel sera le détonateur d’une implosion généralisée du Système avec, dès lors, la possibilité d’un changement réel de paradigme.

L’occasion, enfin, de nous ressaisir
L’occasion rare pour les peuples de reprendre leur destin en mains, de tirer la chasse sur le néolibéralisme et sa globalisation mercantile mortifère, d’en finir une fois pour toute avec ce Système lugubre qui n’est en rien réformable et dont il convient de tout rejeter en bloc, absolument tout, pour ne plus sentir sur notre nuque le souffle de la bête, et pouvoir enfin œuvrer à l’édification d’une société totalement nouvelle, libre, égalitaire et décente.
Les idéologues du Système, son clergé de «Surmorts», objecteront bien sûr en ricanant qu’il ne s’agit là que d’utopie, de rêverie, car leur ruse la plus pernicieuse est bien de faire croire qu’il n’y a pas d’alternative (le fameux TINA : There is no alternative) au modèle consumériste actuel. C’est l’un de leurs mensonges fondateurs.
Mais en réalité, la soumission au dieu-Marché du néolibéralisme globalisé, à sa démocratie représentative faussaire et à son hystérie marchande et technologique qui conduit à l’effacement de notre humanité, ne sont pas une fatalité.
D'autres modèles de sociétés alternatifs existent, fondés sur la collaboration, la sobriété heureuse, la gratuité, l’échange, le partage, l’entraide, la bienveillance, le bien commun, le «donner, recevoir et rendre».
Le changement est nécessaire mais aussi possible, et l’Histoire va peut-être nous fournir bientôt, enfin, une occasion de nous ressaisir.
Mis en ligne par entrefilets.com le 10 mai 2016
4 «La double pensée, retour sur la question libérale», Jean-Claude Michéa
5 Regis Debray : «La frontière n’est pas du tout la fermeture angoissante. La frontière est une marque de modestie. Je ne suis pas partout chez moi. Il y a une ligne au-delà de laquelle il y a d’autres personnes que je reconnais comme autres.»
13 En référence à deux expositions d’artistes contemporains qui avaient là encore heurté le bon sens de gens ordinaires immédiatement taxés de dangereux extrémistes réactionnaires par le clergé médiatique libéral

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