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samedi 14 novembre 2015

LES ELUCUBRATIONS D'UN ENARQUE OU LE FIASCO SYRIEN DE JUPPE

Alain Juppé, dont on oublie le rôle prépondérant dans le fiasco syrien, a publié le 24 octobre une édifiante note-aveu sur la Syrie…
Source : Alain Juppé, sur Le Blog-Notes d’Alain Juppé, le 24 octobre 2015.

Notre fiasco syrien

Entendons-nous bien : VOTRE fiasco…
On lit souvent qu’en Syrie, la Russie avait une stratégie et pas nous. Ce n’est pas, selon moi, exact. L’objectif de Poutine, certes, était clair : maintenir au pouvoir, à tout prix, Bachar et son clan, alliés de toujours de Moscou dans la région et seuls à même, pour les Russes, d’assurer la stabilité du pays.
OK, OK. alors que je comprenne bien :
  1. Il y a un gouvernement légitime en Syrie
  2. Il maintient à l’évidence la stabilité en Syrie depuis des décennies – hélas sans démocratie
  3. Il est le dernier gouvernement laïc de la région
  4. Il n’est pas ennemi de  la Russie
DONC la Russie le soutient. Hmmm, pervers ces Russes…
Mais nous avions nous aussi, Américains et Européens, un objectif clair : éliminer Bachar, responsable à nos yeux de l’écrasement de son peuple, de la radicalisation de son opposition et finalement de la montée en puissance de Daech. Et faciliter la transition vers une Syrie sans Bachar.
OK. On est pour la Démocratie, DONC on décide qui peut diriger la Syrie et qui ne peut pas – pas les Syriens, car on sait mieux qu’eux (il n’y a pas d’ENA en Syrie).
Et comme ça avait si bien marché en Afghanistan puis en Irak, comme ça avait surperformé en Libye, comme c’est le Nirvana en Égypte, vous avez continué d’appliquer la même politique qui marchait, je comprends…
Et c’est “Bachar” qui radicalise sa sympathique opposition de frères musulmans et autres wahhabites moyenâgeux. Avant, ils étaient modérés – genre ils anesthésiaient un peu le cou avant de vous décapiter, quoi… Mais c’était avant…
Et donc si Daech monte, c’est la faute de “Bachar” puisqu’il les combat, mais pas la faute de ceux qui financent Daesh – Arabie, Qatar, Turquie, Occident, etc…
Bon, c’est vrai que l’armée d’Assad et ses milices citoyennes comptent près de 90 000 morts depuis le début (source : ONU), mais bon, c’est les méchants on vous dit…
Euh.. Hein ?
Nous ne nous sommes pas donné les moyens d’atteindre cet objectif.
Ah ben oui, il fallait envoyer 500 000 soldats…
Il est vrai que nous nous appuyions sur une opposition divisée, incapable de s’entendre sur un projet cohérent.
Oh, si, instaurer la charia est un objectif assez partagé chez eux…
Nous n’avons pas su la fédérer ni l’aider efficacement. En outre nous avons envoyé de mauvais signaux aux belligérants. Le pire est advenu quand le Président Obama a averti Damas que l’utilisation d’armes chimiques par son armée constituerait une ligne rouge que nous ne laisserions pas transgresser. La ligne a été franchie … et nous n’avons rien fait.
Bah, oui, surtout qu’on n’est pas sûr du tout qu’elle ait été franchie :
  • quand le MIT a démontré que le gouvernement américain mentait en affirmant avoir les preuves de la culpabilité du gouvernement…
  • quand le porte-parole du Comité de Coordination nationale pour le changement démocratique indiquait que “C’est un coup monté. On sait que les armes chimiques ont déjà été utilisées par Al-Qaïda”
  • qu’un député turc accuse son gouvernement islamiste d’avoir été impliqué dans l’attaque
  • que Georges Malbrunot et Christian Chesnot ont révélé que la conclusion du rapport rendu public par la France avait été “élaguée” par le conseiller spécial du ministre de la Défense pour manipuler l’oponion publique et la pousser à la guerre (case prison au fait ?). Une des hypothèses faite par les informateurs dans leurs rapports était la suivante : “Il est possible que des bombardements classiques de l’armée syrienne sur un laboratoire clandestin des rebelles ait provoqué une fuite de gaz.” Mais cette conclusion a été “purement et simplement coupée” du texte du rapport final. Bernard Squarcini, ancien directeur central du renseignement intérieur souligne les points faibles du rapport français et indique que “cette note de notes n’est pas conclusive”.
Ca faisait mauvais genre de recommencer le coup des armes de destruction massives…
Les frappes aériennes qui ont ciblé Daech en Irak et en Syrie ont tout juste stabilisé le front. L’engagement de nos troupes au sol a été, à juste titre, exclu. Dès lors la voie était libre pour la Russie qui est venue sauver le régime de Bachar de l’effondrement qui le menaçait, en bombardant massivement ses oppositions et pas seulement (pas principalement?) Daech. Une fois encore les démocraties ont fait la démonstration de leur faiblesse face aux régimes autoritaires.
Bah oui, on a laissé les Russes bombarder nos amis d’Al-Qaïda qui faisaient du “bon boulot” !!!!!!!!!!!! Lâches !
Et maintenant ? La diplomatie française est la dernière, ou presque, à s’en tenir à la ligne du refus de toute discussion avec Bachar qui était celle de N. Sarkozy et la mienne.
Ah oui, c’est sûr que si on en veut pas discuter avec le chef du gouvernement… Mais vous avez fait quelle école de Diplomatie, au fait ?
Par ailleurs, quand on a une position contraire à celle de 192 autres pays, des fois, on a tort… (oui, c’est dur à comprendre pour un énarque)
Dans le contexte actuel, cette ligne est devenue : ni Bachar ni Daech.
Génial, il y a une guerre civile entre Assad et Daesh, et on dit : on ne veut aucun d’entre-eux ! Du pur génie !
Le problème, c’est que nous sommes aujourd’hui les derniers et les seuls à tenir bon. Le Président Obama n’avait qu’un but : l’accord nucléaire avec l’Iran. Il l’a atteint. On parle beaucoup dans les chancelleries de contacts entre Russes et Américains pour trouver une sortie de crise en Syrie. Nos partenaires européens sont muets ou prêts au dialogue.
Du pur génie !
Quand je parle de morale et des crimes de Bachar, on me fait remarquer avec quelque condescendance que je suis bien le seul à croire à la morale en politique étrangère.
Oh non, moi, je ne vous jette pas la pierre. Mais dans ce cas-là, on est cohérent : on rompt les relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Chine, la moitié de l’Afrique, Israël, l’Égypte… Vous l’avez proposé ?
Plus sérieusement, non, il y a peu de morale en politique étrangère. Parce quand il y en a, ça finit souvent par la guerre et les morts… CQFD
Je crains que le moment ne soit donc venu de boire le calice jusqu’à la lie et de nous asseoir à Genève à la table de négociation avec Bachar. Peut-être trouvera-t-on le moyen de sauver la face.
Là, je salue la realpolitik (péniblement accouchée) dont est incapable Fabius.
Mais la vérité est bien celle-ci : Poutine a gagné.
Euh, non, Bachar a gagné, car il a des alliés solides, c’est quoi encore cette obsession de Poutine… Et au pire, c’est la Russie qui a gagné, pas “Poutine”…
Pour combien de temps? Je souhaite bien sûr de tout coeur qu’un accord politique permette de rétablir la paix dans la région et que les millions de réfugiés chassés de Syrie puissent regagner leur terre. C’est notre intérêt direct. Mais les conditions d’une pacification durable ne seront pas faciles à réunir. Les Russes qui n’ont pas réussi à vaincre les Talibans en Afghanistan pourront-ils éradiquer Daech du Proche et Moyen Orient ?
Comment ça “les Russes”, on ne peut pas les aider ???
J’entends bien que les contextes sont très différents mais il faudra une forte coalition pour venir à bout d’un État islamique auto-proclamé dont les moyens sont considérables.
Oui, enfin, faut arrêter le délire, si l’Occident n’arrive pas à arrêter quelques dizaines de milliers de barbares, rendez l’argent des armées… Et prions pour qu’on n’ait pas à affronter un vrai ennemi…
Les pays arabes, Arabie Saoudite en tête, verront-ils durablement d’un bon oeil se constituer une alliance russo-iranienne dans la région ?
Non mais, leur oeil, il faut leur enlever à ces gouvernements pro-terrorisme, comme ils savent faire. Ainsi que le reste. Le regime change, c’est là-bas qu’il faut le mener. Vive l’Arabie libre !!!!
Bien d’autres questions sont posées par l’intervention russe et la diplomatie conquérante de Poutine.
Dixit le gars qui a rasé la Libye…
Elle n’est pas “conquérante” la Diplomatie russe, elle marche (car ils n’ont pas de BHL), c’est tout…
Il est vrai que beaucoup en France et en Europe sont plus réticents à se mettre dans la roue des États-Unis que dans celle de Poutine.
“beaucoup” ????? Au gouvernement ???? Des noms ?
Gaullisme sans doute mal compris.
Hein ?
Il n’est évidemment pas question de nous antagoniser avec la Russie qui est un voisin et un partenaire incontournable. Quand j’étais au Quai d’Orsay, entre 2011 et 2012, je n’ai jamais cessé de parler avec mon homologue Sergueï Lavrov. Pour expliquer et défendre la ligne de la France en rassemblant autour d’elle nos partenaires européens. Aujourd’hui l’Europe est hors jeu et la France seule.
Le problème n’est pas d’être seul, c’est d’être dans l’erreur. Il était seul le Général.
C’était du Gaullisme bien compris.
Alain Juppé
P.S. bon allez, un dernier mot, parce que vous semblez un bon gars au fond. Je vous plains de tout coeur ce soir. Comme je n’aimerais pas être à votre place, et me dire que si j’avais appliqué des principes élémentaires de diplomatie en 2011, si je n’avais écouté les BHL et autres néo-conservateurs pousse-aux-guerres, si j’avais sinon aidé Assad, mais au moins détourné mon regard, il aurait gagné rapidement, et 130 Français de plus vivraient ce soir – et 200 000 Syriens.
Votre métier M. Juppé, comme M. Fabius, est de protéger les Français, pas d’amener la Démocratie en Syrie, vous n’êtes pas Dieu le Père… (si j’ose dire)
Bonne nuit…
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SOURCE : http://www.les-crises.fr/notre-fiasco-syrien-par-alain-juppe/

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