.

.
.

dimanche 8 novembre 2015

L'ESCALADE ! JUSQU'OU ???

Les va-t-en guerre irresponsables d’octobre, par Daniel Lazare


Source : Daniel Lazare, Consortiumnews.com, le 16/10/2015
Exclusif : Dans les hautes sphères de Washington, avec ses guerriers de salon réclamant une confrontation avec la Russie à cause de la Syrie, les possibilités d’un conflit échappant à tout contrôle augmentent de jour en jour. Dans quelques années, les historiens seront ébahis de constater l’incapacité à trouver un compromis, à coopérer et à désamorcer la situation, comme le décrit Daniel Lazare.
Par Daniel Lazare
Des rapports relatant que des avions de guerre américains et russes ont volé à moins de 10 ou 20 milles les uns des autres – seulement quelques secondes à ces vitesses supersoniques – illustrent combien la situation militaire est devenue dangereuse en Syrie. De même sont dangereux les appelsd’al-Nosra, affilié syrien d’al-Qaïda, aux djihadistes du Caucase, pour qu’ils tuent des Russes en représailles de chaque mort syrienne.
Comme le conflit continue de s’intensifier, le danger de voir l’incendie s’étendre encore augmente d’autant plus. Dans quelques années, les historiens considérant les événements des “Canons d’Octobre 2015″ pourraient les voir comme quelque chose de cet ordre :
Comme le krach de 2008, le conflit militaire qui s’est embrasé hors de tout contrôle dans le Moyen-Orient à la fin de 2015 a été l’un de ces événements qui sont compréhensibles avec le recul, alors qu’ils sont une surprise totale au moment où ils se produisent. La crise a commencé plusieurs années auparavant, lorsque des manifestations du printemps arabe en Syrie ont ouvert la possibilité d’une révolte généralisée menée par les Frères Musulmans et autres fondamentalistes. Mais lorsque le président Bashar al-Assad a pris des mesures pour réprimer cette révolte, les États-Unis l’ont accusé de bloquer les aspirations démocratiques légitimes de son peuple et ont exigé qu’il démissionne.
Le roi Salman d’Arabie Saoudite et son entourage arrivent pour saluer le président Barack Obama et la Première Dame Michelle Obama à l’aéroport international King Khalid à Riyad en Arabie saoudite, le 27 janvier 2015. (Photo officielle de la Maison Blanche par Pete Souza)
Il fallait s’y attendre, depuis que les États-Unis ont soutenu un “changement de régime” en Tunisie et en Égypte – ainsi qu’en Libye, où les avions de l’OTAN fournirent aux rebelles l’aide décisive dont ils avaient besoin pour renverser le dictateur de longue date Mouammar al-Kadhafi. Mais le problème en Syrie était que si le gouvernement d’Assad était assurément répressif, l’opposition armée était encore pire. Au nom de la démocratie, le gouvernement étatsunien s’est retrouvé à faire parvenir des armes et des fonds non seulement aux Frères Musulmans, mais également à toute une brochette d’extrémistes sunnites violents, ayant l’intention d’imposer une dictature écrasante à une population aux religions diverses.
Ayant de plus en plus peur d’un “croissant chiite” s’étirant du Liban au Yémen, les sunnites fondamentalistes d’Arabie Saoudite et d’autres richissimes États pétroliers arabes sont également intervenus, inondant les rebelles avec “des centaines de millions de dollars et des dizaines de milliers de tonnes d’armes militaires,” comme l’a dit plus tard le vice-président Joe Biden, dans un effort pour promouvoir “une guerre par procuration entre sunnites et chiites” visant à renverser le gouvernement d’Assad prétendument dominé par les chiites.
Les conséquences ont été de faire grimper le sectarisme à des hauteurs stratosphériques. En mars 2011, les Saoudiens et les Émirats Arabes Unis ont envoyé des troupes au Bahreïn pour protéger la famille royale sunnite contre les protestations de la part de 70% de la majorité chiite du royaume insulaire. Quatre ans plus tard, les Saoudiens, avec huit autres États arabes sunnites, ont déclaré la guerre contre les rebelles chiites houthi au Yémen, lançant des raids aériens nocturnes et plus tard une invasion terrestre qui, avec l’appui technique des Américains, a tué plus de 2300 civils et provoqué des millions de sans-abri.
La péninsule arabique était encerclée par les incendies allumés au fur et à mesure que les sunnites affrontaient leurs rivaux chiites dans un nombre croissant de lieux. Les Saoudiens, dépendant d’un courant religieux wahhabite sunnite, ont porté la responsabilité première de cette débâcle. Mais les États-Unis ont attisé les flammes en fournissant un soutien militaire à ses alliés de Riyad dans un effort pour contrôler l’Iran, que Washington continuait à considérer comme l’ennemi numéro un au Moyen-Orient.
Au milieu de cette violence, l’intervention russe, commencée le 30 septembre 2015, a eu l’effet d’une bombe. L’initiative a été condamnée par l’OTAN, mais a reçu un large soutien de la critique qui se plaignait depuis longtemps que tout en attaquant l’organisation terroriste connue comme Al-Qaïda dans une demi-douzaine d’autres pays, les États-Unis étaient restés silencieux alors que l’aide coulait jusqu’à Al-Nosra, la filiale d’Al-Qaïda en Syrie, et même l’État Islamique, un groupe dissident dont le penchant pour la violence était encore plus extrême.
Même le New York Times connu pour ses œillères a observé qu’ISIS (également identifié comme ISIL, État islamique, et Daesh) a continué à obtenir le soutien de “donateurs privés, principalement au Qatar, au Koweït et en Arabie saoudite”. Puis, cinq ans après, l’actuelle secrétaire d’État américaine Hillary Clinton a accusé dans une note diplomatique secrète les Saoudiens privés de “constituer la plus importante source de financement des groupes terroristes sunnites dans le monde entier”, il est alors apparu que le royaume était encore en train de procurer des fonds à des groupes terroristes, y compris à l’État Islamique.
Une coalition pleine de trous
Ainsi, non seulement la coalition anti-État Islamique américaine était pleine de trous, mais ses efforts pour soutenir les rebelles « modérés » contre l’État islamique se sont révélés factices, car il était depuis longtemps évident que les différentes factions coopéraient sur le champ de bataille et partageaient les armes. Comme l’a souligné un expert : “Le problème est ce nombre kaléidoscopique de groupes d’opposition qui sont constamment en train de passer des accords les uns avec les autres. Tout le monde a été associé à Al-Qaïda à un moment donné.”
Par conséquent, la décision de la Russie de lutter contre tous les rebelles syriens – ISIS, Al-Qaïda et “l’Armée Syrienne Libre” de la même façon – a rencontré des applaudissements dans de nombreux milieux mais pas dans les couloirs du pouvoir de Washington. Un Barack Obama humilié n’avait pas d’autre choix que d’arrêter un très moqué programme de 500 millions de dollars destiné à l’entraînement de rebelles devant lutter contre l’État islamique, et qui avait généré seulement quelques dizaines de combattants rapidement capturés ou tués par Al-Nosra.
Le président Obama aurait dû à ce moment se retirer complètement ou même choisir de se joindre aux forces russes contre les fondamentalistes. Mais la pression d’Israël, de l’Arabie Saoudite et la présence dans son propre pays, en ce qui concerne la politique étrangère, d’un groupe puissant de plus en plus belliqueux, a rendu tout ceci rien moins qu’impossible.
Avec Steve Kroft du programme d’information de CBS “60 Minutes” raillant Obama à cause de sa « faiblesse » en Syrie – « Il remet en question votre leadership, Monsieur le Président. Il est en train de remettre en question votre leadership », a déclaré Kroft en parlant du président russe Vladimir Poutine – Obama bientôt au placard. [Pour plus d'informations sur l'intervention extraordinaire de Kroft, voir "Asticoter Obama pour plus de guerres." De Consortiumnews.com]
En peu de temps, les rebelles ont joui d’une abondance exceptionnelle d’aide militaire américaine, comprenant des missiles filoguidés de haute technologie, des armes légères et des munitions larguées par des avions-cargos américains. “En nous bombardant, la Russie bombarde les treize pays « amis de la Syrie »”, jubile un commandant rebelle, parlant des États-Unis et des aux autres nations qui avaient appelé au renversement d’Assad en 2011. Une guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie a commencé à prendre forme.
Bien que la Maison Blanche ait rechigné à fournir les rebelles avec des systèmes de défense anti-aérienne portatifs, la pression a augmenté de la part des politiciens et des experts néoconservateurs. Un éditorial envoyé à CNN par le sénateur John McCain, président de la commission sénatoriale des services armés et restant une voix des plus influentes sur les questions de sécurité nationale, écrit le 13 octobre 2015, a été particulièrement glaçant. Il a appelé Obama à infliger une sévère leçon à la Russie et à Poutine sans se soucier des conséquences :
“Il y a ici une occasion … d’imposer à un adversaire qui veut saper les États-Unis partout un coût significatif. C’est une occasion d’affaiblir un dirigeant anti-américain qui nous verra toujours comme un ennemi. … Nous ne pouvons craindre d’affronter la Russie en Syrie, comme s’y attend Poutine. Son intervention a fait grimper les coûts et les risques d’une plus grande implication des États-Unis en Syrie, mais ceci n’a pas rendu caduques les mesures que nous devons prendre. En fait, il les a rendues plus impératives.
“Nous devons agir maintenant pour défendre les populations civiles et nos partenaires de l’opposition en Syrie. Comme le général David Petraeus et d’autres l’ont préconisé, nous devons établir des enclaves en Syrie où les civils et l’opposition modérée au dirigeant syrien Bashar al-Assad et à l’État Islamique peuvent trouver une plus grande sécurité. Ces enclaves doivent être protégées avec une plus grande puissance aérienne américaine et coalisée et probablement par des troupes étrangères au sol. Nous ne devrions pas exclure que les forces américaines puissent jouer un rôle limité dans ce contingent terrestre. Si al-Assad continue de bombarder les civils en Syrie, nous devons détruire la capacité de son armée de l’air à être en mesure de le faire.
“Nous devons confirmer notre politique de façon à contrer les ambitions de Poutine et à modifier son comportement. Si la Russie attaque nos partenaires de l’opposition, nous devons imposer des coûts plus élevés aux intérêts de la Russie – par exemple, en frappant des dirigeants syriens importants ou des cibles militaires. Mais nous ne devrions pas limiter notre réponse à la Syrie. Nous devons accroître la pression sur la Russie ailleurs. Nous devons fournir des armes défensives et d’aide connexe aux forces ukrainiennes afin qu’elles puissent prendre un plus grand ascendant sur les forces russes. … Et si Poutine continue à frapper les civils syriens et nos partenaires de l’opposition, nous devrions rendre les sanctions ciblées envers la Russie encore plus agressives. Les bas coûts de l’énergie donnent des coups de boutoir à l’économie et à la monnaie russe. Nous devrions augmenter la douleur.”
Hausse de la tension Arabie Saoudite-Iran
C’était la logique de l’escalade continuelle. Un journaliste novice aurait pu remarquer que les tensions augmentaient en même temps entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Le conflit entre les deux États remonte à la révolution iranienne de 1979, qui a enflammé l’imagination des militants musulmans à travers le monde et menacé de démasquer les saoudiens comme des corrompus et des soutiens complaisants au statuquo.
Mais plus les saoudiens cherchaient à redorer leur crédibilité musulmane en recrutant des milliers de moudjahidines pour combattre les “infidèles” soviétiques en Afghanistan et en dépensant des dizaines de milliards de dollars pour diffuser leur vision ultraconservatrice de l’Islam, plus la rivalité entre sunnites et chiites s’intensifiait.
“Le moment n’est pas si loin au Moyen-Orient, Richard, où ce sera littéralement ‘que Dieu aide les chiites’.” a déclaré le prince saoudien Bandar ben Sultan à Sir Richard Dearlove, directeur des services secrets britanniques, ou MI6, avant le 11 Septembre. “Plus d’un milliard de sunnites en ont tout simplement assez d’eux.”
Le prince Saud al-Faisal, ancien ministre pendant longtemps, a fait remarquer au secrétaire d’état américain John Kerry que “Daesh est notre réponse a votre soutient au Da’wa”, le parti islamiste chiite que l’invasion américaine a aidé à installer en Irak.
Daesh était méchant quand il menaçait la monarchie saoudienne, mais quelque peu moins lorsqu’il guerroyait contre le chiisme. Mais 2015 a marqué un tournant. Une fois qu’ils ont commencé à bombarder les rebelles Houthi au Yémen – un instrument des Iraniens, aux yeux des Saoudiens – les Saoudiens ont encouragé le clergé wahhabite à dénoncer leur ennemi de l’autre côté du détroit d’Ormuz en des termes de plus en plus acides. Un jour après le déclenchement de la guerre, par exemple, la chaîne d’information d’État a accordé du temps d’antenne à un mollah radical nommé Saad ben Atiq al-Ati qui a déclaré que le Yémen était destiné à être “purement monothéiste”, qu’il “ne pouvait pas être pollué ni par les Houthis, ni par les Iraniens”, et que “nous nettoyons le pays de ces rats”.
Les officiels iraniens ont répondu en accusant les Saoudiens de “suivre les pas du sioniste Israël” et en prédisant que “la maison saoudienne tomberait bientôt”. Mais le ton est devenu encore plus agressif après la bousculade du 24 septembre à La Mecque, ayant tué 1453 personnes, dont un tiers d’iraniens.
Parmi les plaintes comme quoi la police saoudienne a été grossière et indifférente, refusant aux pèlerins, même âgés, de quitter le lieu malgré la température extrême, l’Ayatollah Ali Khamenei, le guide suprême iranien, a appelé l’Arabie Saoudite à présenter des excuses au “monde musulman” pour avoir permis que survienne ce désastre, tout en promettant une “réaction sévère et dure” si le royaume ne renvoyait pas rapidement les corps de ceux qui avaient été tués.
Certains autres dirigeants iraniens ont été encore plus incendiaires. Au lieu du langage diplomatique, le président Hassan Rouhani a averti que l’Iran pourrait utiliser “le langage de l’autorité” dans ses relations avec les Saoudiens. Mohammad Ali Jafari, commandant des Gardiens de la Révolution Islamique, a promis de “faire répondre la dynastie saoudienne des crimes qu’elle a commis”, ajoutant :
“Le monde musulman est fatigué des trahisons et de l’ignorance des Saoudiens… incluant le massacre du peuple du Yémen, les déplacements des populations pauvres de Syrie, la répression au Bahreïn, les massacres ethniques en Irak, la création de tensions ethniques et le soutien au terrorisme. Les Saoudiens devraient être balayés par la colère des musulmans.”
Mohsen Rezaei, le prédécesseur de Jafari à la tête des Gardiens de la Révolution Islamique, a prévenu Riyahd : “Ne jouez pas avec le feu, parce que le feu vous brûlera … ne suivez pas l’exemple de Saddam [Hussein], qui n’avait plus d’issue de secours lors de la guerre Iran-Irak.”
Cela équivaut à une déclaration de guerre. Jafari est allé jusqu’à comparer les Saoudiens à Abu Lahab, qui, selon la tradition musulmane, était un oncle du prophète Mahomet qui s’était élevé contre la cause musulmane. C’est l’équivalent d’un pape qualifiant de “Judas”, ou même de “Satan”, le chef de l’Église orthodoxe russe.
Comment ce jeu se terminera-t-il ?
La direction que prend cette histoire semble bien trop claire. Une possibilité est un affrontement entre l’Arabie Saoudite et les forces iraniennes dans le détroit d’Ormuz, une voie d’acheminement vitale du pétrole, une répétition par certains aspects de la guerre Iran-Irak des années 80, mais avec des F-15 chasseurs-bombardiers entre les mains des Saoudiens et, du côté iranien, des missiles Shabab 3.
Certes, il y a des faits qui ont tendance à calmer le jeu. Avec un déficit budgétaire de 20% en raison d’une chute vertigineuse des prix du pétrole, Riyad est sous une pression croissante. En septembre 2015, un prince saoudien aîné a écrit deux lettres condamnant la guerre au Yémen et appelant le roi Salman, un jusqu’au-boutiste aux liens étroits avec les oulémas wahhabites, à se retirer. Les rumeurs d’une révolution de palais se répandent.
Un État normal pourrait en conséquence rentrer ses griffes. Mais l’Arabie Saoudite est une des entités politiques les plus bizarres de l’histoire, une kleptocratie géante régie par de très riches “pompes à fric”, comme les capitalistes rentiers furent surnommés.
En conséquence, son comportement en devient de plus en plus imprévisible, c’est pourquoi il est impossible d’exclure la possibilité d’une certaine sorte de provocation militaire envers l’Iran. Depuis des années les États-Unis ont encouragé les États du Golfe à “recycler” leurs profits pétroliers en armes de dernière technologie. Les Arabes ont suivi le conseil américain à la lettre, et maintenant la région est proche de l’explosion.
Source : Daniel Lazare, Consortiumnews.com, le 16/10/2015
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire