Depuis ce 6 décembre 2017, Johnny Hallyday n’est plus.1 Onfoncedanslemur voit dans cet événement un symbole de l’extraordinaire rapidité avec laquelle la consommation de masse s’est développée, entraînant dans son sillage toutes ces calamités désormais bien connues : réchauffement climatique, extinction des espèces, rapprochement inexorable de la fin du pétrole, plastique par millions de tonnes dans les océans…
Flash back comme on dit au cinéma. Je n’ai jamais pu oublier cette émission de radio, « S.L.C Salut les copains »2, qui connut son heure de gloire au début des années 60. C’est elle qui a lancé, pour ne pas dire « créé » les vedettes comme Johnny. A l’époque, la télévision n’avait pas encore fait irruption dans tous les foyers, les gens vivaient chichement, Mai 68 était inimaginable, le « consumérisme moderne » n’existait pas, l’électroménager représentait encore l’avenir, et plein de rêves se focalisaient sur « l’an 2000 ». L’on pouvait alors se demander si un ordinateur pourrait battre un joueur d’échecs « en l’an 2000 », et le monde était partagé en trois : le « Monde Libre » comprenant surtout les « U.S.A. », le Japon et « l’Europe de l’Ouest », le monde communiste honnis par le premier, (la Chine et l’U.R.S.S avec son goulag, lequel n’existait pas encore dans le langage courant3), et enfin le « Tiers-Monde » qui ne semblait pas encore « en développement », venant à peine de se libérer de la colonisation.
Maintenant, essayez de vous représenter le chemin parcouru : il devrait donner le vertige. Non seulement les ordinateurs battent aisément les meilleurs joueurs d’échecs, ils battent aussi à plat de couture les joueurs de go, (ce qui était donné pour quasiment impossible), et leurs exploits « ne font que commencer ». La télévision n’est plus seulement dans tous les foyers, (et dans les recoins les plus isolés de la planète), on la transporte dans sa poche sous forme de « smart phones », et le capitalisme est devenu la norme dans la quasi totalité des pays du monde. Et il se trouve qu’une première mondiale vient d’être annoncée : une opération chirurgicale en « réalité augmentée », et partagée en « temps réel » par des spécialistes dispersés aux quatre points cardinaux, ce qui montre bien qu’aucun domaine n’échappe à la fulgurance du progrès technique.
Malheureusement, le pétrole s’épuise aussi vite que les innovations déferlent, la vitesse de consommation du premier étant la condition de la vitesse d’apparition des secondes. L’on peut imaginer que les mêmes innovations auraient pu être produites sans le pétrole, mais cela aurait pris des siècles au lieu de quelques décennies, ou bien l’on aurait consommé beaucoup plus de charbon dans une forme liquéfiée aisément transportable. (Le transport joue un rôle fondamental, sans lui on ne peut plus écouler les marchandises.) Aussi peut-on dire que « le système » transforme qualitativement le pétrole en innovations, tandis que dans le même mouvement il produit sa formidable extension géographique et quantitative, décuplant ainsi ses capacités d’innovations qui ne peuvent en retour qu’amplifier son extension.
Alors que la nature (sans l’être humain) avait trouvé une relative stabilité à travers un nombre incalculable d’interactions inter-espèces, (en fait elle ne cesse d’évoluer, mais lentement), le système humain ne connaît qu’une seule boucle d’auto-amplification entre consommation d’énergies et progrès technique, les us et coutumes se faisant chambouler bien plus rapidement que les générations ne se succèdent. Cela n’augure rien de bon à l’horizon 2100, car la protection de l’environnement, (et des personnes qui en vivent directement), ne suit pas le même chemin : elle reste la grande oubliée du système, même si le monde entier s’extasie pour le bébé panda qui a été baptisé voilà deux jours. C’est pourquoi aujourd’hui, l’on espère encore « sauver la planète » avec les « énergies renouvelables », car l’on n’a pas encore compris quela destruction de l’environnement ne dépend pas de la nature des énergies en jeu, mais de leur seule quantité. Et qu’importe que l’on sache ou non améliorer l’efficacité énergétique, (consommer moins d’énergie à résultat équivalent), puisque la boucle de rétro-action positive nous entraîne irrésistiblement à produire toujours plus.
En effet, l’énergie ne pollue pas seulement pour le CO2 rejeté dans l’atmosphère, mais aussi à travers tout ce qu’elle permet de faire, ou que le système exige de faire pour son maintien :
  • Augmentation continuelle des espaces occupés par les humains, et diminution de ceux dévolus aux espèces sauvages.
  • Augmentation continuelle des dispersions de produits artificiels. Si on les comptait tous, (métaux, produits chimiques, débris de toutes tailles, nanomatériaux et micro-particules), l’addition devrait probablement se compter en milliards de tonnes.
  • Diminution continuelle de l’eau propre et de ses réservoirs naturels, nappes phréatiques et glaciers, dont les espèces sauvages ont autant besoin que l’espèce humaine.
  • Augmentation continuelle de la consommation de ressources.
  • Augmentation continuelle des « solutions » pour palier aux problèmes que suscite le système, et qui ont pour effet de le pérenniser alors qu’il faudrait l’abolir : agriculture « hors sol », climatiseurs, industrie pharmaceutique,…
Et Johnny dans tout ça ? Rédigé en avril 2017, l’article « Évolution » présente un panorama succinct de l’évolution technique : la plupart des inventions qui y apparaissent n’existaient pas quand notre artiste national avait débuté sa carrière, et quand il est né, en 1943, l’ordinateur était balbutiant et inconnu du grand public, l’on ne connaissait que la mécanographieOr donc, en moins de temps que la vie d’un homme, les espoirs des années 60 pour « l’an 2000 » ont cédé la place à la hantise de l’an 2100 : « Dans les débats sur la meilleure manière de bâtir un système énergétique durable, nous devrions donc être particulièrement attentifs à éviter les chausse-trapes, tant les conséquences sont susceptibles de transformer nos rêves de paradis en enfer. Et pourtant, nous n’en faisons rien, et continuons à disserter sur l’avenir à partir d’un problème posé de travers. »
Malheureusement, même en posant les problèmes à l’endroit, il n’est pas dit que l’espèce humaine saura franchir ce que l’on pourrait appeler le « mur de Meadows », c’est-à-dire l’effondrement pronostiqué en 1972, et dont je remets ici l’image désormais célèbre :
futurism
Comme on peut le voir, l’an 2100 n’est pas pour demain. Mais regardez bien la courbe mauve, « Industrial output per capita » : elle sera proche de zéro. Il faudra se baisser pour ramasser les patates, comme au temps de ces paysans qui avaient vu naître un certain Jean-Philippe Smet.
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